Coup de froid sur l’énergie thermique venue des mers
Un procédé révolutionnaire, projet phare du programme Gerri, vise à produire de l’électricité grâce à la différence de température entre la surface de l’océan (+ 25°C) et ses abysses (+ 5°C à 1 500 mètres de profondeur). Mais si l’idée semble prometteuse, au point que l’Etat lui a accordé une aide de 5 millions d’euros, elle reste dispendieuse – 400 millions ! – pour une capacité de production modeste de 100 à 150 Mégawatts. « Avec un tel coût, la pertinence économique de l’énergie thermique des mers n’est pas encore démontrée », reconnaît Frédéric Le Lidec, directeur de l’incubateur dédié aux énergies marines renouvelables du groupe DCNS.
D’où l’intention affichée par le constructeur naval de se tourner du côté de l’Europe pour trouver des ressources supplémentaires. Au risque d’oublier Gerri et la Réunion ! Explication de Philippe Beutin, directeur régional de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) : « Les subsides sont déployés par régions et ceux accordés à notre île ont déjà été consommés, si bien qu’il semble plus judicieux pour DCNS de prospecter du côté des Antilles. » Le groupe français lorgne effectivement vers la Martinique où les conditions climatiques sont en outre plus favorables. DCNS a lancé une pré-étude de faisabilité au large de Fort-de-France et a signé en novembre dernier une convention avec la Région Martinique portant sur une centrale pilote, « capable de fournir 10 MW en 2015 ».
La Réunion n’est pas, pour autant, hors course. C’est bien sur le site de l’Institut Universitaire Technologique de Saint-Pierre qu’un « démonstrateur terrestre » doit être installé, « en août prochain ». En construction dans les usines nantaises de DCNS, il permettra de valider le procédé avant d’être testé in situ. Mais là encore, rien ne garantit que l’expérimentation se déroulera au large de la Réunion… Pour Frédéric Le Lidec, « le choix de l’île se fera en fonction de la volonté politique des acteurs locaux, des aides publiques, des conditions économique et de la ressource… ».
Photo : Le démonstrateur est en construction à Nantes.(DCNS)
Pélamis : un vrai serpent de mer
Fabriquer de l’électricité à partir de la houle de l’océan, c’est le principe du Pélamis : les vagues actionnent les vérins de gros boudin métalliques à moitié immergés, nourrissant du même coup une batterie de générateurs. Objectif : produire une trentaine de mégawatts qui doivent être raccordés au réseau d’EDF en 2015. Mais la préfecture, soucieuse de l’impact environnemental, n’a toujours pas accordé l’autorisation d’occupation du domaine maritime, à 2 000 m des côtes de Saint-Pierre.
En outre, le tour de table financier fixé à 130 millions d’euros, est loin d’être bouclé. Il a même bu la tasse le 6 décembre dernier : François Fillon, détaillant la liste des sites et des projets d’énergies marines qui vont bénéficier des investissements issus du Grand emprunt (île d’Ouessant, Paimpol, Brest, Nice, et la région Provence-Alpes-Côte d’azur), a purement et simplement oublié le Pélamis. Le gouvernement reproche au projet réunionnais l’origine écossaise du procédé et son manque d’innovation !
Thierry Kuna, le dynamique directeur de Seawatt, l’entreprise qui développe le projet réunionnais, n’a pas pour autant le mal de mer. « Nous avons adapté la technologie aux conditions cycloniques et développé un système unique de stockage de l’électricité. » Seawatt compte toujours sur une aide de l’Etat de 9 millions d’euros, pour la mise à l’eau des cinq premiers serpents de mer (sur les 30 prévus). Cela étant, le projet ne sera viable qu’à la condition qu’EDF achète les kilowatts à un tarif deux fois supérieur aux 15 centimes actuellement en vigueur. Pas sûr que la Commission de régulation de l’électricité accorde ce bonus, elle qui vient de réduire les tarifs d’achat de l’électricité solaire…
Photo : Le Pélamis doit être construit dans un ancien hangar sucrier du Port... si les aides publiques viennent conforter la viabilité du projet.
Trop tôt pour Ceto
Avec le projet Ceto d’EDF-Energies nouvelles, la houle n’active plus un tube, mais une bouée immergée. Les responsables du projet Gerri évoquent à terme une production de 20 à 30 Mégawatts, grâce à l’installation de 100 à 150 bouées au large de Saint-Pierre. Du côté d’EDF-EN, on se montre plus prudent avec un chiffre de 2 MW en 2012-2013, durant la phase pilote, puis 15 MW seulement aux alentours de 2014-2015. Après avoir pris un peu de retard, EDF-EN vient d’obtenir l’autorisation temporaire d’utilisation du domaine maritime. Le prototype devrait être mis à l’eau cette année.
Photo : EDF Energies nouvelles a déjà développé le concept dans les eaux australiennes.
La clim à l'eau
Et si, plutôt que vouloir produire une électricité propre, l’homme cherchait tout simplement à s’en passer… Telle est l’ambition du projet Sea water air conditionning (Swac) : au lieu d’utiliser l’électricité pour faire tourner des climatiseurs, le syndicat d’exploitation d’eau océanique de Sainte-Marie et Saint-Denis va puiser de l’eau froide à 5,5 degrés à plus de 1 000 mètres de profondeur. Le fluide salé refroidira le circuit de climatisation des administrations et entreprises. « On réduira la facture électrique de 75% », promet Jacques Lowinsky, le président du syndicat.
