Philippe et Christophe se sont rendus au plus près de l'éruption de février 2017 malgré l'interdiction. (photo L.D.)
De notre correspondant, Laurent DECLOITRE
Libération du 1er avril 2017
Effusions volcaniques
Les randonnées au cœur du volcan, interdites depuis 2003 en cas d’éruption, vont à nouveau être autorisées. Les touristes pourront enfin admirer les fontaines de lave et les coulées de magma. Mais il faudra suivre un guide et payer.
Un pique-nique familial au pied d’un cratère qui crache des lambeaux de lave ; un selfie au point de rencontre entre la roche en fusion et l’océan… Ces scènes surréalistes, Réunionnais et touristes les ont vécues des années durant au gré des éruptions du Piton de la Fournaise. Jusqu’à l’été 2003. Le 27 août de cette année, un étudiant tombe dans une faille et décède, carbonisé. L’Enclos, cette immense cuvette où se déroulent la plupart des éruptions, venait d’être rouvert par la préfecture pour permettre aux curieux d’admirer la terre en feu. Depuis, les pouvoirs publics ont interdit l’accès dès la moindre éruption. « On nous a confisqué la Fournaise ! », ne décolèrent pas les Réunionnais. « C’est l’âme de notre île », s’enflamme un passionné. Pierre, jovial prof d’économie et de gestion, se souvient même, enfant, d’avoir « joué au capitaine Haddock dans un cratère » !
Au pied des dernières éruptions
Face à l’interdit, les curieux en sont réduits à observer les éruptions depuis deux belvédères naturels qui surplombent l’Enclos, à plusieurs centaines de mètres de la lave : le Piton de Bert, au sud, ou le Piton Partage, au nord. Les deux balades longent une falaise et offrent une vue superbe sur la « caldeira », immense chaudron de 9 km sur 13, né d’un effondrement. D’autres, plus téméraires, descendent en misouk (en cachette en créole) dans l’Enclos. Le mois dernier, Christophe, qui déménage à Chambéry en juillet, a bravé l’interdit avec un ami pour admirer la première éruption de l’année, surgie non loin du Château Fort, un vieux cratère aux bords crénelés. « Respecter la consigne, c’était me priver d’un spectacle exceptionnel que je n’aurai plus jamais la chance d’observer ». Pour se rendre sur les lieux, le duo a crapahuté près de 3h. D’abord facilement, sur des dalles de basalte lisses et rebondies, puis en s’essoufflant sur des pentes de scories noires, ocres, scintillantes. A l’approche du cratère d’où jaillissait un geyser de 50m de haut, les compères ont traversé un chaos de lave « gratonnée » : des morceaux de magma instables, si coupants qu’ils ensanglantent les mains si vous vous y accrochez. Philippe et Christophe sont revenus « émerveillés » mais comprennent l’interdiction préfectorale : trop difficile pour le grand public.
Rien à voir avec l’éruption précédente, en septembre 2016. La fissure éruptive s’était ouverte à seulement trois quarts d’heure de marche du portail d’accès. Il suffisait de suivre un ancien sentier parfaitement balisé pour s’en approcher. Une simple balade… également interdite, ce qui n’a pas empêché Estelle de s’y rendre. Avec deux amis, à quelques mètres de l’éruption au bruit de tempête, elle savoure « la beauté de la planète en furie ». Le fleuve rouge, sur lequel flottent d’énormes blocs sombres, progresse en crissant. Gilbert, un touriste également hors-la-loi, s’approche de la coulée et dépose un étrange colis : de la pâte à pain qu’il fait lever à la chaleur du magma !
A la cité du volcan
Pour le colonel Hervé Berthouin, chef d’État-major de zone et de protection civile, ce comportement inconscient justifie les mesures de précaution. « Si on laissait les éruptions libres d’accès, il y aurait d’autres accidents », prévient le monsieur sécurité de la préfecture. Selon lui, « ce n’est pas un gentil volcan, il peut être hyper-dangereux ». Qu’en pensent les spécialistes ? Philippe Kowalski, directeur adjoint de l’observatoire volcanologique du Piton de la Fournaise, ne sous-estime pas les risques ; mais il juge le volcan réunionnais, effusif, «plutôt sympathique », contrairement aux volcans explosifs, les plus courants sur la planète. Pour se faire leur propre idée, les touristes peuvent s’arrêter au village de Bourg-Murat et découvrir la Cité du Volcan. Des hologrammes et l’utilisation de la réalité augmentée plongent le visiteur, qui traverse un tunnel de lave reconstitué, dans l’ambiance explosive des éruptions.
