L'alerte rouge était à nouveau déclenchée hier sur l'île, paralysée depuis quatre jours.
Par Laurent DECLOITRE, Saint-Denis de la Réunion, correspondance
mercredi 28 février 2007
Encore la faute à un «radier». A la Réunion, de nombreuses routes traversent les rivières à même le lit, au lieu de les franchir sur un pont. Au Tampon, dans le sud, une automobiliste a tenté, hier, de passer le radier de la «ravine Don-Juan» en crue suite aux pluies diluviennes du cyclone tropical Gamède. L'imprudente a été emportée dans les flots boueux avec son véhicule. Il y a peu de chances de la retrouver en vie.
«On souffre à chaque cyclone à cause de ce réseau routier qui n'a pas suivi le développement économique et humain de notre territoire», s'est énervé Eric Magamootoo, président de la chambre de commerce. Effectivement, l'île, sous les eaux, était hier complètement paralysée pour le quatrième jour de suite. On ne comptait plus les routes bloquées par des éboulis, des cascades, des chutes de branches, des galets roulés par la houle de l'océan. Plusieurs villages étaient inaccessibles. Tant et si bien que le ministre de l'Outre-Mer, parti en catastrophe de Paris lundi soir, a dû annuler le programme concocté par la préfecture. François Baroin devait se rendre hier après-midi dans le sud pour contempler les restes du pont de la rivière Saint-Etienne, qui relie les communes de Saint-Louis et Saint-Pierre. Le tablier de 520 m de long s'est effondré dimanche, coupant les 250 000 habitants de cette région du reste de l'île. Caroline, maître auxiliaire en anglais, emprunte d'habitude le pont pour rejoindre le collège. La Réunionnaise ne se voit pas faire le tour de l'île tous les jours une fois le beau temps revenu, soit six heures de route aller-retour. «Honnêtement, ce n'est pas possible», explique-t-elle, espérant qu'une voie provisoire sera vite construite.
Hauteurs. Le ministre devait rencontrer à Saint-Pierre les «acteurs économiques». Las ! Plus une seule route praticable ! Et pas question de prendre l'hélicoptère, des rafales de vent atteignant dans les hauteurs de l'île les 200 km/h. François Baroin a dû se contenter de promettre que la «solidarité nationale» serait effective et rapide. Un refrain lancé aussi depuis Paris par Jacques Chirac, qui a assuré que les Réunionnais pouvaient compter sur la «mobilisation de l'ensemble des moyens de l'Etat». Les maraîchers, durement touchés, ont pris note. Ils avaient attendu de longs mois les indemnités prévues par l'état de catastrophe naturelle après le cyclone Diwa. La semaine prochaine, le prix des tomates va s'envoler sur le marché forain du Chaudron.
Les Réunionnais espéraient en avoir fini avec le cyclone tropical intense, qui les avait frappés au nord-est dans la nuit de samedi à dimanche. Mais le météore, qui a effectué un «looping», selon Météo-France, longeait hier la côte ouest de l'île, à 265 km et se rapprochait encore. «A nous de goûter», se résout, en créole, Françoise, en train de colmater ses fenêtres et ses portes, à Saint-Gilles-les-Hauts.
Le préfet a dû déclencher une seconde fois l'alerte rouge à 15 heures, après l'avoir levée la veille. Les Réunionnais n'ont eu que trois heures pour rentrer chez eux et se calfeutrer. Ensuite, toute sortie fut strictement interdite. Le dispositif est bien rodé, ce qui n'a pas empêché une légère pagaille. Si les écoles sont restées fermées depuis samedi matin, l'activité économique avait repris lundi. Toute la journée, les bouchons ont congestionné l'île. «On a été obligés de retourner au boulot et on a été bloqués !» s'emporte Johnny, coincé sur la route de la montagne, voie de secours lorsque la «route du littoral», principal axe économique de l'île, est interdite.
Pannes. «Les gens font le plein alors qu'ils n'auront plus le droit de circuler», soupire la gérante débordée d'une station-service de Rivière-des-Pluies, la bien nommée. «Je voulais acheter des bouteilles à la boutique chinoise, mais il y avait trop de queue», raconte Karine, qui va finalement «faire bouillir l'eau à la case». Dans les supermarchés, les Réunionnais se sont précipités pour faire le plein de bougies et de piles, en raison des inévitables pannes d'électricité. Hier à 18 heures, 40 000 foyers restaient encore dans le «fénoir» et 115 000 sans eau. Un bilan qui risquait de s'aggraver dans la nuit. D'autres n'ont plus le téléphone et prennent d'assaut les standards des radios locales. Ils donnent de leurs nouvelles à leurs proches, ou proposent d'héberger les automobilistes n'ayant pu regagner leur domicile avant l'alerte rouge.
Outre la personne disparue, on déplorait 3 blessés graves et 66 blessés légers, tandis que 230 personnes sinistrées étaient hébergées dans les centres communaux. Même sort pour 317 passagers restés en plan à l'aéroport de Gillot, après que leur avion a été détourné, de Maurice notamment. Les renforts d'EDF attendus de métropole ont d'ailleurs dû se poser à Djibouti. Deux quartiers populaires de Saint-Denis ont été évacués, en raison de la montée des eaux des rivières. «Nou lé pa protézé, na poin ciman» (1), se plaignait Benoît, en montrant l'endiguement de la rivière qui léchait déjà les tôles de sa petite case d'Ilet Quinquina.
Hier soir, la Réunion se préparait à une nuit difficile : en trois jours, il est tombé 1 700 mm d'eau (contre environ 700 mm en moyenne en un an dans un département de métropole...), et Météo-France annonçait des «pluies torrentielles». Aujourd'hui, quelle que soit l'évolution du temps, les écoles resteront fermées, a indiqué François Baroin, qui doit aujourd'hui se rendre près de la rivière Saint-Etienne, là où le pont n'est plus qu'un souvenir.
(1) «On n'est pas protégés, il n'y a pas de ciment».
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