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L'actu vue par Laurent DECLOITRE

L'actu vue par Laurent DECLOITRE

Les articles de Laurent Decloitre (journaliste et biographe) sur la Réunion et l'océan Indien parus dans Libération, Marianne, Paris Match, l'Express, Géo et la presse nationale.

Publié le par Laurent DECLOITRE
Publié dans : #Articles parus dans Libération
Des foulards très ordinaires à la Réunion

par Laurent Decloitre
(9/12/2003)

J'ai retrouvé ces articles que j'avais écrits en 2003 et décidé de les mettre en ligne aujourd'hui, au lendemain de l'exclusion de six élèves du lycée Lislet-Geoffroy par le recteur de l'académie de la Réunion. Il semble que Paul Canioni ait décidé de revenir sur la politique de tolérance pratiquée jusque-là par ses prédécesseurs, quitte à prendre le risque de briser la fragile harmonie qui régnait au sein de la communauté éducative. La lecture du papier paru en 2003 donne à réfléchir à la lumière de cette rentrée...
L.D.


Alma et Lila Lévy étudieraient à la Réunion et non à Aubervilliers, elles n'auraient pas été exclues de l'Education nationale. La polémique qui secoue la métropole sur le voile islamique n'a pas atteint ce département d'outre-mer, où l'on compte environ 35 000 musulmans pour une population de plus de 700 000 personnes. Ici, c'est par dizaines que les jeunes filles adoptent le foulard dans les salles de classe sans être inquiétées. Ce qui explique les réticences des Réunionnais face à une loi qui, selon Vincent Défaud, président du Parti fédéraliste de la Réunion, remettrait "en cause l'unité de [leur] île".

Shamira, 15 ans, est en seconde au lycée Leconte-de-Lisle, un établissement public réputé de Saint-Denis. Un "châle" vert foncé l'expression est ici préférée au terme trop connoté de foulard islamique couvre ses cheveux, une tunique jaune cache son pantalon. "Il n'y a qu'en sport où je suis obligée de retirer mon châle ; sinon, je le garde, les profs ne me disent rien", se félicite la lycéenne. A ses côtés, Zaynab, en 1re STT option gestion, approuve de la tête couverte d'un châle marron : "C'est un choix personnel. Je le porte depuis la rentrée et maintenant, quand je ne l'ai plus, il me manque quelque chose." Djamila, également en 1re, ne porte le voile que pendant le ramadan. "Chacun est libre de faire ce qu'il veut, c'est cela qui est bien à la Réunion", dit-elle simplement, entourée de copines au look très différent. Une ado porte un haut qui laisse son nombril apparent, une autre une tenue gothique, avec rouge à lèvres et vernis à ongles noirs, sans oublier le bracelet à clous... "Je ne me sens pas différente, assure Shamira. A part quelques cas, même quand on voit le string dépasser du pantalon, ça ne me choque pas."

"Les profs sont cool". Les élèves qui portent le foulard à la Réunion sont soit des "Zarabes", terme employé ici pour désigner, les musulmans d'origine indienne, soit des jeunes originaires des voisines Comores ou de Mayotte, l'île française de cet archipel. C'est le cas d'Anfuza, Naïma et Aminata, en 4e au collège Reydellet, un établissement populaire de Saint-Denis. "Par respect de la religion", elles portent le foulard ou un bandana . "Les profs sont cool." Lier, comme c'est parfois le cas en métropole, foulard et extrémisme les fait exploser de rire. Il faut dire que Naïma ne craint pas d'associer son couvre-chef à un tee-shirt où les seins nus de la chanteuse Janet Jackson sont à peine couverts par des mains d'homme...

"Pas de prosélytisme agressif". Les parents d'élèves refusent eux aussi "une polémique là où il n'y en a pas", selon les termes de Patrick Piccardo (Peep). Ils parlent, à l'instar d'Hervé Lauret (FCPE), de "société multiethnique" et d'"exemple pour la France". Même le recteur, Christian Merlin, ne trouve rien à redire. "La société réunionnaise est marquée par une tradition de respect mutuel des religions. Il n'y a pas de prosélytisme agressif chez les élèves, ni de crispation des équipes pédagogiques. Le principe de la laïcité n'est pas remis en cause. Les Réunionnais ont su façonner un équilibre, certes fragile, je les en félicite."

