Libération du 12 juin 2016, De notre correspondant Laurent DECLOITRE
RÉCIT
Le Premier ministre a profité de son déplacement dans l'île pour faire son mea culpa.
Manuel Valls a entamé jeudi une visite de trois jours dans l’Océan indien. À la Réunion, il a reconnu que son escapade sportive à Berlin en compagnie de ses enfants était une erreur et a promis de rembourser. Récit d’une journée de contrition, menée au pas de charge.
9 heures, préfecture de Saint-Denis
Autant en finir tout de suite ! Au lieu de se rendre après la descente de son avion au monument aux morts de Saint-Denis, comme prévu initialement, Manuel Valls a convié les journalistes dans les salons boisés de la préfecture du chef lieu de la Réunion. Là, le visage crispé, les traits fatigués, le Premier ministre a tenté d’éteindre la polémique née dimanche, suite à son déplacement à Berlin, en Falcon avec ses enfants, pour assister à la finale de la Ligue des champions de football. Le supporter du Barça a d’abord réaffirmé qu’il s’agissait bel et bien d’un voyage officiel, à l’invitation de Michel Platini, président de l’UEFA. «Mon rôle est de représenter la France lors de ces grands événements sportifs, c’est essentiel pour le rayonnement de notre pays, pour son attractivité et donc pour l’emploi.» Mais la présence de ses enfants ? «L’avion était déjà affrété, leur présence n’a pas coûté un euro de plus au contribuable.» Pour autant, Manuel Valls s’est dit «sensible à la réaction des Français, à ce que pensent nos compatriotes». Et de reconnaître : «Je me dois d’incarner un comportement parfaitement rigoureux, il ne peut y avoir de place pour le moindre doute.» Aussi a-t-il décidé de prendre en charge le voyage de ses deux enfants, dont le coût est estimé à 2500 euros. L’aveu d’une erreur chez un «homme fait de sang et de chair», comme il l’a dit en fin de journée sur les chaines de télévisions locales. «Si c’était à refaire, je ne le referais pas», a-t-il conclu, espérant en avoir fini avec cette mauvaise passe et «cette erreur de communication».
Il était enfin temps de rendre hommage aux morts, rue de la Victoire, devant un public clairsemé qui réclamait son petit bain de foule. Le Premier ministre est déjà parti et seulement 300 manifestants protestent devant les grilles de la préfecture contre «la politique d’austérité» du gouvernement et sa réforme du collège. Najat Vallaud-Belkacem, la ministre de l’Éducation, qui arrive vendredi sur l’île, va pouvoir poser la première pierre d’une école sereinement…
10h30, centrale photovoltaïque du Port
Après s'être amendé, le Premier ministre passe par la case prison. Le centre de détention du Port, au nord-ouest de l’île, a mis de la tôle sur ses taulards : les cellules où dorment 450 condamnés ont été couvertes de 27 000 cellules photovoltaïques. Une première mondiale, dans la mesure où l’électricité ainsi produite est stockée dans d’énormes batteries en lithium-plomb. Mais l’originalité tient surtout à la démarche sociale et environnementale d’Akuo Energy, la société à l’origine du projet. Sept serres immenses, également tapissées de panneaux solaires, abritent des cultures de légumes, cuisinés à la cantine de la prison. Les détenus eux-mêmes se chargent des plantations, dans cette prison inédite où 300 d’entre eux vivent en semi-liberté dans une enceinte en plein air et arborée. Le Premier ministre y a d’ailleurs planté une espèce endémique, un Bois de senteur blanc.
Pierre, 25 ans, condamné à quatre ans d’enfermement, tatoué d’une vilaine toile d’araignée, est fier de ses tomates qu’il présente dans une brouette. Manuel Valls préfère goûter un fruit de la passion et une cuillère de miel, également produit dans la prison, avant de féliciter l’outre-mer français, «à l’avant-garde de la transition énergétique». Et de citer un autre projet innovant : le Swac, qui consiste à puiser l’eau froide de la mer à plus de 1000 m de profondeur pour refroidir les circuits de climatisation de Saint-Denis et Sainte-Marie, permettant une économie de 75% de la facture d’électricité.
