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L'actu vue par Laurent DECLOITRE

L'actu vue par Laurent DECLOITRE

Les articles de Laurent Decloitre (journaliste et biographe) sur la Réunion et l'océan Indien parus dans Libération, Marianne, Paris Match, l'Express, Géo et la presse nationale.

Publié le par Laurent DECLOITRE
Publié dans : #Articles parus dans Libération
Dominique Voynet est la nouvelle directrice de l'ARS de Mayotte.

Dominique Voynet est la nouvelle directrice de l'ARS de Mayotte.

L’ex-ministre de l’Environnement, à la tête de l’agence régionale de santé de Mayotte, garde sa liberté de parole.

De notre envoyé spécial à Mayotte, Laurent DECLOITRE
Libération du 16 novembre 2020
Photos David Lemor

Un directeur de la santé publique en short, un directeur de cabinet en tongs… Ambiance vacances à l’agence régionale de santé (ARS) de Mayotte ? Pas vraiment. Nous sommes samedi après-midi et comme tous les week-ends depuis mars dernier et l’épidémie de Covid qui touche le département d’outre-mer, la garde rapprochée de Dominique Voynet est sur le pont. Dominique Voynet, oui…  Le 1er janvier 2020, l’ancienne ministre de l’Environnement de Lionel Jospin a été nommée par le gouvernement directrice de l’agence. Ses locaux sont implantés à Kawéni, dans la banlieue de Mamoudzou, au pied d’un des plus grands bidonvilles de France, son bureau est étroit et sombre et, de son propre aveu, elle mène désormais une vie de « célibat géographique », loin d’un compagnon dont elle tait l’identité, une vie un peu « dure » à supporter… Mais qu’est venue faire dans cette galère l’écolo qui fut deux fois candidate à l’élection présidentielle ?

Retour en 2014. Son mandat de maire de Montreuil, en Seine-Saint-Denis, s’achève dans la douleur. « Ce fut l’expérience la plus difficile de ma vie, confie Dominique Voynet, qui a changé de chemisier pour la séance photos. J’en avais assez des ragots, j’aspirais à une forme de paix, sans être dans la responsabilité de l’exécution ». Anesthésiste réanimatrice de formation, elle devient, via le tour extérieur, inspectrice générale des affaires sociales. Durant cinq ans, elle mène des missions, notamment en outre-mer, rencontrant des « gens intelligents », savourant « le temps de l’analyse et de la préconisation ». Un pantouflage de fin de carrière ? Voilà qu’Agnès Buzyn, la ministre de la Santé du gouvernement Philippe, lui propose l’ARS de la Guyane. « J’ai refusé, il fallait l’énergie de quelqu’un de 45 ans sur une zone aussi vaste ! », plaide la co-fondatrice du parti des Verts, l’ancêtre d’EELV. Mais « l’envie de revenir dans l’action était à nouveau là ». Dominique Voynet obtient Mayotte, « un petit territoire »… et un désert médical français, où tous les indicateurs sanitaires sont en-dessous de la moyenne nationale, où l’ARS apprend à se défaire de la tutelle de La Réunion. A 62 ans, celle qui fait tous les samedis matin de la plongée sous-marine dans l’immense lagon de Mayotte, relève le défi. « Mais à mon âge, je n’ai plus envie de m’emmerder avec des choses dont je n’ai pas envie », prévient-elle.

Le préfet et le recteur de Mayotte, interlocuteurs quotidiens en ces temps d’épidémie, l’ont visiblement compris… « Elle écrase tout le monde de son poids politique, personne ne moufte », s’amuse un des participants aux réunions de crise. Malgré son nouveau statut de fonctionnaire, et son devoir de réserve, qu’elle fait mine d’accepter, Dominique Voynet se sent plus libre qu’autrefois. « En politique, explique l’ancienne élue, on doit réfléchir à ses prises de parole, qui peuvent compromettre un projet, un financement, l’adhésion des électeurs ». Alors qu’aujourd’hui… Elle révèle en avril dernier, déclenchant une crise diplomatique, que le plus haut dignitaire musulman des Comores voisines, le Grand Cadi, est mort de la Covid, alors que le pays se déclarait indemne du virus. Dans ses relations avec les médias locaux, dans la gestion d’une récente grève des employés de l’ARS, qui diffusaient au micro des versets coraniques, et même dans l’analyse de la gestion de l’épidémie par le gouvernement, personne ne peut la contrôler. En juillet, devant la commission d’enquête du Sénat, elle dénonce « des décisions brutales et inapplicables », un certain « amateurisme », une « lourdeur ministérielle », des directives « inadaptées à la réalité du territoire »… Pourtant, l’île, qui n’est pas concernée par le confinement national, ne s’en sort pas si mal : même si la situation est tendue, la flambée d’une épidémie incontrôlée  dans les bidonvilles n’a pas eu lieu et les derniers chiffres sont stables. Depuis le début de la crise, près de 5000 cas ont été diagnostiqués et 46 décès déplorés.

