L'Express 3345 du 12 au 18 août 2015
De notre correspondant, Laurent DECLOITRE
Photos Pierre MARCHAL
L'évêque fragilisé par les affaires
Des religieux et laïcs déplorent que Gilbert Aubry n’ait pu empêcher des actes de pédophilie dans son diocèse. L’évêque, meurtri, dément toute indulgence.
C’est peu dire que la fin de l’épiscopat de Gilbert Aubry est ternie par les affaires de prêtres pédophiles qui ont secoué la Réunion (voir encadré ci-contre). La justice s’est demandée si le patron des curés avait tu des agissements déviants et a demandé à l’entendre comme témoin. Pour ce laïc, parfait connaisseur du fonctionnement du diocèse, le doute n’est pas permis : « Le rôle de l’évêque est de défendre coûte que coûte l’église. Pour la sauver des scandales, il a enterré des affaires et n’a dévoilé que celles où les familles allaient porter plainte. » Cette grave accusation n’est étayée par aucune preuve et Gilbert Aubry a toujours démenti avoir été mis au courant de tels actes. « Sinon, j’aurais signalé les faits au procureur », jure-t-il.
D’autres témoins privilégiés ajoutent cependant au sentiment de malaise. « Le père Jacky Hoarau aurait dû prendre vingt ans si toute la vérité avait été dite », assène un religieux, qui a souhaité également rester anonyme. Selon lui, un diacre aurait évoqué avec l’évêque, des années avant le procès, la déviance du prêtre de Sainte-Marie. Le diacre en question parle aujourd’hui de « simples soupçons » mais reconnaît qu’ « à tous les niveaux, on aurait pu éviter le drame ».
Pour y voir plus clair, la justice a reconstitué, jour après jour, la façon dont l’Église a géré l’affaire. Le 20 décembre 2009, un enfant confie à sa mère avoir été abusé par Hoarau. Cette dernière exige du curé qu’il se dénonce : le pédophile voit le vicaire général Lilian Payet une première fois, le 24 décembre, puis une seconde fois, deux jours plus tard, en présence de l’autre vicaire, Daniel Gavard. Les deux ecclésiastiques ne signalent l’affaire que le 7 janvier à Marc-Antoine Fontelle, vice-official du diocèse et juge ecclésiastique. Ce dernier adresse dès le lendemain un signalement au procureur, comprenant mal que deux semaines se soient déroulées sans que la justice ait été saisie. La mère de la victime indiquera, le jour du procès, qu’ « on a voulu enterrer l’affaire ». Un aumônier, qui connait très bien Jacky Hoarau, s’interroge : « À partir de quand l’évêque a-t-il été mis au courant ? Sans la présence du vice-official, y aurait-il eu signalement ? » Marc-André Fontelle, qui dit avoir été « rejeté » par ses pairs « pour avoir livré un prêtre à la justice », a par la suite demandé sa mutation en métropole...
Alors, quel rôle a joué Gilbert Aubry ? Meurtri par une précédente affaire de pédophilie, celle du père Tual, le patron du diocèse s’exile à Maurice alors qu’éclate le scandale Hoarau ! Dépressif, il passe deux jours dans une clinique puis se réfugie près de trois mois à Pont-Praslin, un village au nord-est de l’île, dans un centre d’accueil tenu par les spiritains. Il ne revient à la Réunion que sur l’insistance de ses proches, juste avant Pâques. « J’avais ma conscience pour moi, assure-t-il, même si j’ai manqué de compréhension face à des situations que je n’aurais pu imaginer ».
Gilbert Aubry connaissait l’homosexualité de Jacky Hoarau et l’avait prévenu en ces termes : « Je lui ai dit que si j’apprenais que son comportement débordait sur des enfants, je ferais immédiatement un signalement ». Qu’est-ce qui a pu amener l’évêque à dresser un parallèle entre l’homosexualité et la pédophilie ? Dans une lettre anonyme adressée au procureur, un paroissien avait écrit : « Hoarau a eu des besoins de même ordre dans l’une des paroisses du Tampon vers la fin des années 1990. Il y a eu aussi des plaintes et c’était encore avec de jeunes garçons. » Mais ce courrier n’a été envoyé qu’après l’arrestation du prêtre et rien ne dit que de telles missives ont été adressées à l’évêché auparavant.
En 2000, Gilbert Aubry demande en tout cas à Jacky Hoarau de suivre une « thérapie d’homochasteté » au Canada et en métropole. Pour « être rééquilibré au niveau de la sexualité », explique aujourd’hui l’évêque… À cette époque, Gilbert Aubry a de nombreux échanges avec son curé, à qui il promet : « Nous avons besoin de toi ». A son retour sur l’île, Hoarau est d’ailleurs nommé à Sainte-Marie. « Ce fut une erreur de l’envoyer seul », estime un religieux. « Le drame était imparable », considère un autre.
L’affaire Tual l’était-elle aussi ? Ce prêtre, arrivé en 1987 sur l’île, alimente les rumeurs bien des années avant son arrestation, en 2009. Alerté l’évêque lui interdit par écrit, en 2005, de recevoir les enfants à la cure de Sainte-Rose, où les futures victimes prennent une douche après des sorties en vélo. Trois ans plus tard, une ancienne institutrice dénonce dans un courrier, signé et adressé à Gilbert Aubry, le comportement du curé, nommé entretemps à Bras-Panon. Le vice-official et les gendarmes, saisis par le procureur, ne trouvent aucun élément probant et l’affaire est classée. En août 2009, l’évêque prévient toutefois qu’il ne renouvellera pas le contrat du prêtre, en raison des rumeurs persistantes. Mais il lui accorde finalement une année supplémentaire…
« Gilbert Aubry ne condamne jamais et garde toujours confiance en l’individu », analyse le vicaire général Gavard. Illustration en 2004. Cette année-là, l’évêque nomme Jean-Marie Vincent prêtre à Saint-Denis, alors que ce dernier, en liberté conditionnelle après une condamnation pour agression sexuelle en métropole, n’a pas le droit d’entrer en contact avec des mineurs. « J’ai essayé de sauver tout le monde », plaide Gilbert Aubry, encore « marqué » par ces affaires. Et d’ajouter, sans mesurer la portée qu’on pourrait prêter à ses propos : « Je suis comme le père d’une famille très nombreuse. Il faut savoir garder le secret, ne pas répéter aux autres ce qui pourrait nuire. »
Est-ce encore le cas ? Un prêtre, qui assure des fonctions importantes, affirme avoir livré à l’évêque les noms de « cinq ou six curés » soupçonnés de comportement sexuel déviant. « Gilbert Aubry s’est muré dans le silence et ne m’a pas soutenu dans la lutte contre les brebis galeuses, se désole l’ecclésiastique. Il lui serait insupportable d’apprendre qu’un prêtre qu’il a ordonné lui-même soit pédophile ». Peiné, Gilbert Aubry, les yeux fermés, dément. Une nouvelle fois.
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