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L'actu vue par Laurent DECLOITRE

L'actu vue par Laurent DECLOITRE

Les articles de Laurent Decloitre (journaliste et biographe) sur la Réunion et l'océan Indien parus dans Libération, Marianne, Paris Match, l'Express, Géo et la presse nationale.

Publié le par Laurent DECLOITRE
Publié dans : #Articles parus dans l'Express

L'Express du 17 au 23 avril 2013, de notre correspondant Laurent DECLOITRE - photos Pierre MARCHAL

 

Mario Serviable ne se sontente pas de sa casquette d’historien et s’impose aussi comme un conteur hors-pair. Cet inspecteur de la Jeunesse et des sports, membre de l’Académie de l’île de La Réunion, auteur de multiples ouvrages, revient pour l’Express sur l’incroyable destin d’une île déserte, tantôt française, tantôt anglaise, dont le seul intérêt était de se trouver sur la route des Indes et qui a failli être vendue aux Portugais.

 

SERVIABLE-Mario-001.jpgSans l’Inde, la France se serait-elle intéressée à La Réunion ?

Jamais ! Nous sommes un pur produit de l’affrontement européen. Au XVIIème siècle, la France ambitionne de devenir une grande puissance internationnale. Colbert, qui énonce la politique territoriale du pays, veut sortir de l’enclos hexagonal. Dans sa recherche d’opulence, il pense aux antipodes, aux mers australes et, surtout, à l’Inde. Le sous-continent est considéré comme la manufacture du monde, d’où l’on peut espérer ramener de précieuses épices. Mais pour l’atteindre, la France doit disposer d’escales sur la « carreira da India », la route des Indes. Or les Hollandais ont déjà mis les pieds, en 1598, sur l’île Maurice, dont ils prennent officiellement possession en 1638.

Du coup, les Français se tournent vers les autres îles Mascareignes…

Oui, ils s’installent à Madagascar, appelée Isle Saint-Laurent, riche en tabac, en ambre gris et en vivres. Mais la petite colonie, créée à Fort-Dauphin, dans le sud-est, va rapidement devenir la capitale mondiale des fièvres et un cimetière pour les Européens.

esclavage4.jpgEntre 1638 et 1642, deux vaisseaux français débarquent à La Réunion, en prennent possession au nom du Roy, sans songer à s’y implanter… Pourquoi ?

Tout simplement parce que l’île ne dispose pas de port de mouillage naturel, les navires risquent la destruction face à la houle cyclonique. Ces conditions périlleuses découragent les plus grands marins, comme le capitaine Samuel Castleton, qui avait réussi à toucher l’île un quart de siècle plus tôt, en 1613. L’Anglais y avait trouvé « un nombre considérable de grandes tortues terrestres, un excellent manger ». Il pris le soin de nommer l’île England Forest mais leva l’ancre quatre jours plus tard, l’Inde en ligne de mire.

La Réunion va-t-elle rester déserte longtemps ?

Non, grâce aux Français, mais dans des conditions rocambolesques. À Fort-Dauphin, une poignée de colons refusent de porter chapeau bas devant la compagne, malgache, de Pronis, le gouverneur de Madagascar... Furieux, ce dernier arrête les mutins et les envoient crever sur l’île voisine, qu’il nommera Bourbon. Les douze hommes sont abandonnés en 1646 sans vivre ni eau, « avec seulement un bonnet, une chemise de grosse toile »… et quelques vaches. Trois ans plus tard, le nouveau gouverneur de Mada, Étienne de Flacourt, affrète un vaisseau pour enterrer chrétiennement les déportés. Surprise : ils respirent la santé et ont des étoiles plein les yeux !

Pourtant, Bourbon se retrouve à nouveau inhabitée…

Oui, durant cinq ans. En 1654, un colon de Fort-Dauphin, un certain Antoine Thaureau, convaincu de vol par Flacourt, doit à son tour quitter Madagascar. Il s’exile avec six compatriotes et six « nègres » et se pose vers l’étang Saint-Paul. Le groupe reste sur l’île jusqu’en 1658. Là encore, Thaureau, comme ses prédécesseurs condamnés, semble enchanté : « On ne saurait trouver une terre plus fertile en toutes choses. L’île est fort saine, nous y avons demeuré sans avoir eu aucun accès de fièvre et aucune maladie ». Cela étant, Bourbon se trouve à nouveau déserte après son départ.

Peut-être parce qu’il n’y avait pas de femme ?

C’est le cas en 1663 ! Un colon de Madagascar, Louis Payen, et son valet blanc, partent vivre à Bourbon cette fois-ci de leur plein gré, accompagnés de dix Malgaches, dont trois femmes, les sœurs Cazo. L’une d’elle, Marie, aura un enfant avec un compagnon malgache. La petite Anne Mousse, la première Réunionnaise née sur l’île, est donc 100% malgache…

esclavae2.jpgQuelles raisons convainquent enfin la France de l’intérêt de ce caillou volcanique ?

L’attention du Roi avait déjà été attirée en 1658, lorsqu’Étienne de Flacourt avait dessiné une carte intérieure de Bourbon, parlant de la plus belle île au monde. En 1664, constatant que la France est toujours à la remorque de l’Espagne et du Portugal, Colbert se dote d’un outil de puissance indispensable : la compagnie des Indes orientales, qui prend possession de Bourbon en 1665, « pour en jouir en toute propriété, seigneurie et justice ». Le gouverneur Étienne Régnault débarque avec vingt ouvriers, dont on retrouve aujourd’hui les noms de famille à La Réunion : Mussard, Hibon, Hoarau… C’est le début du peuplement officiel de l’île. Les premières femmes blanches arrivent ensuite, des « larronières », libérées de la prison parisienne de la Salpêtrière, ou atteintes du « grand mal » (vérole, syphilis). Dès lors, Bourbon s’apparente à un domaine privé, où l’esclavage est officiellement interdit, mais avec une domesticité noire.

