Ericka Bareigts récolte 23,5% des intentions de vote selon un sondage Sagis-Réunion 1ère. (P.Marchal)
Malgré ses démêlés judiciaires, le président sortant divers droite, Didier Robert, qui promet l'autosuffisance électrique de l'île d'ici à 2023, espère devancer les écologistes et la gauche qui partent en ordre dispersé.
Libération du 7 juin 2021, de notre correspondant Laurent DECLOITRE
Photos Pierre Marchal
Certains dénoncent un nouvel épisode de greenwashing, d’autres reconnaissent un véritable virage vert. En tout cas, Didier Robert, président sortant du conseil régional, qui se représente malgré des casseroles judiciaire et le boulet d’un projet pharaonique, et inachevé, d’une route sur la mer, redouble d’énergie. L’élu divers-droite (Objectif Réunion) a annoncé que « près de 100% de l’électricité de l’île » seront produits « dès 2023 » à partir d’énergies renouvelables.
« Une avancée phénoménale », argue celui qui est soutenu par Les Républicains et la moitié des maires de La Réunion, dont Michel Vergoz, ancien secrétaire fédéral du PS. « Un petit bout de chemin », relativise Vanessa Miranville, maire atypique de La Possession, « écolo pragmatique » qui se présente aux régionales à la tête de son mouvement citoyen Créa. Et de rappeler que « près de 70% de notre facture énergétique est due aux transports, pas à l’électricité. Il faut plus d’ambition. »
A ce jour, seulement 31,2% des quelque 3000 GWh (Gigawatt-heures) produits dans le département sont issus des barrages hydroélectriques d’EDF (13,7%), du photovoltaïque (8,5%) et de la combustion de la bagasse, un déchet de la canne à sucre (7,9%). Les 68,8% restants ? Ils proviennent d’énergies fossiles importées d’Afrique du Sud ou de Singapour : fioul, gazole, charbon plus les huiles usagées. Car La Réunion, territoire insulaire, est une zone non interconnectée au réseau national d’EDF et ne bénéficie pas de l’électricité nucléaire. D’où un coût de production deux fois plus élevé qu’en métropole, mais des tarifs identiques pour les consommateurs.
Granulés de bois
Comment le président de la collectivité compte-t-il parvenir à cette électricité verte, lui qui avait mis fin au programme Gerri (Green Energy Revolution Reunion Island) ? Elu une première fois en 2010 au conseil régional, Didier Robert avait en effet coupé les financements de ce projet ambitieux porté par son prédécesseur communiste, Paul Vergès. Oubliée, la production d’électricité à partir de la chaleur du volcan ou de la houle de l’océan Indien, oublié, le réseau de climatisation alimentée par les eaux froides et profondes, regrette aujourd’hui encore Maurice Gironcel, dernier maire communiste de l’île. Son ancienne camarade de parti, Huguette Bello, maire de Saint-Paul et régulièrement en tête des sondages de popularité, éprouve la même nostalgie. Si la candidate divers gauche du mouvement Pour La Réunion est élue à la tête de la Région, elle promet de recréer « une structure sur le modèle initié par le groupement Gerri ».
Mais le vent a tourné, même si les éoliennes ne représentent que 0,4% du mix électrique de l’île… Dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) 2019-2028, Didier Robert a signé une convention avec l’Etat, EDF-PEI, filiale d’EDF, et Albioma, les deux principaux producteurs d’électricité de l’île.
Le groupe Albioma s’est engagé à transformer ses deux centrales thermiques implantées à La Réunion : fin 2023, les fours de Bois-Rouge d’abord, puis du Gol, ne brûleront plus du charbon, mais de la biomasse, c’est-à-dire de la matière organique. L’idée est de remplacer les 600 000 tonnes de charbon importées chaque année par près de 750 000 tonnes de granulés de bois. Le hic, c’est qu’il a été identifié seulement 100 000 tonnes mobilisables de cette biomasse à La Réunion. Même si un partenariat a été signé avec l’ONF, pour collecter de l’acacia et du cryptomeria, il faudra donc importer. « Nous préfèrerions compléter par un approvisionnement régional, en Afrique ou en Asie, assure Pascal Langeron, directeur général adjoint d’Albioma. Mais il faut que les forêts exploitées le soient durablement et que les arrivées soient sécurisées. Sinon, on risquerait des pannes d’électricité ! »
Pas d’autonomie électrique
Pour ces raisons, Albioma s’apprête à faire appel à la société Enviva, qui l’approvisionne déjà aux Antilles. Les arbres seront coupés en Amérique du Nord et les granulés arriveront par bateau, après trois semaines de mer. « Un scandale », selon Jean-Pierre Marchau. Pour le candidat aux régionales d’Europe Ecologie Les Verts, « la combustion du bois n’est pas neutre et émet même plus de CO2 que celle du charbon ». Par ailleurs, le conseiller municipal de Saint-Denis rappelle qu’Albioma est « au cœur d’une intense polémique pour son exploitation intensive des forêts naturelles des Etats-Unis ». Certes, le bois en cause est, selon Enviva, certifié FSC ou PEFC, écolabels attestant d’une gestion durable de la ressource ; pour autant, plusieurs ONG internationales demandent de « suspendre le projet réunionnais tant qu’il n’y a pas d’étude d’impact ». L’Autorité environnementale a d’ailleurs émis de fortes réserves sur la PPE de La Réunion dans son délibéré du 5 mai dernier. « Le choix de l’importation massive de biomasse soulève des questions majeures sur son impact environnemental », estime l’instance indépendante.
