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L'actu vue par Laurent DECLOITRE

L'actu vue par Laurent DECLOITRE

Les articles de Laurent Decloitre (journaliste et biographe) sur la Réunion et l'océan Indien parus dans Libération, Marianne, Paris Match, l'Express, Géo et la presse nationale.

Publié le par Laurent DECLOITRE
Publié dans : #Articles parus dans Libération
Pascal Amémoutou, chez lui, dans le quartier de Bellemène, à Saint-Paul, 20 février 2025. (R. Philippon/Inland pour Libération)

Pascal Amémoutou, chez lui, dans le quartier de Bellemène, à Saint-Paul, 20 février 2025. (R. Philippon/Inland pour Libération)

Alors que le groupe Stellantis a rappelé 235 000 voitures en métropole, à La Réunion, 35 000 conducteurs ont été sommés mi-février d’arrêter «immédiatement» d’utiliser leur véhicule. La majorité des automobilistes victimes d’airbags défectueux de la marque Takata vivaient en outre-mer.

Libération du 21 février 2025
De notre correspondant, Laurent DECLOITRE

Quand un système censé vous sauver la vie devient une machine à tuer. Le 31 janvier, un conducteur de Honda Jazz de 2003 est décédé après l’explosion de son airbag de la marque Takata, à La Réunion. C’est la deuxième victime de l’île. Le 20 septembre 2021, Emmanuelle Sauger avait perdu la vie dans les mêmes circonstances, lors d’un accrochage au volant de sa DS3. Au moins quinze personnes sont mortes à cause d’airbags Takata en France depuis 2016, presque toutes en outre-mer, principalement aux Antilles. La raison de cette dramatique spécificité ? Le climat chaud et humide détériorerait le système de déclenchement de cette marque d’airbag, qui peut alors projeter des pièces métalliques létales lors de son gonflage.

Le ballon censé vous protéger se transforme en «pistolet braqué sur votre tête» résume Pascal Amémoutou. Ce maçon réunionnais de 58 ans a été grièvement blessé à la tête en 2022, alors qu’il conduisait une Citroën C3. Le compte-rendu de son hospitalisation compare ses blessures à «un traumatisme balistique de très gros calibre» : une pièce métallique a transpercé sa bouche avant de se loger dans le crâne. «Je suis un miraculé», confie Pascal, qui n’a pas repris le travail depuis. Le père de trois enfants souffre d’acouphènes, ne peut ouvrir grand la bouche et doit encore subir une opération de la mâchoire. Il a porté plainte contre les concessionnaires et les constructeurs pour «mise en danger d’autrui et blessures involontaires», comme de nombreuses autres victimes.

Rappel du type «alerte enlèvement»

Face aux accidents à répétition, le syndicat de l’importation et du commerce de la Réunion (Sicr), le comité des assureurs, une députée et la préfecture de La Réunion ont sommés environ 35 000 automobilistes à «cesser immédiatement» de rouler, le 14 février lors d’une conférence de presse. Une campagne dite «stop drive» qui concerne près d’une trentaine de marques, pour des voitures construites entre 1998 et 2019. «Dès 2020, les constructeurs avaient lancé des campagnes de rappel locales, relayées par les concessionnaires, mais on n’arrivait pas à toucher tout le monde», reconnait Philippe-Alexandre Rebboah, président du Sicr. Certains destinataires n’auraient par ailleurs pas pris au sérieux ces courriers, qui étaient nettement moins alarmistes qu’aujourd’hui.

Les revendeurs de voitures se sont donc résolus à passer la vitesse supérieure, «du type alerte enlèvement» selon le président du Sicr. Cette fois, les spots radios évoquent, en créole, des blessures graves, «voire la mort». La campagne va se décliner sur internet et sur les panneaux d’affichage et des hôtesses vont sensibiliser les habitants dans les supermarchés. Les concessionnaires, eux, ont augmenté leurs effectifs pour vérifier et changer les airbags, loué des terrains pour y installer des garages de campagne, étendu leurs horaires d’ouverture…

Philippe-Alexandre Rebboah a même demandé au ministère des Transports de prendre d’autres mesures, radicales, si une voiture est concernée par les rappels : l’immobilisation sur la route par les gendarmes et policiers en cas de contrôle routier, le refus de valider le contrôle technique ou encore le blocage de la vente. En vain à ce jour. Lors des questions au gouvernement, mercredi 19 février, la députée (GDR) de La Réunion, Karine Lebon, a indiqué vouloir réunir les parlementaires ultramarins pour demander l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire, intimant à ce qu’«un tel scandale industriel ne se reproduise pas».

Automobilistes inquiets

Christelle Sauger, vice-présidente de l’association des victimes d’airbags, dont la sœur est décédée en 2021 sur les routes du département d’outre-mer, se félicite de cette mobilisation mais regrette qu’elle arrive «trop tard». Surtout, elle dénonce ce qu’elle considère comme une «culpabilisation» des automobilistes : «Ils disent que les Réunionnais n’ont pas pris au sérieux les lettres de rappel. Mais ma sœur Emmanuelle n’avait rien reçu. En tant que notaire, elle était très carrée et aurait immédiatement rapporté sa DS pour changer l’airbag si elle avait su !» Le concessionnaire a finalement envoyé un courrier… un an après sa mort.

Même scénario pour Elisa Ramaye. La jeune femme d’aujourd’hui 28 ans a été grièvement blessée le 10 décembre 2019 par l’airbag de sa C3. «J’ai découvert qu’il était défectueux lors de l’expertise technique, après l’accident. Je n’ai reçu un courrier me demandant de ramener au garage ma voiture qu’un an et demi après ! Ça sonnait comme des aveux !» Aujourd’hui, la mère de famille, reconnue comme handicapée, ne travaille plus, souffre de dépression et doit subir une greffe osseuse pour reconstituer sa mâchoire, puis une opération de chirurgie plastique.

Les concessionnaires promettent désormais de remplacer les airbags en «trois à quatre mois», mais, à ce jour, il est bien difficile d’obtenir un rendez-vous. Dès le lendemain de la conférence de presse, la concession BMW de Saint-Denis a reçu plus de 450 appels d’automobilistes inquiets… À la Sogecore, la société qui commercialise localement les Honda, Nissan et autres Seat, on informe d’un délai de trois semaines, voire un mois, et encore, «si la pièce est en stock»… En attendant, de nombreux automobilistes roulent «la peur au ventre», comme Mélanie : «Il faut bien aller travailler, ce ne sont pas eux qui paieront nos factures et notre loyer». Ceux qui ne veulent prendre aucun risque doivent donc louer une voiture, à leurs frais. Christelle Sauger ne décolère pas : «On nous promet une réduction chez les sociétés de location. Mais on marche sur la tête ! On nous a vendu un produit avec des malfaçons et c’est à nous de payer !»

Lors des premières campagnes de rappel, les automobilistes réunionnais avaient reçu des compensations. En août 2023, Christophe (1), propriétaire d’une Citroën C3, s’était vu proposer une voiture de courtoisie, le temps des réparations, ou un dédommagement de 50 euros par jour. "J'avais reçu au total 2300 euros !", n'en revient-il toujours pas. Durant les six semaines d'immobilisation de son véhicule, il avait utilisé son vélo...

(1) Le prénom a été modifié.

Pascal a failli perdre la vie.

Pascal a failli perdre la vie.

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