La nouvelle patronne de l’ARS se sent-elle intouchable ? Lors de la venue début novembre du secrétaire d’Etat Adrien Taquet, en charge de l’Enfance, elle se lève dans l’hémicycle du conseil départemental pour apostropher l’animatrice qui ne porte pas de masque… Tout le monde baisse les yeux. En revanche, lors de notre entretien sous la chaleur écrasante de ce début d’été austral, Dominique Voynet ne juge pas la protection nécessaire, la distanciation étant suffisante... Elle sait pertinemment que si Matignon ou l’Elysée voulait la démettre un mercredi en conseil des ministres, il lui suffirait de réunir une conférence de presse pour embarrasser l’exécutif. « Je n’abuse pas de ma position, assure-t-elle pour autant. Je respecte les prérogatives des uns et des autres.» Mais alors qu’elle nous offre des masques en tissu multicolores (acceptés) et des préservatifs (déclinés) -elle en a 300 000 à distribuer, le naturel revient au galop. « Toujours écolo et toujours de gauche », Dominique Voynet avoue être « assez souvent en désaccord » avec Emmanuel Macron : « J’attends du président qu’il mène des projets pacificateurs et unificateurs de la société française ; quand ce n’est pas le cas, je me sens mal à l’aise ». Elle tempère cependant, reconnaissant que « c’est vachement dur pour le gouvernement, entre le terrorisme et la Covid. »

Militante, elle le demeure de fait, avec « l’envie de rester sensible à la détresse des gens », si nombreux dans ce département déshérité, au regard de « certains élus à la peau si dure qu’ils ne souffrent plus de rien. » Militante, elle l’est encore lorsqu’elle assure conseiller « de temps en temps » certains élus de métropole. Pas de noms, mais elle félicite « les jeunes pousses » de Nantes, Johanna Rolland (PS), ou de Strasbourg, Jeanne Barseghian (EELV), tout en dénonçant « les foucades de certains cadres écolos »… Et d’évoquer le maire de Bordeaux, Pierre Hurmic (EELV) qui a supprimé le traditionnel sapin de Noël en centre-ville. En revanche, elle ne prend pas parti dans le duel qui oppose les deux présidentiables écolos, le député européen Yannick Jadot et le maire de Grenoble, Eric Piolle

« Je suis bien aise de ne plus être là-dedans », affirme-t-elle. A plus de 8000 km de Paris, Dominique Voynet, « étonnée » que Libé lui consacre une page, se sait « oubliée des radars ». Mais elle n’en retire « aucune rancœur », prête à entamer une autre séquence de sa vie. « Je ne me suis engagée à Mayotte que pour deux ou trois ans… » Ensuite, l’infatigable sexagénaire, qui rêve de passer le permis moto, compte partager son temps entre le Val d’Amour, près de Dôle, sa région natale, et sa maison sur l’île de Groix, en Bretagne. L’occasion, après toutes ces années sur la scène, d’enfin interpréter un rôle plus personnel. « Je n’ai pas forcément été une bonne mère -elle a eu son premier enfant à l’âge de 16 ans. Pas très présente, je n’ai jamais mis en balance le militantisme et ma vie de famille ». Depuis, sa relation « a grandi » avec ses deux filles et ses trois petits-enfants. « Je leur suis reconnaissante de ne pas m’en vouloir, confie la future retraitée. Elles m’empêchent de vieillir prématurément ».

Devant les cartons de masques anti-covid qui encombrent les bureaux de l'ARS de Mayotte...

    

1958 : naissance à Montbéliard
1984 : cofonde le parti des Verts
1995 et 2007 : candidate à la présidentielle
1995-2001 : ministre de l’Environnement
1er janvier 2020 : nommée directrice de l’ARS de Mayotte

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