Le 30 juin 2003
Les copies reçoivent une bonne correction
Les enseignants mécontents n'ont pas mis leurs menaces à exécution pour le bac.
Par GROS Marie-JoëlleDECLOITRE LaurentLAVAL Gilbert
Ce matin, les correcteurs de l'épreuve de philo du baccalauréat vont rendre leurs liasses de copies corrigées et notées. Résultats le 4 juillet. Mais les enseignants qui ont été engagés de longue date dans la lutte n'ont pas l'intention de faire comme si rien ne s'était passé. A Paris, une centaine d'entre eux n'iront pas déposer les copies dans les centres d'examens, comme c'est l'usage. Ils les remettront en mains propres à «Luc Ferry, ministre-philosophe de l'Education nationale». L'action se veut symbolique. Les correcteurs, qui doivent d'abord se réunir place de la Concorde, seront vêtus de costumes sombres et rappelleront au ministre leurs revendications.
«Je ressens une grande colère et beaucoup d'amertume, confiait Pascal, professeur de philosophie à Paris, en fin de semaine dernière. Le mouvement social est retombé, le gouvernement a gagné. Mais il se permet encore de nous narguer avec la question des retenues sur salaires. Ce n'est vraiment pas correct.» Il est donc possible que le ministre découvre quelques fantaisies parmi les copies de l'académie de Paris : des notes volant très haut, peut-être écrites en japonais ou en chinois, ou pas de notes du tout.
Les conditions dans lesquelles se sont déroulées les corrections, en certains endroits, ont revêtu un caractère bien inhabituel. Lundi dernier, à Toulouse, une quarantaine de professeurs ont corrigé leurs copies installés dans la mairie en criant : «Ferry, on corrige, mais revois ta copie !» A Ambérieux (Ain), Jean-Antoine, comme d'autres, était bien décidé à ne pas aller chercher son tas de copies à corriger. Des lettres de requièrement sont arrivées en recommandé. Des collègues ont pris peur, des rumeurs de «révocation» circulaient. Quand Jean-Antoine s'est finalement retrouvé seul et sans copies, il a lui aussi cédé. «Comme j'ai perdu une semaine sur mon temps de correction, j'ai noté entre 10 et 20, rien en dessous.»
Rire jaune. Dominique, professeure de lettres et d'anglais dans un lycée professionnel de Rennes et militante SUD-Education, juge la situation «surréaliste». «On attendait beaucoup des collègues des lycées généraux le jour de l'épreuve de philo. Au bout du compte, il ne s'est pas passé grand-chose. Alors, maintenant, quand ils parlent de jouer sur les corrections, ça me fait rigoler : c'est "demain on rase gratis". Pour moi, le mouvement a pris fin le jour du bac philo.» Gréviste, elle n'est pas allée surveiller les épreuves des bacs pro début juin. «On a tous été remplacés par des étudiants, des pions», raconte-t-elle. Les corrections des bacs professionnels commencent seulement aujourd'hui : «Je ne me fais aucune illusion, les épreuves seront corrigées normalement. Quand un prof a un stylo rouge en main, c'est plus fort que lui, le métier reprend le dessus.»
A Besançon, Aix-en-Provence ou Lyon, des correcteurs avaient envisagé la «rétention» des notes. Mais le Conseil d'Etat ayant jugé l'opération illégale il y a quelques années, ils ne le feront pas. En revanche, au lieu de saisir comme il est de coutume leurs notes sur Minitel, certains les enverront par la poste. Pour encombrer les rectorats.
Marie-Cécile corrigeait le bac pour la première fois à Toulouse. Bien décidée à se monter «indulgente». Mais l'occasion ne s'est pas présentée : les élèves étaient au point, bien préparés. Une autre, correctrice à Carcassonne, estime que «la proportion de cancres idiots, de candidats moyens et de réussite a été la même que ces sept dernières années». Eric, professeur d'anglais, est soulagé : «Je craignais d'avoir à brader le bac 2003.» Non-gréviste, il était prêt à surnoter. «Mais je n'ai pas eu l'occasion de faire la différence entre la copie d'un candidat privé de prof depuis un mois et celle d'un candidat ordinaire. 2003 sera un bon cru.»
Sur l'île de la Réunion, où le rectorat de Saint-Denis a été assiégé durant plusieurs semaines par les manifestants, empêchant l'administration de fonctionner, les épreuves se sont déroulées dans le calme. Il manquait parfois le nombre réglementaire de surveillants dans les salles et un candidat particulièrement procédurier pourrait faire annuler le bac. Peu probable. La «sacralisation de l'examen l'a emporté», constate une gréviste. Les enseignants de terminale ont souvent fait grève «à la japonaise» ou ont distribué des polycopiés pour finir les programmes.
Rentrée retardée. Mais la longue grève dans le département d'outre-mer n'a pas permis de préparer la rentrée comme prévu. «Nous risquons de ne pas pouvoir assurer dans les délais l'ensemble des opérations de rentrée, autant pour le mouvement des personnels que pour l'orientation des élèves», reconnaît un porte-parole. Le recteur envisage donc de retarder d'une semaine la rentrée 2003-2004. Elle devrait avoir lieu le 26 août, au lieu du 19.
Mais à la Réunion comme en métropole, la rentrée devrait donner lieu à de multiples assemblées générales. C'est du moins ce que prévoient les principales fédérations de l'Education nationale, bien décidées, disent-elles, à faire aboutir leurs revendications. En attendant, dit Dominique, «quand je vois tous ceux qui se mobilisent pour José Bové, je sais que c'est lié à notre mouvement. Les gens sont à la recherche d'un espace de contestation. Il en restera forcément quelque chose».
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