L'Express du 17 au 23 avril 2013, de notre correspondant Laurent DECLOITRE
Ils ont découvert l’île, l’ont habitée, l’ont modernisée, l’ont amarrée à la métropole. Portraits.
Jacques Pronis et Étienne de Flacourt : les punisseurs
Le commandant de la colonie de Madagascar, l’un des premiers Français à poser le pied à La Réunion (1642), s’est marié avec une Malgache : les colons, catholiques, de Fort-Dauphin, s’en offusquent et emprisonnent leur chef, par ailleurs huguenot. Jacques Pronis, libéré cinq mois plus tard, déporte douze mutins sur Bourbon et obtient la tête de l’amant de sa femme. Son successeur, Étienne de Flacourt, l’envoie en France, mais il reviendra en 1653 plus tard et reprendra le pouvoir !
Il faut dire que Flacourt, neveu d’un administrateur de la Compagnie, a bien du mal. Face aux colons indisciplinés, le gouverneur-naturaliste contraint à l’exil réunionnais un certain Antoine Thaureau, suspecté de vol. Ce dernier est débarqué en 1654 avec six autres Français et une demi-douzaine de Malgaches. Flacourt part l’année suivante vers la France pour demander des renforts. Alors qu’il regagne Mada, il disparaît en 1660 lors de l’attaque de son navire par des corsaires au large de Lisbonne. Pronis, lui, a succombé cinq ans auparavant aux fièvres malgaches.
Thaureau et Louis Payen : les pionniers
« Couillard », le surnom donné à Thaureau, est expédié à Bourbon en 1654 avec six compatriotes et six « nègres ». Ils ont pour mission de « cultiver le tabac et y faire recherche de tout ce qu’il y a de bon et propre pour envoyer en France ». La troupe laisse une description enchanteresse de l’île : « On ne saurait trouver une terre plus fertile en toutes choses. » Pour autant, en 1658, les hommes embarquent sur un navire anglais à destination des Indes. Mauvaise pioche : à l’arrivée, les Malgaches sont vendus comme esclaves et les blancs enrôlés dans l’armée.
Louis Payen, « un homme bien fait, de douce humeur et sociable », fait, lui, le choix de vivre à Bourbon. Le Français est accompagné en 1663 de son valet et de dix Malgaches, dont trois adolescentes de 8, 12 et 14 ans. C’est la première fois que des femmes débarquent sur l’île et leur présence envenime rapidement les relations entre les membres de l’équipe. Les Malgaches s’enfuient dans la montagne après avoir tenté de tuer les Français ! Aussi, lorsqu’en 1665, les trois vaisseaux du gouverneur Étienne Régnault, accostent, Payen et son acolyte quittent l’île.
Anne Mousse, la première Réunionnaise
L’un des premiers Réunionnais nés sur l’île est une petite fille noire. Anne Mousse est l’enfant de Marie Caze et de Jean Mousse, deux Malgaches qui avaient accompagné Payen en 1663. Née en 1668 à Saint-Paul, elle est l’ancêtre d’une grande partie de la population réunionnaise. Anne Mousse donna naissance à huit enfants, dont six filles, à la suite à de son mariage avec un Breton.
Étienne Régnault et Mahé de Labourdonnais : les constructeurs
Débarqués du Taureau le 9 juillet 1665, les vingt engagés de la Compagnie des Indes dressent leur cahute à Saint-Paul, près de l’étang ; Étienne Régnault, leur commandant, préfère la fraîcheur du Bernica, dans les hauteurs. Il fait planter du blé, des vignes, du riz, mais au nord-est, où les terres de Sainte-Suzanne sont plus fertiles. L’escarpement de la Montagne étant difficile à franchir, le gouverneur prend une décision qui va marquer le futur de La Réunion : « En 1669, je quittai le dit lieu de Saint-Paul et vint m’établir au Nord de l’Isle sur le bord de la Rivière ; je nommais cette habitation Saint-Denis », raconte-t-il dans ses mémoires. Étienne Régnault, remplacé en 1671, meurt en Inde en 1688.
En 1735, Mahé de Labourdonnais poursuit son œuvre et transfère définitivement l’administration française de Saint-Paul à Saint-Denis. Raoul Lucas et Mario Serviable, dans « Commandants et gouverneurs de l’île de La Réunion » (Océans Éditions), dressent un bilan dithyrambique de son action à Bourbon et à l’Isle de France (Maurice) : « Infatigable, il trace des routes et des plans de bataille, construit des ouvrages portuaires et militaires, encourage la diversification vivrière, se lance dans la transformation industrielle et forme les hommes aux métiers des armes ». Mais si, sous son administration, l’île connaît un indéniable essor économique, Labourdonnais n’a rien d’un saint : il favorise la traite négrière, monte des milices noires pour lutter contre les Anglais, des troupes blanches pour écraser les esclaves enfuis… Malgré une victoire navale contre les Anglais, au large de Madras (Inde), il tombe en disgrâce avant d’être embastillé à Paris. Libéré en 1751, il meurt deux ans plus tard.
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