L'Express du 26 septembre 2013
De notre correspondant Laurent DECLOITRE
S’exiler en métropole pour dénicher un emploi… Si deux tiers des Réunionnais se disent prêts à cette éventualité, les jeunes en situation de précarité sont très rares à accepter le déracinement.
Pas de travail à La Réunion, il faut en trouver ailleurs… Sur les panneaux publicitaires, le Comité national d'accueil et d'actions pour les Réunionnais en mobilité martèle que « l’emploi n’a plus de frontière ». Pas pour tout le monde… Le Cnarm, financé par le conseil général et l’Europe, a aidé à l’installation en métropole de 1200 Réunionnais de moins de 25 ans en 2011. Problème : seuls 18% de ces candidats n’avaient aucun diplôme alors que, sur l’île, 50% des moins de 34 ans sans qualification sont au chômage.
Même fracture sociale chez les bénéficiaires de la Ladom, une agence de l’État, qui a permis à 1900 jeunes de 18-25 ans de quitter l’île l’an dernier pour suivre une formation professionnelle ou un stage. « Les diplômés du seul niveau V (CAP ou BEP) sont de moins en moins nombreux à demander à partir », regrette Alexandre Imhoff, le délégué régional.
L’Institut national d’études démographiques (Ined) confirme le fossé : les Réunionnais qui n’ont jamais quitté l’île affichent un profil socioéconomique marqué par « un très faible niveau de diplôme, un fort taux de chômage, une part importante vivant au-dessous du seuil de pauvreté ». Autre frein à la mobilité chez cette population, relevé par l’Insee : 85% motivent leur refus par la séparation familiale. « Ils ne veulent pas quitter leurs parents, frères et sœurs, ou le cas échéant leur petit(e) ami(e) ».
C’est dire que le cas de Marie-Lindy Thomas, partie l’an dernier « chercher un avenir meilleur » est exemplaire. La jeune femme avait arrêté l’école au collège, puis suivi une formation dans la restauration, sanctionnée par un stage de deux mois dans la Creuse. Une bonne expérience, qui ne lui suffit pas pour dénicher un emploi à son retour sur l’île.
Elle intègre alors le Régiment du service militaire adapté, à Saint-Denis, et débute un CAP de serveuse, en apprentissage. Mais Marie-Lindy rend son tablier. « Je n’avais plus un seul jour férié », se justifie celle qui tombe enceinte. Sa fille, Menzi, aujourd’hui âgée de vingt mois, n’a jamais connu le papa.
Sans travail, sans chez soi, la Possessionnaise se résout à « desot la mer » (quitter l’île, en créole) en laissant son bébé à La Réunion. Le Cnarm finance le billet d’avion et les frais d’installation à Paris. « J’avais deux mois pour trouver du travail, au-delà, ils arrêtaient de payer le loyer de mon foyer », témoigne-t-elle. Arrivée en novembre 2012, « coupée du monde », elle pleure « à longueur de journée ». Une Réunionnaise lui apprend à prendre le métro. « Je n’ai pas lâché, même si je me perdais tout le temps ! »
À force d’opiniâtreté, Marie-Lindy déniche un emploi de manutentionnaire, en intérim, aux Galeries Lafayette et obtient, en avril dernier, un CDI. La consécration. Grâce à son emploi, la jeune femme de 23 ans a pu déménager dans un appartement plus grand, en banlieue, où sa fille devrait la rejoindre en février, après quinze mois de séparation !
Aujourd’hui, Marie-Lindy est « fière » de son parcours : « Je suis la preuve que dans la vie, tout est possible. Il faut se donner les moyens d’arriver et être forte mentalement ».
Selon une étude de l’Ined, les deux tiers des Réunionnais âgés de 18-24 ans accepteraient de tenter leur chance en métropole s’il leur était proposé un emploi. Mais seuls 8%, comme Marie-Lindy, l’envisageraient sans perspective de retour.
Laurent DECLOITRE
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Les étudiants plus mobiles
L’an dernier, 2676 diplômés du bac ont bénéficié du passeport mobilité de la Ladom, qui a financé le billet d’avion pour leur permettre de suivre des études en métropole. Soit 38% des bacheliers inscrits dans le supérieur.
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