Des Réunionnais, comme de nombreux ultramarins, falsifient des résultats pour rentrer sur leur île, faute d’avoir pu se faire tester ou d’avoir reçu le diagnostic avant leur vol depuis la métropole.
Par Laurent Decloitre, correspondant à la Réunion — 19 septembre 2020
Quelques clics et c’est fait. Pour Marjorie (1), infographiste installée dans le nord de la Réunion, bricoler un résultat (négatif) de test Covid n’est pas compliqué. «Je prends un vrai fond de laboratoire, je change le nom, le prénom, la date, en prenant bien la même typo, et le tour est joué.» La professionnelle a déjà contrefait trois analyses ces derniers jours, pour le compte «d’amis d’amis» coincés en métropole et souhaitant revenir sur leur île. «Ils n’ont pas pu obtenir de résultat à temps ou craignent de ne pas l’avoir avant le départ de leur vol, justifie la pro de Photoshop. Ils paniquent, je leur rends service, le système est tellement absurde.»
Explication : les voyageurs qui se rendent en outre-mer doivent présenter, au moment du départ de Paris, un test négatif au Covid-19 réalisé au maximum soixante-douze heures avant. La mesure vise à empêcher les personnes contaminées de débarquer sur les îles : si le test est positif, elles ne peuvent décoller.
Mais voilà, les laboratoires de métropole sont débordés et ne parviennent pas à envoyer les résultats dans les temps. Le texto ou le mail avertissant les patients de leur état de santé parvient quatre, cinq, voire sept jours après le prélèvement nasal. Des centaines d’ultramarins se plaignent d’avoir attendu en vain le sésame sanitaire et d’avoir été refoulés à l’aéroport. Ils doivent reprendre un nouveau vol, sans supplément certes, mais les frais d’hébergement, de transport, de nourriture sont à leur charge. Ils en sont quittes aussi pour un nouveau test, dont les résultats peuvent de la même façon arriver trop tard…
Le pire, c’est que beaucoup ne parviennent même plus à se faire dépister. Julien (1), ostéopathe exerçant dans l’ouest de la Réunion, doit prendre l’avion mardi prochain, à Orly. Depuis jeudi, il a appelé «tous les labos de Montpellier», où il termine ses vacances. En vain. «Ils refusent de me prendre, arguant que je ne suis pas un cas prioritaire, se désole le trentenaire. Même dans les villages avoisinants, même dans les drives ou les hôpitaux !» Pourtant, sa cousine, médecin, lui a prescrit un test PCR sur ordonnance.
Julien s’est donc résolu à prendre ce samedi un train pour Orly, où les compagnies Air France, Air Caraïbes, Corsair et French Bee ont dressé une tente en partenariat avec un laboratoire, qui donnerait les résultats en quarante-huit heures. «Mais je n’ai rien à faire à Paris, je vais repartir le même jour à Bordeaux où mon frère habite», raconte le Réunionnais. Résultat : une journée et 96 euros de perdus. Et si jamais les résultats tardaient ? «Eh bien, ça me fait flipper, mais je ferai faire un faux !»
A la Réunion, les députés sont montés au créneau. Nathalie Bassire (LR) demande «un délai plus important, acceptable d’un point de vue médical» entre le test et le départ ; Jean-Hugues Ratenon (LFI) dénonce, lui, «une atteinte à la liberté de circuler» et «le désintéressement total» du ministre de la Santé face à la situation des ultramarins. Réponse d’Olivier Véran : les publics prioritaires pour les tests sont les personnes symptomatiques, les cas contacts, le personnel soignant… Pas les voyageurs.
(1) Les prénoms ont été changés pour préserver l’anonymat.
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