Mayotte : les dégâts collatéraux de la crise
Libération du 17 mars, de notre correspondant Laurent DECLOITRE
Le corps d'un homme a été retrouvé au lendemain de rixes entre bandes, alors que le maintien des barrages commence à perturber les services de santé.
Le cadavre d’un homme retrouvé nu, ligoté et bâillonné, vendredi matin sur la plage de Sohoa, sur la côte ouest de l’île, illustre tragiquement la crise que traverse Mayotte : les habitants, exaspérés par l’insécurité, paralysent le département depuis près d’un mois en dressant des barrages. Selon le procureur de la République, Camille Miansoni, la victime est un homme noir, d’une trentaine d’années, «grand et très mince». Une autopsie a été ordonnée et une enquête pour homicide volontaire ouverte par le parquet de Mamoudzou, le chef-lieu du département. Il se trouve que, la veille, de violents affrontements avaient opposé, tout près, des jeunes de Chiconi à une bande de Kahani, un village voisin. Ces rixes, monnaie courante sur l’île, sont à l’origine du mouvement.
En janvier, des adolescents armés de chaînes de vélo et de bâtons s’étaient battus aux abords du lycée professionnel de Kahani. La même scène de guérilla s’était répétée dans un autre établissement, entraînant leur fermeture, les enseignants faisant valoir le droit de retrait. Puis ce fut le tour des chauffeurs de bus, régulièrement caillassés, jusqu’à ce que la population, traumatisée par la répétition de ces faits divers, se mobilise à son tour à l’appel d’un collectif de citoyens et d’une intersyndicale.
Saïnda (1) habite près de la mosquée de Sohoa, à quelques centaines de mètres de la plage et des lieux du crime. La Mahoraise, conseillère territoriale, n’a pas osé sortir de la journée, vendredi. «Il y a des jeunes qui traînent et qu’on ne connaît pas», remarque la mère de famille, enceinte de huit mois. Saïnda est d’autant plus inquiète qu’elle ne sait pas si elle pourra prendre l’avion la semaine prochaine en raison des barrages. «Je pars en France pour accoucher ; à Mayotte, les sages-femmes sont trop occupées avec les clandestines !» Comme de nombreux habitants, la Mahoraise a été victime d’un cambriolage et dresse un lien entre l’insécurité et l’immigration massive en provenance des Comores voisines.
Hôpital en situation critique
Malgré les renforts de gendarmes et de policiers, malgré les contrôles des forces de l’ordre, qui se multiplient depuis trois jours, la violence n’a de fait pas baissé d’un cran. Dans la nuit du 13 mars, des jeunes cagoulés ont mis le feu à des voitures et s’en sont pris à des automobilistes, à M’Tsapéré, dans la banlieue de Mamoudzou. «C’est tout le dispositif de sécurité qu’il faut revoir, cela ne sert à rien d’envoyer ici ou là une vingtaine d’hommes», peste Daniel Zaïdani, candidat centriste à l’élection législative partielle, qui doit se tenir dimanche, et dont le déroulement est menacé par les manifestants. Solidaires, plusieurs maires, ont assuré que leurs agents ne participeront pas à l’organisation du scrutin.
Les dégâts collatéraux de la crise commencent à prendre une tournure plus dramatique encore. Les produits de première nécessité manquent dans les magasins, l’hôpital de Mamoudzou, en «situation critique», risque de manquer de certains antibiotiques et médicaments, les évacuations sanitaires des malades graves en direction de la Réunion sont suspendues et les ambulances ont de grandes difficultés à circuler. Selon Mayotte Hebdo, un bébé en insuffisance respiratoire serait même mort à cause du retard du Samu bloqué à un barrage.
Dans ce contexte, Annick Girardin, la ministre des Outre-Mer, a demandé hier soir à «renouer le dialogue dans l’intérêt supérieur de Mayotte». Mais elle n’est toujours pas parvenue à convaincre le collectif de suspendre les manifestants, qui exigent la signature d’un véritable plan de sécurisation et de développement.
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