Les syndicats d'enseignants sont plus divisés. "Le foulard n'a pas sa place dans les collèges et les lycées de la République. L'idéal laïque exige que l'école se refuse à être le lieu de l'expression d'une mosaïque d'identités", écrit Albert-Jean Mougin, du Snalc. Le ton est plus nuancé à la FSU. "Notre position officielle est de refuser les signes distinctifs à l'école. Mais à partir du moment où le port du foulard n'est pas un message ostentatoire, il n'y a aucune raison de le rejeter", dit Vincent Cellier, secrétaire académique de la fédération. La position de l'Unsa-Education ne varie guère. Pour Marie-Claire Hoareau, "le port du foulard n'a pas le même sens qu'en métropole. Ce n'est pas perçu comme un étendard religieux". Elle est cependant plus réservée lorsqu'il s'agit de collègues.

A la medersa de Saint-Denis, la seule école coranique de France sous contrat avec l'Education nationale, deux enseignantes portent le foulard. Mais il s'agit d'une école privée. En revanche, dans une école publique élémentaire de l'est de l'île (1) la directrice porte un turban noir qui lui couvre les cheveux. "Cela fait maintenant dix ans. Depuis un pèlerinage à La Mecque", indique l'enseignante, qui a souhaité rester anonyme, "par modestie". "Mon inspecteur était très tolérant. Maintenant, c'est entré dans les moeurs de l'école." Quant au recteur, s'il estime qu'"en principe, les professeurs ne doivent afficher aucun signe religieux", il convient : "Ce châle témoigne d'une certaine affirmation religieuse, mais puisqu'il est accepté par la communauté éducative, cela ne me gêne pas excessivement."

"Personne ne parle du tika". Ce modèle réunionnais n'est cependant pas si idyllique. Nakida, collégienne, regrette l'attitude de deux de ses professeurs. "Ils n'aiment pas que je porte le foulard, des fois, cela me décourage." Certains enseignants estiment en outre que les élèves subissent le poids des traditions religieuses. "Quand on va à la medersa depuis l'âge de 5 ans, le matin avant les cours et le soir après l'école, est-on vraiment libre ?" s'interroge un prof de gym. La question agace les musulmans, qui déplorent que seul l'islam soit pointé du doigt. "Je ne le souhaite pas, mais je remarque que personne ne parle du tika", souligne la directrice qui porte le voile. Le tika, ou poutou, est un cercle rouge peint sur le front des filles et des femmes tamoules de la Réunion, de religion hindouiste.

Quoi qu'il en soit, dit Raymond Mollard, ex responsable du Snes, "il y a tellement d'autres problèmes éducatifs [à la Réunion] qu'on ne s'oppose pas à une application compréhensive et oecuménique de la laïcité". Et Reynaldo Montserrat, directeur d'école dans l'est de l'île, d'ajouter : "Qu'est-ce qu'on en a à foutre de ce faux débat ? Moi, j'ai dû expliquer à des parents qu'ils n'auraient pas dû faire dormir leur enfant dans un bidon, une niche pour chien, parce qu'il a eu des mauvais résultats. Alors le foulard islamique, franchement, j'ai bien d'autres problèmes..."

(1) A la demande de la directrice, le nom de l'école n'est pas mentionnée


La loi sur le voile effraie l'outre-mer

A la Réunion, les élus demandent à bénéficier d'un statut dérogatoire.

