Lors de l'épidémie qui avait touché la Réunion en 2005-2006, quelque 260 000 habitants avait été frappés par le virus du chikungunya. (Soumyabrata Roy/NurPhoto. AFP)
La préfecture a décrété lundi 13 janvier le niveau 3 du plan Orsec «arboviroses» pour contrer la résurgence de l’épidémie qui avait disparu il y a vingt ans. Depuis sa réapparition sur l’île en août, 200 malades ont déjà été recensés.
Libération du 14 janvier 2025
De notre correspondant, Laurent DECLOITRE
«Du jour au lendemain, je ne pouvais plus ouvrir une bouteille ou me coiffer…» Katell, 41 ans, a immédiatement compris : le 6 janvier, la Réunionnaise a contracté la maladie de «l’homme courbé», transmise par l’Aedes albopictus, ou moustique tigre. Douleurs articulaires, gratelle dont les plaques rouges sur la peau démangent furieusement et, surtout, une grosse fatigue ; une prise de sang a confirmé les symptômes du chikungunya, même en l’absence de forte fièvre, habituellement fréquente. L’habitante de L’Etang-Salé, une des communes du sud-ouest de la Réunion particulièrement touchée par le retour surprise du virus depuis août, fait partie des quelque 200 cas avérés à être tombé malades dans le département à ce jour.
Cette flambée surprenante, vingt ans après la terrible épidémie de 2005-2006 qui avait traumatisé la population de la Réunion, a conduit la préfecture à déclencher lundi 13 janvier le niveau 3 du plan Orsec «arboviroses». La décision correspond à la circulation d’une épidémie encore de faible intensité. Mais comme l’été austral est chaud cette année et que les élèves reprennent bientôt le chemin de l’école, les autorités craignent une explosion des cas. «Je veux sonner la mobilisation générale», a averti hier le préfet de la Réunion, Patrice Latron, venu suivre les mesures prises par l’agence régionale de la santé (ARS) à l’Etang-Salé.
«Pas envie que ça recommence !»
«Nous intervenons dès la survenue d’un cas, en traitant le jardin du malade et un périmètre d’une centaine de mètres, le rayon d’action du moustique», détaille Gérard Cotellon, directeur général de l’ARS. En cette après-midi chaude et humide, un agent enfile une combinaison blanche, se munit d’un masque et attelle sur son dos un pulvérisateur thermique pour répandre de l’insecticide, ce qui rebute certains habitants. Eric Turpin, technicien sanitaire, déplore qu’«environ 5 % des particuliers refusent l’intervention des agents». Ce n’est pas le cas de Michèle Paré, 81 ans, qui part se réfugier, le temps de la pulvérisation, dans son salon climatisé. «Au moins, à l’intérieur, il n’y a pas de risque de se faire piquer», plaisante l’octogénaire. Son voisin, Janus Savigny, est également adepte de ces interventions ; il faut dire que sa parcelle, où poussent dans la pagaille bananiers, maniocs et patates douces, regorge de moustiques tigres. «En 2006, se souvient-il, j’ai été la 1 169e victime du «chik», pas envie que ça recommence !»
Bonne nouvelle : une fois qu’on a eu le chikungunya, on ne peut pas l’avoir une seconde fois... «en l’état actuel des connaissances scientifiques», précise l’entomologiste Cyrille Czeher. Les anticorps développés au moment de la maladie conféreraient donc une immunité à vie. De quoi rassurer les quelque 260 000 Réunionnais que le virus avait frappés en 2005-2006. Mais depuis, la population a évolué : les jeunes de moins de 20 ans, les nouveaux arrivants et ceux qui n’avaient pas contracté la maladie représenteraient aujourd’hui 80 % des Réunionnais. D’où le cri d’alarme du préfet : «Ça peut être grave, ouvrez vos portes.»
Les interventions dans les jardins privés facilitées
Le plan Orsec va justement permettre aux agents de l’ARS et aux employés communaux d’intervenir plus facilement dans les jardins privés. Mathieu Hoarau, le maire (sans étiquette) de l’Etang-Salé, s’en félicite : «Jusqu’à présent, il fallait attendre deux mois après une mise en demeure pour avoir le droit de rentrer dans la cour d’une maison abandonnée.» Même satisfecit après la décision du préfet de reventiler une partie du budget alloué aux emplois aidés «parcours emploi compétence» (PEC). «L’aide de l’Etat accordée aux communes pour embaucher des PEC était descendue à 53 %, souligne le préfet Patrice Latron. Je l’ai remontée à 65 % si les agents sont affectés à la lutte anti-vectorielle.» La mesure devrait permettre aux 24 communes de l’île de recruter 400 nouveaux agents ; ils s’ajouteront aux 70 titulaires de l’ARS, qui va recruter prochainement «100 à 200 intérimaires en fonction des besoins».
Mais, martèlent les autorités, ces efforts seront vains si la population n’y met pas du sien : 80 % des gîtes larvaires (coupelles remplies d’eau, pneus, déchets…) sont créés par les habitants autour de leur maison. Il faut également se protéger en s’aspergeant du répulsif sur la peau et en dormant sous une moustiquaire. Fort heureusement, il semblerait que la souche actuelle soit moins virulente que celle d’il y a vingt ans. Quant à savoir pourquoi le virus resurgit aujourd’hui, les spécialistes évoquent «un cycle» naturel, «un mécanisme de circulation», propre au virus, sans grande certitude pour l’heure.
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