Le wagon des réformes prend le bus
Libéral, pragmatique et pressé… Didier Robert concrétise à marche forcée ses promesses de campagne. François Fillon vient de lui donner un sacré coup de pouce en signant les nouveaux « accords de Matignon ».
Didier Robert a poussé un énorme ouf de soulagement, le 14 octobre dernier, lorsqu’il a paraphé avec François Fillon, à Paris, la seconde version des « accords de Matignon ». A la pointe du stylo, 2,2 milliards d’euros, dont 869 millions versés directement par l’Etat ! L’épilogue d’une longue bataille politique qui se solde par la première grande victoire du président de Région depuis son élection. Petit retour en arrière : en 2007, l’Etat, en la personne du Premier ministre Dominique de Villepin, et l’Europe, s’étaient engagés à financer un « tram-train » à la Réunion. Didier Robert, farouche opposant au projet, fort de sa nouvelle légitimité électorale et de ses appuis parisiens à l’UMP, a conduit le gouvernement à faire machine arrière. Une position qui n’était pas sans risque : l’argent pouvait lui filer sous le nez. Finalement, la manne financière sera injectée dans un réseau de 2000 bus - le Trans Eco Express (TEE) - , une nouvelle « route du littoral » et enfin, l’agrandissement des deux aéroports de Saint-Denis et Saint-Pierre.
Didier Robert jouait gros, assurant qu’il ne perdrait « pas un euro pour la Réunion » en stoppant le tram-train. Un optimise douché le mois dernier par les patrons et salariés du BTP qui avaient manifesté dans la rue pour dénoncer « l’arrêt de la commande publique ». Même Martin Bouygues, le pdg du géant mondial du BTP, avait justifié la réduction des effectifs de sa filiale Colas à la suite de l’annulation du chantier.
Alors, Didier Robert, un « redoutable négociateur » comme l’a qualifié François Fillon ? Certes, l’Etat engage 40 millions d’euros supplémentaires par rapport à l’enveloppe initiale de 2007. Mais l’inflation est passée par là et le chef du gouvernement a précisé qu’il n’y aurait pas un euro supplémentaire en cas de surcoût des travaux. Or les précédents chantiers l’ont prouvé, les devis sont toujours largement dépassés ; ce sera donc au conseil régional de payer…
Par ailleurs, le Trans Eco Express, qui doit générer « 4 000 emplois directs », a du mal à passer la seconde. Pour le démarrer, la Région doit créer un syndicat mixte avec le Département et les communes. Las. La majorité, de gauche, du conseil général a rappelé sèchement dans une résolution solennelle que le TEE ne « saurait se substituer aux réseaux de transports existants ». « Hors de question, lâchent les élus, de payer pour les promesses électorales de Didier Robert ». Ce dernier ne se démonte pas et assure pouvoir lancer sa flotte « avant 2014 », comme promis.
La révolution par la négociation
Ce réseau disparate sera de tout évidence moins spectaculaire qu’un tram-train. L’élu n’en a cure, adepte d’un pragmatisme à toute épreuve. Autre illustration de cette marque de fabrique, avec le dossier, ultra sensible, de la continuité territoriale. Réglementairement, c’est à l’Etat de financer des billets d’avion entre l’île de la Réunion et la métropole. Depuis plusieurs années, cette aide était suspendue faute d’une entente entre les exécutifs parisien et réunionnais. Convaincu que « les révolutions s’obtiennent par la négociation », Didier Robert a fait un pas de deux en acceptant de verser 8 millions d’euros, à part égale avec Paris. Un cadeau à ses amis du gouvernement ? « L’Etat n’en fait pas assez, c’est vrai. Mon prédécesseur avait choisi l’épreuve de force et s’est heurté à un refus catégorique. Avec moi, 40 000 Réunionnais ont droit à un billet à 500 euros. C’est mieux que zéro, non ? » De fait, à ce jour, 8 000 dossiers ont été déclarés éligibles ; et certains tickets coûteront plus de 500 euros, en fonction des dates de départ...
A peine installé au quatrième étage de la pyramide inversée, le nouveau président a demandé de « vider tous les cartons ». « Lorsqu’un dossier est prêt, s’il est opportun, confirme-t-il, je dis de foncer. Il ne faut pas perdre une journée ». Résultat ? En six mois de mandat, le nouvel homme fort de la Réunion affiche « 320 millions d’euros mobilisés dans différents chantiers qui n’auraient jamais vu le jour si le tram-train avait été lancé », affirme-t-il.
Souriant et direct, le président de la Région se montre cependant prudent voire évasif lorsqu’il s’agit d’évoquer le calendrier des réformes. La promesse d’une prime de mille euros « à chaque Réunionnais » achetant un véhicule hybride électrique ? Il serait « plus raisonnable » d’attendre le premier semestre 2011. Même hésitation au sujet du projet d’hippodrome, espéré par les nombreux parieurs de l’île : Didier Robert a demandé « une étude complémentaire » pour réduire l’investissement public. « On peut imaginer qu’on bouclera avant 2014 », souffle-t-il. Enfin, la route du littoral. Les travaux devraient commencer en 2013 pour s’achever, non pas en 2018 comme annoncé, mais en 2020.
« Aider les patrons n’est pas choquant »
Didier Rober, libéral dans l’âme, a pris l’habitude de rencontrer des chefs d’entreprise lors de déjeuners informels, pour conforter ses orientations. « L’entreprise ne doit pas avoir de freins à son développement », assure-il. Favorable à l’exonération des charges, ardent et vain promoteur de la défiscalisation aujourd’hui rabotée par le gouvernement, Didier Robert défend dans un même temps la sur rémunération des fonctionnaires et le bouclier fiscal.
Pour relancer le tourisme, une de ses priorités, il n’a pas hésité à relever le plafond des subventions publiques consacrées aux programmes hôteliers. « Cette aide de départ aux patrons n’est pas choquante. Si leur projet n’est pas rentable rapidement, les partenaires économiques se désistent », assène celui qui se destinait à l’origine « au monde de l’entreprise ».
Conscient qu’un tel discours peut heurter l’opinion, Didier Robert prône aussitôt « l’égalité des chances ». Il a enterré le projet controversé de la Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise, si cher au cœur de son prédécesseur, pour redéployer les crédits : 7 000 étudiants devraient profiter d’une nouvelle « bourse de la réussite ». La même rapidité - ou précipitation, c’est selon - a prévalu pour une autre de ses promesses : un ordinateur gratuit donné à près de 18 000 lycéens de seconde. En fait, les élèves n’ont pas reçu de portable « dès la rentrée », mais un chèque de 500 euros il y a dix jours. A eux de se débrouiller pour l’achat, l’utilisation, la maintenance. Il fallait faire taire les sceptiques qui pensaient impossible la mise en place d’une telle opération en quelques semaines. « Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise décision en politique, conclut Didier Robert. Juste des choix, qu’on essaie de faire partager »…
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