Quatre patients mahorais doivent décoller ce jeudi à 18h15 (heure de la métropole) depuis l’aéroport Roland Garros de Sainte-Marie. Un défi au vu des distances, de la durée du vol et des contraintes logistiques et médicales.
Laurent DECLOITRE, Libération du 4 mars 2021
Il est 11 heures du matin à La Réunion et les deux réacteurs du Boeing 787 Dreamliner tournent déjà sur le tarmac de l’aéroport Roland Garros, à Sainte-Marie. A l’intérieur de l’avion, logisticiens, médecins, et personnels navigants s’activent pour les ultimes préparatifs. A 21 h 15 (18 h 15 heure métropole) l’appareil décollera pour Roissy, avec à son bord quatre malades du Covid. «Une première mondiale», assure Lionel Calenge, le directeur du centre hospitalier universitaire de Saint-Denis.
Pourtant, le CHU organise des évacuations sanitaires vers la métropole «au moins une fois par semaine», selon Bertrand Guihard, chef de service du Samu de la Réunion. De même, l’hôpital de Saint-Denis accueille chaque année environ 1 200 «évasan» – évacuations sanitaires – en provenance de Mayotte, située à 2 heures d’avion. Mais aujourd’hui, il s’agit d’un vol de 11 heures, de plus de 10 000 km, avec des patients hautement contagieux, dans un «état grave», intubés et en réanimation. Et le transfert a lieu dans un avion spécialement affrété pour l’occasion, non pas sur un vol commercial avec des passagers.
Les quatre hommes et femmes évacués vivent à Mayotte, où l’hôpital de Mamoudzou, le seul de l’île, est saturé. Depuis une semaine, ils étaient soignés au CHU de Saint-Denis, mais c’est au tour de la Réunion d’être au bord de l’implosion. Le taux d’occupation des 122 lits de réanimation du département d’outre-mer est «supérieur à 85 %, voire 90 % certains jours, indique Martine Ladoucette, directrice de l’Agence régionale de la santé. Si on n’est pas proactif, on pourrait ne plus pouvoir répondre aux besoins des urgences vitales.» Aussi, depuis des semaines, la communauté médicale, en lien avec le ministère de la Santé et Samu France, travaillait sur un projet d’évacuation sanitaire à Paris. Il a d’abord été envisagé de transférer une dizaine de patients par vol sur un 777. C’était sans compter avec les contraintes administratives et techniques. «Si on n’obtient pas de dérogation, on ne peut bouger le moindre bouton dans un avion», soupire un urgentiste. «On ne les accorde que sur les doigts de la main», confirme Lionel Montocchio, directeur de la sécurité de l’aviation civile océan Indien.
«Bouffée d’oxygène»
Mardi, le certificat de transport aérien a enfin été débloqué, sous certaines conditions. Seules quatre civières sont installées à bord, alors même que l’avion compte 276 places en vol commercial. Deux à l’arrière de l’appareil, contre les hublots ; deux autres au milieu des travées, pour permettre la circulation du personnel soignant de chaque côté. Sous chacune des civières métalliques, des bouteilles d’oxygène ont été fixées. Au total, le 787 embarque plus de 38 000 litres du précieux gaz ! Et plus de 700 kilos de matériel. La carlingue est divisée en trois parties : la zone rouge, à haute densité virale, où sont médicalisés les patients, inconscients ; un plastique la sépare de la zone orange, qui n’occupe que trois rangées de fauteuils, où les médecins peuvent s’habiller et se déshabiller ; enfin, la zone verte, à l’avant, où l’on peut se reposer et se restaurer.
Le vol est assuré par onze agents d’Air Austral, tous volontaires malgré les risques. «On a reçu 120 candidatures sur nos 300 personnels navigants et commerciaux», se félicite Benoit Schafer, directeur général adjoint de la compagnie régionale. Côté médical, dix médecins et infirmières du Samu de la Réunion, mais aussi de Paris et même de Loire-Atlantique prendront en charge les quatre malades. Soit, avec les brancardiers et les logisticiens, un peu plus de trente personnes à bord. Le coût de l’opération est estimé à plusieurs centaines de milliers d’euros. L’avion d’Air Austral a été affrété par International SOS France, une compagnie d’assistance spécialisée dans les «prestations de prévention et sécurité médicales». Elle a été mandatée par Paris pour assurer la coordination du vol entre toutes les parties.
Les patients mahorais ont été sélectionnés en raison de la stabilité de leur état et de leur âge pour cette première. «Tout ce qui pouvait être fait pour sécuriser leur transfert l’a été, affirme Sabrina Wadel, secrétaire générale du CHU. Ce transfert va apporter une vraie bouffée d’oxygène à l’hôpital.» Depuis quelques jours, l’épidémie de Covid-19 semble amorcer une décrue à Mayotte mais, à la Réunion, le taux d’incidence a été multiplié par trois en trois semaines, conduisant le préfet à instaurer à partir de vendredi un couvre-feu de 18 heures à 5 heures du matin. Si cette première évacuation sanitaire se déroule bien, et si la situation s’envenime à la Réunion, l’opération Hippocampe, comme elle a été baptisée, sera réitérée.
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