Portrait d'un homme pressé
L'Express n°3097 du 10 au 16 novembre 2010
Un dossier de Laurent DECLOITRE
Photos : Pierre MARCHAL
Le nouveau président du conseil régional a planifié son ascension politique depuis la commune du Tampon dont il a été maire de 2006 à 2010. Il s’appuie sur un réseau de fidèles, acquis à sa cause durant ses années passées à l’école militaire préparatoire de la Réunion. Retour sur un parcours, pour l’heure sans anicroche.
Près de quarante ans les séparent. Et tout les oppose. Didier Robert est un fan de Jean Réno, de Zidane et de Jackson Richardson ; Paul Vergès, lui, cite Charlie Chaplin et les Jeux olympiques de… 1968. Le président de la région Réunion pianote sur son I-Pad pour vérifier une information ; l’ancien locataire de la pyramide inversée (le siège de la Région) se fascine pour la décolonisation... Est-ce à dire que l’élection de Didier Robert, en mars dernier, s’est jouée sur un conflit de génération ? Le quadra a-t-il triomphé, faisant basculer à droite l’une des trois seules régions de France, grâce à la santé de ses artères plutôt qu’à ses idées ?
Didier Robert, qui a enlevé « tout ce qui était pesant » dans le bureau de son prédécesseur, est agacé par cette analyse. Il rappelle sa victoire aux législatives de 2007, déjà, quand il avait battu Paul Vergès, dans la circonscription du Tampon. Sa terre d’élection.
C’est dans cette la commune du sud de l’île que ce fils d’une institutrice et d’un policier municipal a passé sa jeunesse ; il y a planifié son ascension politique comme on élabore un plan en trois parties à Sciences Po, dont il est diplômé. Primo, la phase d’apprentissage de la vie municipale. En 1991, après avoir débuté comme volontaire à l’aide technique à la commune du Tampon, il devient à 27 ans le directeur de cabinet du député-maire André Thien Ah Koon. Secundo, l’expertise. De 1998 à 2005, Didier Robert fait ses armes auprès des ténors de la droite, d’abord au sein du cabinet de Jean-Luc Poudroux, le président du conseil général, puis à la direction du cabinet d’Alain Bénard, à Saint-Paul.
Il « tue le père »
Tertio, l’envol. En 2001, André Thien Ah Koon le prend sur sa liste aux municipales. Cinq ans plus tard, condamné par la justice, inéligible, l’élu UMP intronise son « fils spirituel » : Didier Robert ceint l’écharpe de maire du Tampon. Thien Ah Koon pensait garder les rênes du pouvoir, il va vite déchanter. « C’est un gars qui fait fi des valeurs de l’amitié, prêt à marcher sur les autres pour servir ses propres intérêts », accuse le conseiller régional, désormais élu sous la férule du parti communiste réunionnais... Et de rappeler que le président de la Région reste encore député, profitant d’un recours pour échapper à la loi sur le cumul des mandats*. L’intéressé réagit à la rancœur de son ancien ténor avec modération : « Je n’oublie rien de mon engagement à ses côtés. Mais j’ai été trahi et déçu. Il a voulu me prendre pour une marionnette ». Fallait-il pour autant « tuer le père » pour prendre le pouvoir ?
Paulet Payet, à qui Didier Robert a confié les clés du Tampon (tout en restant premier adjoint), répond à sa façon. « Didier, dans l’ombre des cabinets, a pu comparer les pratiques des élus. Désormais, il les applique à sa propre gouvernance ». L’édile poursuit, sans détour : « Durant l’élection législative de 2007, lorsqu’il fait tomber Vergès, il me confie : "On a un coup à jouer pour 2010". A partir de ce moment, notre objectif est clair : gagner la Région ».
Dès 2008, Didier Robert lance la machine électorale qui sera le bras armé de la conquête, avec la création du mouvement Objectif Réunion dont il est le délégué général. Un moyen de rassembler la droite, quitte à se débarrasser ensuite de ses caciques, comme le sénateur Jean-Paul Virapoullé… Une façon habile aussi de prendre ses distances avec le gouvernement Sarkozy, qui bat des records d’impopularité à la Réunion. Didier Robert annonce alors qu’il va quitter l’UMP, pour protester contre le soutien supposé de Paris à Nassimah Dindar : cette dernière a conservé la présidence du conseil général en s’alliant avec la gauche. Une vraie fausse démission puisque le maire du Tampon est élu en janvier 2009, sur proposition de Xavier Bertrand (avec qui il présente une amusante ressemblance physique), membre du bureau politique de l’UMP ! Le calcul est payant. Sa côte de popularité atteint son apogée avec 72% d’opinion favorable en mai dernier (64% aujourd’hui), selon un sondage Ipsos/Journal de l’Ile.
« J’ai conservé des amis »
Pour Paulet Payet, telle est là la qualité première de son ami : savoir « élaborer une tactique pour gagner des combats à long terme ». Un art de la stratégie que Didier Robert affectionne. Son passage à l’école militaire préparatoire de la Réunion (EMPR) n’y est sans doute pas pour rien. Explication. « Gamin, j’adorais le feuilleton télévisé "La mer est grande", qui relatait les aventures de deux aspirants de l’école navale », se souvient le président de Région. Va pour l’EMPR, créée en 1969 par Michel Debré. En tenue militaire, suivant une discipline « stricte et bien organisée », l’élève Didier fait sienne la devise « s’instruire, servir, se distinguer », de la sixième au bac (1974-1981). Même s’il abandonne finalement la carrière militaire, même si l’EMPR est dissoute en 1991, Didier Robert le reconnaît : « Sept ans, cela marque. J’ai conservé des amis sur lesquels je peux compter aujourd’hui, au-delà de l’engagement politique ».
Effectivement… Les exemples d’anciens camarades de promotion de l’EMPR placés à des postes clefs, sont légion. A commencer par Serge Clain, au poste de directeur administratif et financier de la SR21, l’antenne de la Région chargée de piloter les projets de développement durable. « On a fait du rugby ensemble, durant notre scolarité. J’étais demi d’ouverture, Didier était un peu partout dans la mêlée, sourit l’intéressé. C’était un élève brillant ; j’ai d’excellents souvenirs de camaraderie et de batailles de polochons… »
Même présence d’un ancien de l’EMPR au sein du conseil municipal du Tampon, en la personne d’Eddy Payet, ou à la Communauté des communes du sud - lorsque Jean-Claude Suroux en était directeur et que préside aujourd’hui Didier Robert. Bernard Padavatan, responsable de l’association des anciens élèves, revendique l’existence de ce réseau : « On a des gens placés un peu partout. Peut-être que Didier Robert pourra maintenant nous donner un coup de pouce pour créer une école privée qui transmettrait les mêmes valeurs que l’EMPR »…
L’entourage du président de la collectivité le murmure : « Il y a peu de gens de confiance sur lesquels s’appuyer ». Une façon de justifier d’autres nominations : Gaston Bigey, cousin de l’actuel président de Région, à la direction générale de la SR21 ; Jacqueline Farreyrol et Pascal Viroleau, tous deux amis et Tamponnais, à la tête de l’Ile de la Réunion Tourisme. De la commune du Tampon, l’ont en outre rejoint « une vingtaine de cadres territoriaux », soupire Paulet Payet, qui se sent un peu déshabillé par cette fuite de cerveaux. Quand Objectif Réunion rime avec Priorité Robert…
* Depuis la parution de ce dossier, Didier Robert a laissé sa place à sa suppléante, Jacqueline Farreyrol.
Commenter cet article