11 heures, les requins de Saint-Gilles les Bains
Mille internautes ont répondu à l’invitation de l’Effet Péi, une marque locale de tee-shirts, qui a convié Manuel Valls à se baigner dans l’océan. Objectif : prouver qu’il n’y a pas des requins partout autour de l’île. Mais l’ancien ministre de l’Intérieur ne s’est pas mouillé pour une enseigne dont le nom évoque le bien-être provoqué par le zamal (le hachisch en créole)…
12h30, Saint-Pierre, régiment du service militaire adapté
Plus décontracté qu’au petit matin, Manuel Vall «casse la blague» avec George Pau Langevin, la ministre de l’Outre-Mer qui l’accompagne, lors de la visite de la caserne du RSMA de la capitale du Sud. «T’es déjà venue ici, toi, tu as ta chambrée, hein ?» Chapeau de paille pour se protéger du soleil encore fort de l’hiver austral, sa collègue du gouvernement sourit : «C’est bien qu’il vienne sur le terrain se rendre compte des difficultés ; après j’ai plus de pouvoir pour lui arracher un arbitrage.» En l’occurrence, le régiment de service militaire adapté se porte bien: il a doublé ses capacité et accueille aujourd’hui 1300 stagiaires. «Pas pour en faire des guerriers», comme l’explique le colonel Winckel, mais pour leur donner un projet de vie : 40% des volontaires sont illettrés et exclus du système scolaire. Après un an de formation dans ce cadre militaire, 70% d’entre eux dénichent une solution d’insertion. Le système fait ses preuves depuis cinquante ans et va être étendu en métropole, où sept centres doivent créés d’ici l’an prochain.
14h30, mairie de Saint-Joseph
Après une salade chouchou et un rougail saucisses, les plats «nationaux» de la Réunion, dégustés en compagnie de l’ancien champion de handball réunionnais, Patrick Cazal, Manuel Valls prend la direction du Sud Sauvage. À Saint-Joseph, bourgade plantée au milieu des champs de canne, il y rencontre son «ami» Patrick Lebreton. Ce dernier est le pendant du frondeur socialiste Christian Paul. Même physique, moustache en moins, mais un frondeur à la droite du PS. Le député-maire est l’un des rares socialistes à avoir voté contre le mariage pour tous, et s’oppose au premier secrétaire de la fédération locale, le maire tout-puissant de Saint-Denis, Gilbert Annette. Aucun des deux ne bénéficiera d’un coup de pouce du Premier ministre en cette journée plutôt œcuménique, pour savoir lequel conduira la liste aux prochaines régionales… Le scrutin s’annonce difficile : si aux présidentielles de 2012, François Hollande l’a emporté à la Réunion au second tour contre Nicolas Sarkozy avec 71,5% des voix, si cinq des sept députés de l’île sont socialistes, la gauche a depuis perdu le conseil général ; et la droite tient désormais seize des vingt-quatre communes.
Mais la séquence du jour est plutôt tournée vers l’économie. Manuel Valls proclame à nouveau son amour pour les patrons, invités à signer une charte sur la préférence au recrutement local. «Il faut en finir avec l’opposition stérile chefs d’entreprise/salariés, assène le Premier ministre devant une foule acquise, qui secoue des petits drapeaux tricolores. Bien sûr, il faut des droits et du dialogue social, mais il faut faire confiance aux entrepreneurs qui créent de la richesse.» Pas d’annonce sur le sujet, mais 10 000 emplois aidés supplémentaires pour le département, afin de réduire «le niveau insupportable» du chômage, qui dépasse ici les 30%. Le discours passe bien auprès des groupies, indifférents au «coup de l’avion à Berlin». «Faut bien qu’il en profite un peu, de toute façon, cet argent ne nous serait pas revenu», soupirent Marie-Thérèse et Roland, mariés depuis 41 ans et bénéficiaires du RSA : les deux sexagénaires se plaignent du prix des denrées dans les supermarchés réunionnais mais gardent leur foi, «depuis Mitterrand», au gouvernement.
16h30, abattoir d’Etang-Salé
Coup de froid et ambiance nettement plus glaciale à l’Etang-Salé, où la délégation visite un abattoir flambant neuf. Quatre degrés à l’intérieur des bâtiments. Charlotte bleue sur la tête, blouse et bottes blanches, Manuel Valls déambule entre les crochets et les tapis roulants, rendant hommage à «l’un des plus beaux outils de production de France». Chaque semaine, 160 000 poulets y sont abattus. L’usine du groupe Urcoopa a bénéficié de l’aide fiscale de l’État et de subventions européennes…comme l’ensemble des grands projets portés dans le département.
18h30, préfecture de Saint-Denis
Manuel Valls termine la journée par «une bonne nouvelle» en arrachant la signature de la convention canne, sur laquelle butaient depuis plusieurs jours les planteurs de canne à sucre, les usiniers et l’État. La bagasse, le résidu après extraction du jus, brûlé pour fabriquer de l’électricité, sera désormais achetée 14,50 euros la tonne aux planteurs, au lieu de 11.
20 heures, dîner républicain
Dîner avec les élus locaux, à la préfecture, avant une nouvelle journée au pas de charge vendredi et une visite, samedi, à Mayotte. Il y sera question des immigrés clandestins et des boat-people qui meurent noyés au large des côtes françaises…
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