Laurent DECLOITRE, envoyé spécial aux Glorieuses, Libération du 22 octobre 2019
Le Président sera ce mercredi dans le territoire français revendiqué par Madagascar. C’est la première fois qu’un chef de l’Etat français s’y rend.
Dire qu’en 1960, le général de Gaulle estimait que les îles éparses, ces confettis français éparpillés entre Madagascar et l’Afrique, et au Nord de Maurice, pouvaient « revêtir une importance réelle en ce qui concerne nos expériences atomiques »… Soixante ans plus tard, les cinq atolls accueillent certes sur leur minuscule surface des militaires, afin de garantir la souveraineté française. Mais la tâche de ces derniers consiste surtout à compter à l’aube les traces en formes de chenilles de tank, laissées sur le sable par les tortures vertes venues pondre la nuit. C’est que l’archipel des Glorieuses, où se rend Emmanuel Macron ce mercredi matin en décollant de Mayotte, tout comme Juan de Nova, Europe, Bassas da India et Tromelin, est plus remarquable pour sa biodiversité exceptionnelle que pour son intérêt militaire.
Parc naturel marin depuis 2012, l'archipel sera d’ailleurs classé réserve naturelle nationale l’an prochain. Chaque année, 3500 tortues enfouissent leurs œufs dans le sable blanc des Glorieuses, 8000 à Europa. « Ce sont des sanctuaires extrêmement importants, souligne Stéphane Ciccione, directeur de Kelonia, une ferme pédagogique sur les tortues à La Réunion. Sans ces îlots français, l’espèce pourrait être menacée ». Sur la côte Est de Madagascar, on estime en effet à 10 000 tonnes de tortues tuées et mangées par les villageois. Quant aux Réunionnais, jusqu’en 1997, ils allaient prélever sur les îles éparses les bébés tout juste éclos pour les élever et en vendre les steaks dans les supermarchés. Dans les années 60, les météorologues, qui ont depuis laissé place à des stations automatisées, découpaient, telles des boites de conserve, les tortues pour s’en régaler. Alain Hoarau, qui s’y rendait pour surveiller le ciel, raconte dans un livre de souvenirs comment l’inventaire « scientifique » du lagon était réalisé à coups de grenades…
Autre temps, autres mœurs ? Pas si sûr. A Mayotte, les tortues viennent aussi pondre et sont la proie des braconniers. L’association Sea Shepherd donne le chiffre d’un millier de chelonia mydas tuées chaque année dans le département français, alors même que l’animal est protégé par la convention de Washington. Le 13 août dernier, trois braconniers pris en flagrant délit ont écopé de 8 mois de prison ferme. C’est qu’ici, la viande de tortue est appréciée et dégustée en tchak-tachak (brochettes). « Les Mahorais ne sont pas vraiment sensibilisés à la cause environnementale, regrette Jeanne Wagner, cheville ouvrière de l’association écologiste Oulang Na Nyamba. Ils sont plus préoccupés par l’immigration ou l’insécurité que par les tortues »…
En posant le pied sur la piste d’atterrissage en sable des Glorieuses, une première pour un président de la République, Emmanuel Macron assume « la responsabilité de protéger ces sanctuaires de biodiversité ». Le chef de l’Etat est accompagné du directeur de la fondation Tara Expéditions, dont la goélette a parcouru plus de 375000 km sur les océans, du président du Museum national d’histoire naturelle et d’Isabelle Autissier, l’ancienne navigatrice, aujourd’hui présidente du WWF France. Mais il commettrait « un faux pas », selon le professeur des universités André Oraison, spécialiste de droit international public : « Alors qu’une commission franco-malgache travaille actuellement sur la question du statut des îles éparses, la présence du président français sera perçue comme un coup de canif dans les relations diplomatiques ».
Quatre des cinq îles sont en effet revendiquées par Madagascar, ancienne colonie française, qui en exige la rétrocession. « La demande est fondée, puisque les îles ont été détachées au moment de l’indépendance malgache, ce qui est interdit en droit international », assène André Oraison depuis La Réunion. En mai dernier, lors d’une conférence commune à Paris, le président malgache avait une nouvelle fois demandé à son homologue français de « trouver une solution » d’ici juin 2020. Mais selon le juriste, Antananarivo a peu d’espoir d’arriver à ses fins, puisque les votes de l’Onu en ce sens n’ont pas de portée contraignante. En revanche, une cogestion économique, scientifique et environnementale pourrait être envisageable.
Un tel accord a été signé en 2010 à propos de la cinquième île, Tromelin, entre le quai d’Orsay et Maurice, qui la revendique. Mais le texte n’a jamais été ratifié par le Parlement français, les élus refusant ce qu’ils considèrent comme une perte de souveraineté. L’enjeu n’est ni militaire, ni environnemental, mais économique : les îles éparses constituent une zone économique exclusive de 640 000 km2, aux ressources halieutiques considérables. Surtout, des gisements à 2000m de profondeur au large des îles, dans le canal de Mozambique, renfermeraient l’équivalent de milliards de barils de pétrole et de mètres cubes de gaz.
Laurent Decloitre, envoyé spécial à Mayotte
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