Des randonnées encadrées
Face à cette situation, et devant la pression, la préfecture vient d’assouplir sa position et va modifier le plan Orsec volcan. Dorénavant, les touristes, de plus de 16 ans, pourront descendre dans l’Enclos en cas d’éruption, à condition d’être guidés par un accompagnateur de montagne. Chaque visiteur se verra remettre un masque à gaz, des gants et de genouillères ; dans un premier temps, seules 80 personnes pourront se trouver en même temps dans l’Enclos. Ce qui est très peu : lors des éruptions, des dizaines de milliers de curieux se précipitent aux différents belvédères… Les guides devront avoir suivi une formation spécifique, qui vient de s’achever, pour être accrédités ; une radio VHF numérique et un traceur GPS permettront de suivre leur position et de les prévenir en cas d’alerte. Jérôme Turpin a suivi le module et créé l’association Sécurité Volcan qui assurera la gestion commerciale des sorties. « On n’a pas voulu privatiser le volcan, les Réunionnais ne l’accepteraient pas », promet le professionnel. Alors que le tarif normal d’une telle prestation s’élèverait à 70€, les guides souhaitent la facturer 10€. Reste donc à trouver des subventions auprès de partenaires.
Marcher sur la lave
En attendant la prochaine éruption, et alors que la précédente fume encore, il est aujourd’hui possible de descendre dans l’Enclos et de marcher sur la lave… refroidie. Nous suivons Didier Cologni, aux allures de pirate avec son bandana sur le crâne et ses anneaux à l’oreille. L’accompagnateur de montagne se défend toutefois d’être un flibustier du volcan : « Mon credo, c’est d’abord la sécurité, viennent ensuite l’émotion et le plaisir ». Nous empruntons l’escalier qui déboule abruptement dans la caldeira, à flanc de rempart. Le cratère Formica Léo, soufflet de scories orange, nous accueille, tranchant sur le lit de magma noir qui semble onduler sous nos pas. Nous marchons sur des champs de lave « cordée », plissée et ridée comme la peau d’un éléphant, avant de grimper vers le Dolomieu, le cratère sommital. La Tour Eiffel y tiendrait presqu’entière ! Mieux vaut ne pas trop s’approcher du bord de ce trou impressionnant, traversé par des failles menaçantes : en 2007, le fond du cratère s’est effondré sur 300 mètres de profondeur.
En redescendant, nous contournons la coulée de 2010, hérissée de gratons sur trois mètres de hauteur. Une broutille au vu de la « coulée du siècle », en 2007, épaisse de plus de 60 mètres, qui a traversé la route et s’est jetée dans l’océan ! Des tunnels de lave creusent le sol de tranchées plus ou moins larges. Beaucoup plus bas, sur le littoral, certains se parcourent, en mode spéléo (Voir Libération du 10 avril 2009). Petite pause à l’intérieur de la Chapelle Rosemont, une grotte de lave « plutonique », couleur sang. Le guide repère une araignée minuscule qui survit dans cet antre minéral, cachée à l’ombre d’un tumulus de magma aux allures de colombin. Le soleil alterne avec le brouillard et la pluie, accentuant l’ambiance lunaire de la « caldeira ». Magique, même sans éruption !
Laurent DECLOITRE
Tél : 0692 30 11 73
Vincent Cheville propose des randonnées « en-dehors des sentiers battus ». Vous pouvez bivouaquer dans l’Enclos (189€ les deux jours), où se déroulent la plupart des éruptions, parcourir des tunnels de lave méconnus, monter au sommet du Dolomieu sans suivre le parcours balisé…
Tél. : 04 78 60 51 11
L’agence lyonnaise, spécialisée dans le tourisme volcanique, emmène les « chasseurs de lave » sur une quarantaine de cratères actifs à travers le monde. Et va réinscrire La Réunion dans son programme, après avoir délaissé la destination durant des années.
Tél : 0692057953
Didier Cologni est intarissable sur les mille et une façons dont le Piton de la Fournaise recrache le magma. Sortie volcan (hors éruption) : 50€ par personne la journée (à partir de 4 pers).
Observatoire volcanique du Piton de la Fournaise
En phase éruptive, les scientifiques informent sur l’avancée des coulées, la hauteur des fontaines de lave, l’émission éventuelle de gaz… Quatre caméras diffusent des images en direct, une bonne façon de savoir si le temps permet, ou non, une sortie.
Tél : 0262 59 00 26
Le musée, situé au pied de la Fournaise, propose une découverte interactive du volcan.
Avec un accompagnateur, il sera désormais autorisé d'observer les coulées de lave. (photo LD, février 2017)
Commenter cet article