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Pour la troisième fois dans la journée, le véhicule de location surmonté de deux mégaphones passe au ralenti dans le quartier de Grande-Montée, à Sainte-Marie, une commune du nord de la Réunion. Sans répit, il balance ses décibels à la gloire d’Yves Ferrières, candidat sans étiquette aux municipales dans la ville de 33 000 habitants. «Ce soir, réunion publique au terrain de foot de Bois-Rouge», crache la voiture sono sur laquelle sont collées des affiches électorales. Corinne, enseignante, n’en peut plus : «C’est agaçant, cette pollution sonore ; pour le coup, je ne voterai pas pour lui !» Si elle suit cette règle, la quinquagénaire risque de renoncer à son devoir électoral : à Sainte-Marie comme dans les 23 autres communes de la Réunion, les candidats utilisent quasiment tous des véhicules sonorisés.
Une tradition locale, qui donne des allures de kermesse aux élections. «Sainte-Marie, nou lé bien, nou march main dan la main avec Richard», diffuse en créole la Twingo de Sandrine, sur des airs de séga. L’employée municipale, tout de bleu vêtue, roule pour le maire sortant, Richard Nirlo (divers droite), et assure ne pas mettre la musique trop fort, «par respect des gens». Deux rues plus loin, Nico, au volant d’une autre voiture sono, raconte que des habitantes dansent même avec lui lorsqu’il s’arrête. De son côté, Christian Annette, le candidat socialiste, a équipé deux fourgonnettes. «J’ai enregistré un message de quatre minutes. On s’arrête aux endroits stratégiques et les gens nous écoutent depuis leur pas-de-porte ou leur balcon, explique-t-il. C’est très utile, car ils ont peur du maire et n’osent pas venir à mes réunions publiques.»
Ce folklore festif est-il vraiment efficace ? Dans plusieurs communes, les élus semblent le croire et ont pris des arrêtés pour en restreindre l’utilisation par leurs adversaires. A Sainte-Suzanne, Maurice Gironcel, le maire sortant (communiste), a ainsi limité les horaires de passage. Son adversaire, Daniel Alamélou (divers droite), a déposé un recours en référé-liberté pour atteinte à sa liberté d’expression. «Comment lutter contre l’abstention, s’indigne-t-il, si on ne peut informer les électeurs sur le choix et les éléments du projet ?» Mêmes fausses notes à Bras-Panon, où le maire sortant, Daniel Gonthier (divers droite), a restreint les créneaux. Officiellement pour ne pas déranger les écoliers. Jean-Hugues Ratenon ne l’entend pas de cette oreille. Le député de La France insoumise voit dans cet arrêté «une atteinte déguisée contre l’expression démocratique».
Le Conseil d’Etat, saisi en 2012, considère que «l’interdiction par le maire de la circulation de véhicules équipés de haut-parleurs ou de porte-voix diffusant des publicités, des propagandes ou tout message, constitue une atteinte manifestement illégale aux libertés de circulation et d’expression».
De quoi rendre le sourire à Mickaël, aux manettes de sa voiture sono. Le visage buriné, ce militant, «ni de droite ni de gauche», met la musique à fond : «Avant, il n’y avait pas les clés USB, les MP3, les téléphones portables, c’est moi qui parlais dans le micro.» Lorsqu’il parcourait les rues de Saint-Denis, le chef-lieu de la Réunion, il devait parfois éviter les «broquettes», des clous étoilés semés sur le bitume par le camp adverse… «On diffusait les messages et la musique jusqu’à minuit au moins ; après, on allait en boîte !» Au retour, raconte Mickaël, il lui arrivait de retrouver «l’auto brûlée par les nervis», ces gros bras dont s’entouraient les élus. Des pratiques révolues. Aujourd’hui, ce sont les décibels qui départagent les concurrents. A Saint-Paul ou à Saint-Benoît, certains candidats garent leur voiture sono, plein volume, face au meeting adverse…
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