Président durable
Libération du 08/03/2010
PORTRAIT. Ce marxiste écolo, 85 ans, se représente à la tête du conseil régional de la Réunion et entretient le mystère sur sa vie
Un octogénaire peut-il porter des projets d’avenir ? A compter de quel âge a-t-on le droit de poser cette question sans passer pour un mufle ? Lionel Jospin s’était attiré les foudres en 2002, à son retour de l’île de la Réunion, lorsqu’il avait décrit Jacques Chirac, 70 ans, comme un homme «fatigué, vieilli».
Paul Vergès a 85 ans. Le doyen des candidats français se représente à la tête du conseil régional de la Réunion, qu’il dirige depuis 1998. D’où tire-t-il son énergie ? Quel est le secret des Vergès ? Son frère aîné Jacques, 86 ans, l’avocat de la terreur, bat les planches des théâtres pour jouer Serial Plaideur, entre deux plaidoiries de rupture…
«Les rendez-vous politiques me font revivre, jubile Paul. Je n’ai jamais été aussi jeune !» Un accident vasculaire cérébral l’a pourtant contraint à deux mois de repos en 2006. «J’ai eu de la chance», évacue-t-il. On garde en tête les propos vachards de la droite locale, qui, faute de mieux, traite le patriarche «d’homme des énergies fossiles», voire de «Ceaucescu». Et voilà que le fondateur du Parti communiste réunionnais (en 1959), confie son admiration pour Hô Chi Minh, évoque la guerre froide et raconte une rencontre mouvementée au Kremlin, avec Deng Xiaoping et Nikita Khrouchtchev. Un autre monde, celui du rideau de fer, une autre époque.
Paul Vergès est né très loin, en 1925, au Siam, où son père, médecin réunionnais, exerçait. Sa mère, vietnamienne, décède alors qu’il n’a que 3 ans. Paul doit beaucoup à l’éducation spartiate et encyclopédique du «Vieux». «Il disait toujours : si tu hésites, dis non plutôt que oui !» a retenu l’éternel candidat, chemise col Mao noire, sandales de curé aux pieds. En 1942, Jacques et Paul s’engagent dans les Forces françaises libres (FFL). Départ pour Madagascar, puis l’Afrique du Sud et enfin Londres. Paul, surnommé «Tito» par ses compagnons d’arme, est parachuté sur Nantes. En 1945, il démissionne, craignant de devoir livrer «une guerre coloniale» en Indochine.
De retour à la Réunion, il participe, aux côtés de son père Raymond, au combat contre la droite radicale et les «gros blancs» à la tête des usines sucrières. C’est alors que l’histoire bascule une première fois. En 1946, l’adversaire des communistes, Alexis de Villeneuve, est tué d’une balle lors d’un meeting. Paul Vergès est arrêté. L’arme appartenait à son père. «J’étais dans la mêlée et j’ai désarmé un type qui tenait un revolver», prétend l’élu sans ciller. Jugé à Lyon, il est condamné à cinq ans de prison avec sursis, avant de bénéficier d’une amnistie. «Soit j’étais coupable et méritais la perpétuité, soit j’étais innocent et devais être acquitté»,analyse-t-il. Et d'affirmer, visage soudain impassible : «Je connais le meurtrier, un gars empoisonné quelques semaines après le meurtre.» Le manque de preuves l’empêcherait d’en dire davantage.
La suite pourrait être celle, plus classique, d’un fils, placé par son père, qui enchaîne les mandats : maire, député européen, député, conseiller général et régional, sénateur… C’est oublier le contexte de l’époque. En 1960, le Premier ministre, Michel Debré, signe une ordonnance qui autorise le préfet à muter en métropole les fonctionnaires «troublant l’ordre public». De nombreux militants communistes sont «exilés». Paul Vergès, qui prône l’autonomie de l’île et se rend régulièrement en URSS, est interdit de télé et de radio. En 1964, la justice le condamne à la prison pour avoir publié des articles dénonçant la guerre d’Algérie. A l’image des esclaves marrons, qui fuyaient dans les cirques reculés de l’île, il prend alors le maquis. C’est l’autre élément fondateur du mythe Vergès : durant vingt-huit mois, l’homme échappe aux forces de l’ordre qui le traquent. «Les gens me surnommaient "l’Invisible"», s’amuse-t-il, les yeux espiègles. Il n’en dit pas plus, entretenant le même mystère sur cette parenthèse que son frère Jacques, volatilisé on ne sait où de 1970 à 1978.
