Opération Wuambushu à Mayotte : Darmanin montre les muscles, les assos craignent une action «inhumaine»

Les forces de l’ordre doivent mener une vaste opération de destruction de bidonvilles, où vivent de nombreux Comoriens en situation irrégulière, et les expulser dans leur île d’origine. Ces mesures exceptionnelles, soutenues par les Mahorais, soulèvent l’inquiétude de nombreuses associations.

Libération du 21 avril 2023
De notre correspondant à La Réunion, Laurent Decloitre

«Désolé, nous sommes complets jusqu’au 20 juin.» Aucune disponibilité au Caribou, à Mamoudzou, l’un des hôtels de la capitale mahoraise. Idem au Maharajah. Toutes les chambres sont occupées par 510 policiers et gendarmes, arrivés en renfort de métropole au cours de la semaine pour mener à bien l’opération Wuambushu, qui doit débuter dimanche ou lundi et durer deux mois. Cette «reprise» en main – la traduction française du shimaoré – est orchestrée par Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, pour venir à bout de l’immigration massive dans le département de l’océan Indien : à Mayotte, 48 % de la population est de nationalité étrangère, et les immigrés en situation irrégulière représenteraient un tiers des habitants.

Wuambushu suscite l’effervescence sur l’île, où la population, de confession musulmane, célèbre ce week-end la fin du ramadan. Dans le Figaro, Darmanin affirme que l’opération sécuritaire viserait à «éviter l’attentat islamiste», propos surprenants sur une île où la foi musulmane s’est toujours développée dans la concorde. Un des autres objectifs du gouvernement est de détruire les bidonvilles qui s’étalent un peu partout sur l’île. Dans ces cases de planches et de tôles s’entassent des Comoriens sans papiers, mais aussi des étrangers en situation régulière et des Mahorais. La préfecture de Mayotte rase régulièrement de tels «bangas» : l’an dernier, 498 cases ont été détruites, 119 étrangers hors-la-loi interpellés et 114 personnes relogées. Mais la nouvelle opération prétend changer d’échelle ; il s’agirait de mettre à bas, en huit semaines seulement, un millier de cahutes. Un objectif qui semble démesuré : dans le cadre de la loi Elan, une destruction d’habitat insalubre est soumise à des enquêtes sociales préalables et à une obligation de relogement.

Lutte contre la «délinquance hors norme»

Dans la foulée, Darmanin espérerait reconduire 10 000 clandestins aux Comores, situé à seulement 70 km des berges françaises. En temps normal, Mayotte expulse entre 20 000 et 30 000 immigrés par an (25 380 en 2022). Gil Cornevaux, président du tribunal administratif de La Réunion et de Mayotte, a d’ores et déjà pris ses précautions, en vue des recours qui ne manqueront pas d’être déposés par les avocats des migrants interpellés. «En moyenne, la préfecture de Mayotte procède à 80 interpellations par jour, ce qui nous amène à statuer sur 135 à 150 référés liberté par semaine, détaille le magistrat. Avec Wuambushu, on s’attend à 250 voire 280 interpellations quotidiennes.» Aussi, plusieurs magistrats ont-ils été dépêchés à Mamoudzou, et un local de rétention administrative, provisoire, a été installé sur Grande-Terre, pour suppléer celui de Petite Terre, qui risque d’être submergé.

Cela étant, la France n’est pas à l’abri d’un refus des Comores d’accueillir ses compatriotes, ce qui compromettrait l’opération. Moroni rappelle régulièrement qu’elle considère Mayotte comme partie intégrante de son territoire dont elle revendique la souveraineté. Le 10 avril, l’Union des Comores a publié un communiqué dans lequel elle demande «aux autorités françaises de renoncer à une telle opération». Pour le président Azali Assoumani... (Lire la suite sur Libération)