Par Catherine COROLLER et Laurent DECLOITRE

C'est la surprise du chef. Hier, le cabinet du ministre de l'Education nationale a révélé que l'interdiction des signes religieux ostensibles à l'école s'appliquera aussi outre-mer, y compris à la Réunion et même éventuellement à Mayotte, où les élèves voilées sont nombreuses. Le projet de loi sur la laïcité, transmis hier au Conseil d'Etat, avant d'être présenté en Conseil des ministres le 28 janvier, comporte trois articles, et non pas deux comme l'indiquaient la semaine dernière des sources gouvernementales.

Le premier interdit les signes religieux ostensibles à l'école, le troisième indique que cette interdiction entrera en vigueur à la rentrée scolaire 2004. Le deuxième article précise que la loi sera applicable à Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie et à Mayotte, où la population est à 97 % musulmane. Dans ces territoires d'outre-mer, les collectivités pourraient choisir d'appliquer cette loi, de l'adapter ou d'en adopter une autre. Mais dans les quatre départements d'outre-mer, et notamment à la Réunion, l'interdit s'appliquerait en revanche sans réserves. Comme il n'y a pas d'interdit constitutionnel, le Parlement peut décider librement du champ d'application territorial de sa loi, explique un spécialiste du droit français des religions.

Risque de recours. A la Réunion, l'interdit risque de faire des vagues dans la communauté musulmane, forte d'environ 35 000 personnes sur une population de plus de 700 000 habitants. Et plus encore à Mayotte, où la polygamie est toujours légale. Le ministre de l'Education nationale, Luc Ferry, avait d'ailleurs souhaité que le port du voile reste toléré dans ces deux îles. Mais Jacques Chirac aurait refusé, insistant pour que l'interdiction concerne tous les départements français, afin de ne pas donner prise à des recours juridiques.

Hier, les Réunionnais ont déjà fait entendre leur colère. Le Président, qui vient régulièrement passer ses vacances dans ce département de l'océan Indien, n'a pas entendu les élus, de droite comme de gauche, qui demandent à être dispensés de la future loi sur le port de signes religieux ostensibles à l'école. Dans l'académie de la Réunion, des centaines d'élèves musulmanes portent un châle couvrant les cheveux sans que cela pose problème en cours. Pour la sénatrice Anne-Marie Payet (UDF-Réunion), cet équilibre risque d'être remis en cause par la loi et pourrait même exacerber le sentiment communautaire. "Chez nous, le port du voile est un fait culturel, pas cultuel, renchérit Jean-Paul Virapoullé, sénateur et patron de la droite locale. Je suis plutôt déçu de constater que cela n'a pas été pris en compte. On va se consulter avec les autres parlementaires pour voir si le projet de loi mérite d'être amendé. Si c'est le cas, on négociera avec le gouvernement". Avec la députée Huguette Bello (Parti communiste réunionnais), les élus de l'île demandent la reconnaissance de la spécificité réunionnaise.

Neutralité. Côté syndicats enseignants, seul Jean-Louis Pradel, président du Snalc, classé à droite, se déclare tout à fait réjoui par la loi antivoile. "L'école laïque doit être neutre. Dans ma classe de seconde, j'ai quatre jeunes filles qui portent le châle. L'une d'entre elles m'a dit qu'elle le quittera si cela devient interdit", assure ce professeur de lettres. Et les autres ? "Si elles estiment que le voile est indissociable de leur foi, elles peuvent aller à l'école coranique".

Une issue que craint justement Marie-Claire Hoareau (Unsa-Education). "J'espère que la loi ne va pas causer des problèmes là où il n'y en avait pas, et que l'intelligence va prévaloir. L'essentiel est d'éviter toute exclusion". Le recteur d'académie Christian Merlin veut croire, lui aussi, que la loi laisse un espace à la négociation. "Les signes religieux ostensibles sont interdits, les signes discrets sont donc permis. [...] Puisqu'il y a des jeunes filles qui portent le châle sans que les enseignants ou les parents s'en émeuvent, je ne vois pas pourquoi je considérerais cet usage comme un signe ostensible". Voilà qui a le mérite de la clarté. Ce qui est ostensible en Seine-Saint-Denis ne le serait donc pas nécessairement à la Réunion.

 


 

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