Le département d’outre-mer, en stade 2, dispose de moyens limités pour faire face à l’épidémie, alors que des milliers d’habitants vivent dans des conditions insalubres.
Libération du 24 mars 2020, de notre correspondant à La Réunion, Laurent DECLOITRE
Dans les entrailles du bidonville de « Manga Télé », l’un des plus vastes de Mayotte, et donc de France, 5000 personnes s’entassent dans des conditions pitoyables. Les taudis de ce quartier de Kawéni, dans la banlieue de Mamoudzou, ne disposent ni d’eau courante, ni d’électricité. « Les gens vivent dans la promiscuité, dans des conditions sanitaires déplorables, se désespère Omar Saïd, président de l’association Wenka, qui intervient auprès de cette population déshéritée. Si le virus rentre ici, ça va être l’hécatombe ». A Mayotte, où 35 personnes, dont 4 médecins, avaient contracté le Covid-19 hier mardi, l’habitat insalubre représente selon l’Insee 40% des logements. De quoi inquiéter Dominique Voynet, la directrice de l’agence régionale de santé (ARS). Dans un courrier adressé aux médecins du département d’outre-mer, l’ancienne ministre de l’Environnement fait part de sa « hantise » de voir la maladie se diffuser « dans les bangas » de tôle et de planches.
Le risque est d’autant plus sérieux que les habitants ne respectent pas vraiment les mesures de confinement. En début de semaine, des enfants jouent encore sur les terrains vagues, des habitants discutent entre eux sur les trottoirs… Pour certains, « c’est une maladie de blancs » ; pour d’autres, « Allah nous protège »… Dominique Voynet déplore cet incivisme « y compris par des politiciens pourtant bien informés des gestes barrières ». Le 20 mars, au lendemain de contrôles tendus à l’encontre d’élus locaux encore en campagne, consigne aurait été donnée aux forces de l’ordre de « ne pas verbaliser », dénonce le syndicat Alternative Police. La préfecture assure qu’il s’agissait de faire preuve de « pédagogie » dans un premier temps, avant une phase plus coercitive. De fait, Jean-François Colombet, le préfet de Mayotte, a décrété hier soir le couvre-feu sur l’ensemble de l’île de 20h à 5h du matin.
Un peu tard, estime Mansour Kamardine. Le député LR est persuadé que Mayotte, « véritable désert médical à 9000 km de Paris », court à « la catastrophe sanitaire ». Le département, en stade 2 de l’épidémie, ne compte qu’un centre hospitalier, doté de seize lits de réanimation pour une population estimée à plus de 350 000 personnes. L’élu réclame l’envoi d’un porte-hélicoptère, Le Mistral, disposant d’une soixantaine de lits médicalisés qui croiserait actuellement dans l’océan Indien. Mansour Kamardine demande également à Paris d’installer un hôpital de campagne et d’envoyer « un stock de précaution » de chloroquine. « Ce n’est pas une question de matériel, rétorque Dominique Voynet. Vu les conditions de vie précaire des habitants, si l’épidémie s’étend comme en Alsace, on aura forcément une catastrophe ». En fait, le seul espoir des autorités locales est la jeunesse de la population : la moitié des habitants ont moins de 18 ans, qui pourraient mieux résister aux complications de la maladie…
La situation est si tendue que le cours de l’histoire s’emballe. Des immigrés clandestins originaires des Comores -qui représentent plus de 40% de la population mahoraise- n’ont cette fois pas cherché à rentrer sur le département français : ils l’ont au contraire quitté, empruntant de nuit des barques motorisées pour fuir le virus et s’abriter dans leur pays de naissance, distant de 70 km. « Une vingtaine de kwassas a accosté à Anjouan la semaine dernière », la plus proche des îles voisines, confirme Mohamed Youssouf, journaliste à la Gazette des Comores. Paradoxalement, d’autres sans papier, interpelés à Mayotte par les autorités françaises et expulsés, ont été refoulés par les Comores. Moroni craignant l’entrée du Covid-19, le navire spécialement affrété qui les reconduisait n'a pas pu accoster…
La Réunion passe en stade 2
Avec 94 cas, dont 3 patients en réanimation, La Réunion est passée hier mardi au stade 2 de l’épidémie. La préfecture a annoncé un renforcement des dépistages, avec le concours de laboratoires privés. La capacité des lits de réanimation a été augmentée de 50 postes, soit un total de 161 lits sur l’ensemble du département, qui dispose par ailleurs de 144 respirateurs.
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