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L'actu vue par Laurent DECLOITRE

L'actu vue par Laurent DECLOITRE

Les articles de Laurent Decloitre (journaliste et biographe) sur la Réunion et l'océan Indien parus dans Libération, Marianne, Paris Match, l'Express, Géo et la presse nationale.

Publié le par Laurent DECLOITRE
Publié dans : #Articles parus dans Libération
Magma à pleins tubes à La Réunion

Les coulées du Piton de la Fournise forgent des boyaux souterrains extraordinaires que l'on peut explorer avec un guide. Randonnée volcanique.

Textes et photos : LAURENT DECLOITRE
Supplément du vendredi 27 mars 2009



La Réunion est un gruyère que creuse à chaque éruption le Piton de la Fournaise.
Lorsque les coulées de lave déboulent plein Est, direction l'océan Indien, elles coupent parfois l'unique route qui longe le littoral et plongent dans la mer dans un fracas d'écume et de vapeur. En dévalant les pentes du « Grand Brûlé », elles percent des boyaux improbables : les tunnels de lave, appelés aussi lava-tubes à Tahiti ou à Hawaï.
Le phénomène est impressionnant : la coulée se faufile sur le relief et forme une gangue mouvante, épaisse de parfois 60 m, comme ce fut le cas en 2007. La surface de la coulée, au contact de l'air libre, se refroidit et commence à se solidifier en croûte noirâtre. Dessous, le magma glisse encore, à près de 1000 degrés. Mais lorsque l'éruption faiblit, le débit de lave diminue, le niveau de la rivière de feu souterraine aussi. Le tunnel se vidange, laissant un conduit vide sphérique. Une vingtaine de tubes sont connus sur l'île, allant de quelques dizaines de mètres à plusieurs kilomètres. Les parcourir, c'est comprendre l'enfer des éruptions, c'est remonter le temps dans des décors hallucinants.
Roby, accompagnateur de montagne, nous a donné rendez-vous à la coulée de 2004. On se gare sur le parking aménagé à même la lave durcie, entre Sainte-Rose et Saint-Philippe, dans le « Sud sauvage ». A 90 m d'altitude et quelques gratons de l'océan. A pied, nous descendons sur les plaques de basalte gris, où poussent déjà des  « bois de chapelets », premiers arbustes à coloniser les coulées. Nous retrouverons leurs racines 6 mètres sous la terre, dans le tunnel de lave...

Le plafond du tunnel a dégouliné
L'entrée du boyau ressemble à une grotte. Mais rien à voir avec la spéléo dans les gouffres calcaires de métropole. Les stalactites ? Elles n'ont pas attendu des siècles de concrétions pour gagner leurs dix centimètres de plomb argenté : c'est le plafond du tunnel qui a dégouliné, fondu sous la chaleur de la lave. Incroyable. En tombant, les gouttes de roche en fusion ont formé en quelques minutes des stalagmites bulbeuses. Sous la lumière des lampes frontales, les parois du tunnel brillent d'un éclat gris métallique. Presque artificiel. Hervé, un ostéopathe, n'en revient pas : « On dirait un décor kitch de science fiction. Ou alors de l'art contemporain. Somptueux ». Anaïs, qui travaille dans une agence de pub parisienne, espère se servir un jour de ses photos « magiques ».
On progresse debout, à quatre pattes, parfois en canard. La température est agréable, dans les 25 degrés. Roby choisit, dans le dédale de tunnels, les boyaux les plus accessibles. Le papier d'aluminium dont semblent être recouverts les flancs concaves laisse place à une couche de chocolat, lisse, marbrée ici et là de points jaunes. Du soufre. On ne peut s'empêcher de caresser ces formes plastiques, de les presser entre les doigts pour vérifier que leur mollesse apparente a bien été figée par le refroidissement.
Parfois, la coulée s'est solidifiée plus vite sur les côtés, tout en continuant à s'enfoncer en son centre. On se croirait dans le métro, avec des « banquettes », illustrant les quais surélevés, et les rails, figurés par la lave « cordée », semblable à de gros rubans tordus de réglisse noire.

Glisser sur un toboggan sanguinolent
Nous progressons, dos courbé, tête casquée, sur une langue de basalte luisante : on imagine un mille-pattes géant, sorti du film Alien. Soudain, un grondement. Comme une éruption est en cours, 11km plus haut, au sommet du volcan, une touriste s'inquiète : le magma ne va-t-il pas surgir du tunnel ? Il ne s'agit que du vrombissement des voitures qui passent 6 mètres au-dessus : nous sommes juste sous la bien nommée Route des laves.
Un brusque dénivelé dans le tunnel a donné naissance à deux cascades, comme gelées dans leur mouvement. Nous les escaladons en rampant, pour déboucher dans une crypte, véritable capsule d'extra-terrestre. La voûte est en guimauve brune ; sur un autel naturel, une main pieuse a déposé la statuette de Saint-Expédit, une icône vénérée par les Réunionnais. Ambiance surnaturelle lorsque Roby allume les bougies. Tel une météorite, un bloc de basalte rouge bloque une méandre du tunnel noir. Le contraste est saisissant.
Au bout de deux heures, nous regagnons la surface par une autre lucarne, pour mieux replonger, quelques mètres plus loin, dans une seconde fissure. La cerise sur le gâteau. Pas de longue progression, cette fois, mais l'impression affreuse et merveilleuse de glisser sur un toboggan sanguinolent, de ramper dans le gosier d'un monstre. Les entrailles de la terre, au sens propre. La lave est restée rouge sang. Un monde caché à quelques pieds sous le basalte fissuré, que Roby entend faire découvrir au plus grand nombre, envers et contre tout. Car les pouvoirs publics de La Réunion, s'ils reconnaissent la nécessité de développer le tourisme volcanique, ont plutôt tendance aujourd'hui à restreindre les accès.