À partir de quelle date l’économie de l’île va-t-elle reposer sur l’esclavage ?

Dès 1685, le Code Noir reconnaît la servitude et en 1690, le mot « esclave » apparait officiellement dans un courrier de la Compagnie des Indes. Les premiers « marrons » se sont déjà enfuis dans les montagnes, tandis qu’à Fort-Dauphin, en 1674, les Malgaches ont massacré la petite colonie. Les survivants français se réfugient à Bourbon, où la situation se tend : les « marrons » lancent des razzias, empoisonnent le bétail et les points d’eau ou enlèvent des femmes esclaves…

Est-ce pour cette raison que le royaume de France a failli vendre l’île aux Portugais ?

La cause première est avant tout économique : en 1689, la Compagnie des Indes perd un navire, le Saint-Jean-Baptiste, au large de l’île. Les affaires périclitent, Bourbon n’est plus desservie et les Réunionnais s’estiment abandonnés par la France ! À tel point que la Compagnie envisage de vendre l’île aux Portugais pour… cent mille écus. Finalement, la transaction échoue et la Compagnie fait faillite. En 1719, une deuxième Compagnie est lancée, espérant développer la culture du café. La boisson à la mode à Paris devient une culture obligatoire.

Pourquoi Maurice supplante-t-elle alors sa voisine réunionnaise ?

En 1721, la Compagnie prend possession de Maurice, baptisée Isle de France, délaissée six ans plus tôt par les Hollandais. La France peut rêver à nouveau au commerce avec l’Inde et fait de Maurice sa tête de pont : en 1735, le gouverneur Mahé de Labourdonnais déplace le siège administratif de Saint-Denis à Port-Louis. Pour la première fois, Bourbon se retrouve sous la dépendance de l’Isle de France et devient la colonie de la colonie ! La première se spécialise dans la production vivrière, tandis que la seconde se lance dans l’agriculture spéculative et monétaire, comme le sucre. Les quelque 10 000 Réunionnais n’ont pas le droit d’en produire, la canne ne sert alors qu’à fabriquer du rhum, par fermentation (le fangourin) ou par distillation (l’arak).

Pourquoi la France nationalise-t-elle Bourbon ?

Labourdonnais a mis fin au monopole du commerce de la Compagnie, qui a en outre perdu ses comptoirs en Inde après la guerre de sept ans (1756-1763) contre les Anglais. En 1764, elle dépose le bilan. Bourbon est rétrocédée au Roi. La colonie privée devient une colonie française et l’administration envoie les premiers fonctionnaires. La France de l’océan Indien renaît : les Seychelles et Rodrigues sont conquises à leur tour. En 1788, Bourbon compte 46 000 habitants, dont 37 000 esclaves. C’est l’âge d’or de la colonie.

CARTE-ILE-BOURBON.jpgÉclate alors la Révolution française… A-t-elle des conséquence sur le territoire situé à 9 500 kilomètres de l’Hexagone ?

Il faut attendre 1793, lorsqu’un décret de la Convention change le nom de Bourbon en île de La Réunion. Un an plus tard, les révolutionnaires abolissent l’esclavage ; la mesure s’applique dans toutes les colonies françaises… sauf dans l’océan Indien. La Réunion est en pleine déshérence. Les Sans-Culotte de l’Isle de France débarquent à Saint-Denis pour arrêter le gouverneur Duplessis, les troupes du Sud de La Réunion tentent de marcher sur le chef-lieu, les Anglais menacent… Suit une période de troubles qui va se conclure par l’occupation britannique !

Après  cette parenthèse, de 1810 à 1815 (voir page X), La Réunion redevient française. A-t-elle un statut particulier ?

Oui, ne serait-ce qu’en raison de l’esclavage. Ni l’abolition de 1794, ni le rétablissement de 1802 ne changent la situation sur place. Ce n’est qu’en 1848, lorsque l’esclavage est réellement aboli, que l’île rentre dans le droit commun. L’article 7 du décret stipule : « Le principe selon lequel le sol de France affranchit l’esclave qui le touche est appliqué aux colonies et possessions de la République ».  Sur les 108 000 habitants, 60 000 esclaves recouvrent la liberté. Tous les hommes, blancs et noirs, ont désormais le droit de vote.

À quel moment peut-on dater l’appartenance définitive de La Réunion à la France ?

Tardivement. En 1942, lors de la Seconde guerre mondiale, les Réunionnais ont montré leur attachement à la vraie France, en choisissant le camp gaulliste, alors que la colonie voisine de Madagascar est restée vichyste. La Réunion a toujours été la France, une France sous les tropiques, mais la France quand même… L’autre date à retenir est 1946 : sous l’impulsion des députés Léon de Lepervanche et Raymond Vergès, l’île adopte une voie originale de décolonisation en devenant un département d’outre-mer.

Depuis, c’est vrai, les Réunionnais se sentent avant tout Réunionnais. Mais cette différence ne met pas en péril l’ensemble national ; elle prouve que le vivre ensemble est possible et que La Réunion est la meilleure des France !

Entretien : Laurent DECLOITRE

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