Paul Vergès bénéficie d’un non-lieu et d’une aura qui frise aujourd’hui encore l’idolâtrie. Un sculpteur a extrait du volcan de l’île un bloc de basalte pour le statufier. De nombreux militants conservent son portrait à côté de la photo de leur mariage, de Jean Paul II ou encore d’une marche sur le feu. Même une partie de la droite locale reconnaît son «brio intellectuel» et son charisme. Certain de sa réélection, conforté par les sondages, il ne retourne pas le compliment. La classe politique réunionnaise ? «Il y a les ignorants, qu’on peut récupérer, et les malveillants, à qui il faut opposer un mépris de fer», assène-t-il, condescendant.
Parmi ces derniers, il classe ceux qui osent l’attaquer sur un sujet sensible : sa famille. En 1988, la dépouille de son fils, Laurent, avait été exposée dans un cercueil ouvert, «selon un rituel rappelant les derniers dirigeants de l’Union soviétique», dénonce un universitaire. Le nouveau procureur de la Réunion vient-il d’ouvrir une enquête préliminaire pour «prise illégale d’intérêts», suite à la nomination de Françoise et de Pierre, ses deux autres enfants, à la tête d’émanations du conseil régional ? «Pschitt», souffle-t-il. Le «Líder máximo» se veut au-dessus des contingences. «Si je m’énervais, il y a longtemps que je serais mort.»
Est-il encore communiste ? Il l’affirme : «Ma méthode d’analyse est d’inspiration marxiste. Mais il faut savoir s’adapter.» En prenant par exemple sur sa liste le président local du Modem. Alors, la gauche, la droite… «J’ai d’autres préoccupations. On a ici des problèmes infiniment plus complexes qu’en métropole.» Et de rappeler que 52% des Réunionnais vivent en dessous du seuil national de pauvreté. Que propose-t-il ?
Pas de solution miracle, mais une démonstration bluffante. On oublie alors les 85 ans de ce grand-père visionnaire. Paul Vergès parle de 2025 comme si la Réunion comptait déjà un million d’habitants. Pêle-mêle, il souligne que «le PIB des pays du G7 sera dépassé dans dix ans par celui des pays de l’E7», dont la Chine et l’Inde, aux portes de l’île française. Que le sucre réunionnais ne sera plus subventionné par l’Europe sous la pression de l’OMC, peut-être dès 2014. Que la fonte des glaces en Arctique et l’ouverture d’«une nouvelle voie maritime entre l’Orient et l’Occident» handicaperont les échanges commerciaux de l’île.
Le président de l’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (Onerc), convaincu que «la Réunion est un petit laboratoire du monde», ne se limite pas aux frontières de son caillou. Il veut être un exemple. «Sous les quolibets», il avait annoncé il y a quinze ans que l'île serait «énergétiquement autonome» en 2025, grâce aux alizés de l’océan Indien pour l’éolien, à la chaleur du piton de la Fournaise pour la géothermie. Il bataille pour imposer son projet phare, un tram-train alimenté à l’électricité solaire de plus de 1,5 milliard d’euros. Et savoure en entendant Nicolas Sarkozy, lors de ses vœux à l’outre-mer, féliciter la Réunion pour ses actions en matière de développement durable. Durable. Comme Paul Vergès.
photos Edgar Marsy
En 7 dates
1925 Naissance à Ubon, Siam (Thaïlande).
1942 S’engage dans les Forces françaises libres.
1946 Accusé de meurtre, il est condamné à cinq ans de prison avec sursis.
1959 Fonde le PC réunionnais.
1964 Coupable de délit de presse, il prend le maquis durant vingt-huit mois.
1998 Président du conseil régional (réélu en 2004).
2002 Président de l’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique.
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