Le volcan attire 130 000 visiteurs par an
Ainsi, dès que des geysers de lave jaillissent de terre au sommet du volcan, l'escalier qui descend en colimaçons dans l' « Enclos » est souvent barré d'un portillon cadenassé. C'est à près de 3000 m d'altitude, dans cette énorme cuvette boursouflée de dizaines de cratères, dont le majestueux Dolomieu, que naissent la grande majorité des éruptions. Monique, comme la majorité des Réunionnais, n'admet pas qu'on lui « confisque » son volcan. Par le passé, elle a escaladé, de nuit, la grille. « Le cratère était allumé comme une ville avec des projections de lave rouge sur le cône ; le jour s'est levé sur un lac de nuages roses. Superbe », se souvient l'intrépide. Christophe, un autre passionné, a eu moins de chance : « Ils ont hélitreuillé des gendarmes qui nous ont conduits au poste comme des voleurs ! » A la clé, une amende de 60 euros.
Pourtant, « la Fournaise est un volcan rouge à grand spectacle, peu dangereux au regard des volcans gris explosifs », rassure Philippe Kowalski, directeur technique de l'Observatoire volcanologique de la Réunion. Chaque année, 130 000 visiteurs pénètrent dans l'Enclos -quand il n'y a pas d'éruption. En 1998, mais aussi 2003 ou 2006, et à bien d'autres occasions encore, il était possible de s'approcher très près des coulées. Vraiment très près...
Le jeu consistait à prendre un bâton de goyavier. Le plonger dans la rivière de lave en tendant le bras pour éviter de se griller les sourcils près du ruban visqueux ; sortir très vite la branche couverte de glue rouge et brûlante ; arroser avec l'eau de votre gourde. Le feu s'éteint dans un grésillement de fumée, le magma se solidifie autour du bois. Incrédule, suant, vous brandissez en tremblant une sculpture unique, créée à la naissance du monde, alors que le Piton de la Fournaise en éruption remodèle l'île de la Réunion. Un happening pratiqué par des dizaines d'amateurs qui aurait pu s'avérer dangereux. Inimaginable aujourd'hui.
Impossible encore d'admirer les dernières coulées, qui ont surgi dans le cratère sommital en septembre, novembre et décembre. Le sentier est fermé, l'ONF et la préfecture rechignent à aménager des plates-formes d'observation, en raison de failles et fissures. Ce qui n'empêche pas des touristes de braver l'interdit...
Dans le même esprit, les projets d'aménagement des nombreux tunnels de lave de l'île ont été mis en sommeil. La Caverne Bateau, l'une des formations les plus connues, à la Plaine-des-Cafres, au centre de la Réunion, serait trop dangereuse. Il est vrai que le plafond des tubes s'effondre parfois. C'est le cas, à de rares endroits, dans notre coulée 2004, lorsqu'un boyau surplombe le tunnel principal. On peut alors passer la tête dans les trous et scruter d'autres bras de l'ancienne rivière de lave. Le risque zéro n'existe pas, surtout lorsqu'on côtoie un volcan. Le massif de la Fournaise est cependant bien moins dangereux que, par exemple, le massif du Mont-Blanc. Les accidents mortels liés à l'activité volcanique sont rarissimes à la Réunion (le dernier remonte à l'éruption de 2003). La lave blanche de Chamonix est autrement plus meurtrière ; pourtant, chacun est libre de la fouler à sa guise.

Où réserver ?
Roby Soriano, breveté d'Etat en alpinisme, est l'un des rares guides de la Réunion à « vendre » le tunnel de lave. Prix de la sortie avec Volcano Run : 45 euros. Tél : 0692 16 20 90. Mèl : hotel.aloes@wanadoo.fr
Autorisé, interdit ?
Gêné aux entournures, le directeur du Parc national de la Réunion, à propos de l'exploration des boyaux de magma. Officiellement, il est « interdit de sortir des sentiers balisés ». Dans la pratique, « ce n'est pas pour ça qu'on va poursuivre les gens »...
Dangereux ?
Ne pas s'aventurer dans le tunnel sans guide. Il est facile de s'y perdre. Les personnes sujettes à la claustrophobie ou trop corpulentes se contenteront d'admirer la surface des coulées.


Voir sur Libé.fr


Commenter cet article

T
Un professionnel diplômé en spéléologie est effectivement autorisé à vous proposer une visite dans les tunnels de lave.
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L
<br /> La direction régionale des sports vient de trancher : les tunnels de lave relèvent de la spéléologie et ne sont donc visitables qu'en compagnie d'un guide BE spéléo.<br /> <br /> <br />
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L
pour gecko<br /> tu évoques un arrêté préfectoral... avant de publier cet article, j'avais fait des recherches ; ni le parc national, qui gère désormais cet espace, ni la préfecture ne m'avaient parlé d'un tel document. J'ai appelé à nouveau le service de la protection civile de la préfecture ; après de longues recherches, ils n'ont trouvé aucun arrêté interdisant spécifiquement l'accès aux tunnels de la lave de la coulée 2004. beaucoup d'arrêtés restrictifs sur différents accès (sentiers, Enclos etc...) mais rien sur les tunnels. Si tu as des infos, fiables, sur cet aspect, je suis preneur. Merci.
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G
juste pour dire que le tunnel de 2004 dont tu parles.....est interdit d accés par arrêté préfectoral. donc pas trés sérieux professionnellement d emmener des gens là dedans.... régulièrement des morceaux tombent.
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