A la Région, Didier Robert s’enflamme : « Vaut-il mieux faire venir des tankers et brûler du fuel ou du charbon ?! » Toujours est-il que la collectivité ne respectera pas la loi relative à la Transition énergétique pour la croissance verte. Le texte de 2015 fixe comme objectif, à l’horizon 2030, l’autonomie énergétique dans les départements d’outre-mer. « La Réunion va devenir un hors-la-loi climatique », accuse Jean-Pierre Marchau. L’électricité sera certes renouvelable, mais importée ; quant aux carburants nécessaires aux transports, qui représentent deux tiers de l’énergie consommée, ce seront toujours des dérivés du pétrole, importés eux-aussi. Conclusion de l’Autorité environnementale : « La PPE ne retient ni l’objectif d’autonomie énergétique à l’horizon 2030 prévu dans la loi, ni même l’indépendance au regard des combustibles fossiles ».
Colza et tournesol
La conversion de la centrale thermique du Port-Est d’EF-PEI, qui couvre 35% des besoins électriques de La Réunion, laisse une même impression de verre à moitié plein. Les 200 000 tonnes de fuel lourd importées seront remplacées avant fin 2023 par une quantité semblable d’huiles de colza et de tournesol, transformées en esters. Cette biomasse liquide proviendra « très probablement de France », indique Alexandre Sangelin, directeur d’EDF-PEI, car « peu de pays respectent les critères européens de durabilité ». La combustion de ces huiles ne produira plus de soufre ni de métaux lourds, mais toujours du dioxyde de carbone. Ces émissions seront compensées par le CO2 que captureront les oléagineux durant leur croissance... en métropole. Quant aux turbines à combustion d’EDF-SEI, autre filiale d’EDF, elles continueront à fonctionner au gazoil comme « moyens de secours ».
« La solution de la paresse »
Ce schéma laisse pour le moins dubitatif Patrick Lebreton, maire de Saint-Joseph, une commune rurale. L’ancien député socialiste, qui mène lui-aussi sa propre liste, parle de « leurre ». Ericka Bareigts, la candidate officielle du PS aux régionales, donnée comme favorite par bon nombre d’observateurs, est plus sévère encore. Il faut dire que l’ancienne ministre de l’Outre-Mer de François Hollande connaît bien le sujet : elle avait rendu en 2014, alors députée, un rapport sur les énergies en outre-mer, dont s’inspira la loi de 2015 sur la Transition énergétique. « Après deux mandats, Didier Robert n’a pas fait de travail de fond, assène la maire actuelle de Saint-Denis. Il a choisi la solution de la paresse et de la facilité, avec l’importation de biomasse. Le solaire est en pâturage, l’éolien anecdotique, et rien n’a été entrepris pour réduire la consommation électrique ». Si elle l’emporte, Ericka Bareigts compte amender la PPE de la Région, pour booster les énergies renouvelables locales, notamment l’autoconsommation solaire, « trop onéreuse aujourd’hui pour les particuliers ». La candidate milite également pour la construction de bâtiments bioclimatiques, la maîtrise de l’énergie, le développement des mobilités douces. Et de rappeler à ce sujet que la Réunion est l’une des rares régions de France à ne pas avoir abondé la prime de l’Etat à l’achat d’un vélo électrique. « L’énergie verte est un sujet politique, conclut-elle. Cela a un coût, il faut l’assumer ».
Laurent DECLOITRE
Didier Robert a été condamné le 21 mai à 3 ans d'inégibilité 15 mois de prison avec sursis. Le tribunal l'a reconnu coupable de prise illégale d'intérêts, d'abus de bien social, d'omission de déclaration de revenus à la Haute autorité pour la transparence de la la vie publique, alors qu'il était président de la société publique locale Réunion des musées régionaux Didier Robert s’était octroyé un salaire de 8400€ irrégulièrement selon la chambre régionale des comptes. L’élu a annoncé qu’il fait appel. Il conteste les infractions qui lui sont reprochées, assurant qu’il n’a « jamais voulu contourner la loi ». Le Journal de l'île a rendu public la semaine dernière un autre rapport de la CRC selon lequel Didier Robert emploie 22 collaborateurs au sein de son cabinet, au lieu des 6 maximum autorisés par la loi. La collectivité dément.
Une seule liste à droite, mais pléthore à gauche : la candidate socialiste sera opposée, outre Huguette Bello, dissidente communiste (Pour la Réunion), à Patrick Lebreton (Réunion des territoires) et Olivier Hoarau (dissident Pour La Réunion), à deux listes écologistes, de Jean-Pierre Marchau (EELV) et de Vanessa Miranville (Créa), et une liste de Lutte ouvrière.
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