Une délégation de service public doit être accordée cette année à un concessionnaire. Mais les grosses sociétés du secteur, GDF-Suez et autre Véolia, ont fait leurs comptes : là encore, le programme qui se chiffre à une centaine de millions d’euros, ne peut se réaliser sans une aide publique conséquente. « De l’ordre de 35 à 50% de l’investissement », pas moins, assure un spécialiste. Avant de préciser, pessimiste : « A ce jour, aucune aide n’a été accordée ». Conséquence, la mise en exploitation de Swac, prévue un an plus tôt, ne devrait pas se concrétiser avant 2013.
La géothermie enterrée
Profiter enfin du ventre bouillonnant du Piton de la Fournaise, en récupérant les eaux chaudes susceptibles de s’y trouver, et les transformer en électricité propre. Loin d’être saugrenue, l’idée a été validée par les géologues, au point d’envisager des forages exploratoires à la Plaine-des-Sables. Mais le site, magique, fait partie du Parc national et constitue un des joyaux du patrimoine mondial de l’humanité, selon l’Unesco. Inconcevable d’y construire une plate-forme, même provisoire, a décidé Didier Robert, le nouveau patron du conseil régional. Les experts du Bureau de recherche géologique et minière, chargés par le gouvernement de développer cette filière, font grise mine. Ils rappellent que « la géothermie pourrait contribuer pour près de la moitié à l’objectif des 50% d’énergies renouvelables dans la consommation des Dom. »
L'essence en panne sèche
L’objectif était gonflé : le programme Gerri prévoyait qu’en 2010, des véhicules test rouleraient à la Réunion à l’E85, carburant produit à partir de la canne à sucre. Les réservoirs devaient contenir 85% de bioéthanol et 15% de super. Or à ce jour, l’E10 (10% de carburant vert incorporé), disponible depuis deux ans en métropole, n’est même pas vendu dans les pompes de l’île !
La raison ? Le syndicat des fabricants de sucre de la Réunion n’envisage pas la production de bioéthanol tant que l’Etat et la Région ne feront pas un geste en matière fiscale. « On ne va quand même pas en importer », se désole Bertrand d’Abbadie, vice-président du comité des importateurs d’hydrocarbures. A l’inverse, Maurice a su embrayer : l’île sœur exporte de l’éthanol en Europe et en Afrique.
Retard à l’allumage pour les voitures électriques
Un parc automobile réunionnais qui ne rejette plus de carbone, grâce à ses véhicules électriques ; des automobilistes, qui rechargent leur batterie à la maison ou dans des stations collectives, avec un courant issu de l’énergie renouvelable… Un rêve ? Non, une promesse du président Sarkozy annoncée en janvier 2010 : « Dès 2011, les véhicules sortiront des chaînes de Renault » et La Réunion en sera « la première utilisatrice de masse. » Par quel miracle ? Grâce au volet Véhicules électriques pour une Réunion technologique (Vert ) du programme Gerri.
C’est parti ? Eh bien non : le constructeur français tarde à commercialiser sa voiture propre et les huit infrastructures de recharge dont la construction était prévue l’année dernière n’ont toujours pas vu le jour !
Résultat : « Tous les partenaires trépignent », confie un proche du dossier alors qu’en métropole, des systèmes similaires sont d’ores et déjà opérationnels, à Strasbourg, Nice, Rennes, Angoulême, La Rochelle, Orléans… « L’enjeu, c’est la vente de voitures électriques en grand nombre. Le ministre de l’Ecologie a mis le paquet sur les collectivités de métropole », ajoute la même source. Alors à la Réunion… A ce jour, sur les 420 000 voitures immatriculées, une vingtaine seulement circuleraient à l’électricité. Difficile dans ces conditions de faire de l’île le « laboratoire grandeur nature de la mobilité du XXIème siècle », comme en rêvait Nicolas Sarkozy… A tel point que Patrick Bressot, directeur régional d’EDF, avoue qu’il ne fera pas rouler les six véhicules « Vert ». Pour les recharger, il faudrait les brancher sur le réseau… qui fonctionne à près de 70% au charbon et au fuel !
Les chauffe-eau solaires
Oui, la Réunion peut s’enorgueillir d’avoir le taux d’équipement en chauffe-eau solaires le plus élevé d’Europe, avec plus de 100 000 machines installées, soit un tiers des foyers de l’île. Pourtant, alors que chaque année, 10 000 chauffe-eau solaires étaient vendus, ce chiffre est tombé à 8 000 en 2010.
Le photovoltaïque
Oui, la Réunion exploite via EDF-Energies nouvelles, la plus grande ferme photovoltaïque de France (15 Mégawatts), sur la commune de Sainte-Rose. Mais, paradoxalement, derrière cette « vitrine », les panneaux photovoltaïques demeurent bien peu présents sur les toits : un millier de foyers sur une population totale de 820 000 personnes, sont équipés d’une installation de 3 Kilowatts.
L’éolien
Certes, deux fermes produisent actuellement de l’électricité à partir du vent sur l’île, à Sainte-Suzanne et Sainte-Rose. La société Aérowatt souhaite en installer une nouvelle dans l’est, avec stockage de l’électricité. « Sauf que les services de l’Etat, si prompts à claironner La Réunion île verte, ont rejeté notre demande de permis de construire », déplore Serge Borchiellini, le responsable du projet. Il se console à Maurice : Aérowatt y monte une installation trois fois plus puissante. « Là-bas, c’est bien plus simple, le gouvernement a de la suite dans les idées. »
La biomasse
Le concept a été inventé à la Réunion : les centrales thermiques de Bois-Rouge et du Gol utilisent de la bagasse (un résidu de la canne à sucre) pour produire de l’électricité. A un détail près : elles brûlent surtout du charbon et des huiles usagées, nettement moins renouvelables…
Par Laurent DECLOITRE, l'Express n°3112 du 23 février 2011 - Photos Pierre MARCHAL
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