Libération du 1er novembre 2014
Laurent DECLOITRE (photos Pierre MARCHAL)
Un peu de vert dans le bleu
Peut-on, à Maurice, éviter de bronzer idiot sur la plage d’un palace cinq étoiles ? Tentons l’expérience : oublions le lagon émeraude pour découvrir l’intérieur d’une île qui s’est longtemps contentée de regarder l’océan Indien.
Le bois de natte, dont les gamins récupéraient la colle pour piéger les oiseaux ; le bois d’ébène, qui servait à fabriquer les touches noires des pianos ; le colophane bâtard, dont la résine, à l’odeur de térébenthine, rebute le plus vorace des termites… Loveveena Soofjun, guide de la vallée de Ferney, est intarissable lorsqu’elle décrit les arbres endémiques de cette réserve située à l’Ouest de l’île Maurice. Son français à l’accent chaloupé, est loin d’effrayer d’énormes chauves-souris, les roussettes noires, qui nous survolent en silence…
Après avoir franchi un petit cours d’eau, à l’ombre de ravenales aux palmes en éventail, nous tombons sur un spectacle rare : le bois clou. Il ne reste qu’une demi-douzaine de pieds sur la planète et tous pointent leur mince tronc dans la montagne de Bambou, où tanguent les collines rebondies de la vallée de Ferney.
C’est pour protéger ce sanctuaire, rescapé d’un projet de tunnel, que Ciel, un groupe mauricien de « 28 000 employés dévoués à travers le monde » a créé le Ferney Conservation Trust. Sur 200 hectares, un grillage protège la zone des 2000 cerfs sauvages, que les touristes peuvent tirer du haut de miradors.
Soudain, trois crécerelles surgissent de la forêt, piaillant et rasant le sol vallonné. « Come on, come on Pepito », scande Loveveena. Les petits rapaces, également endémiques, arrachent de leurs serres, en plein vol, le cadavre d’un mulot que leur tend, à bout de bras, l’infatigable guide.
Distillation du rhum
Effrayant des singes macaques aventurés en lisière, le 4x4 nous ramène au siège du « chassé », une ancienne usine à sucre. Comme beaucoup d’autres à Maurice, l’entreprise a fermé. Ne subsiste plus qu’une « balance », un site de transfert où d’antédiluviens camions Bedford déchargent leur cargaison de canne. Les roseaux sucrés sont ensuite acheminés dans une usine de transformation encore en activité, près du littoral.
Même reconversion touristique au domaine de Saint-Aubin, plus au Sud sur la commune de Rivière-des-Anguilles. La splendide propriété des Guimbeau, une des grandes familles franco-mauriciennes du pays, a conservé un antique broyeur. Le moulin, alimenté à la main par des ouvriers, écrase les tiges de canne à sucre pour en tirer le fangourin. De la levure est alors ajoutée au jus, qui fermente trois jours dans des cuves ouvertes en inox, avant d’être distillé. Neuf variétés de rhum agricole sont ainsi concoctées puis conservées dans des tonneaux de chêne importés de France.
Mais c’est un thé glacé que nous dégustons, à l’ombre de la véranda de la demeure coloniale, face au tronc bombé d’un Chorisia garni de ses touffes blanches de coton. Saint-Aubin, où sont produits 650 kilos de vanille chaque année, a en outre développé une filière bio, afin de valoriser les produits de la canne. Une évolution rendue nécessaire par la diminution des subventions européennes versées à ce pays en développement, où les habitants parlent l’anglais, le créole, le français et l’hindi.
Dhall poori et tyrolienne
On se croit d’ailleurs dans un petit bout d’Inde : les femmes se drapent de saris, les temples hindous multicolores rendent hommage aux milliers de divinités, des fanions rouges enjambent les rues et rejoignent les maisons aux teintes pastel. Nous croisons des militants du Parti Travailliste, qui se préparent à des législatives anticipées, le président de la République venant de dissoudre l’Assemblée nationale. Dans les rues où se pressent les marchands ambulants, les passants achètent les délicieux, sinon légers, dhall poori, des crêpes à base de farine de lentille, farcies aux pois chiches, assaisonnées de curry et de curcuma.
Sans un regard -diable, qu’il est tentant- pour le lagon à 25 degrés qui ceinture « l’île plage », nous poursuivons notre périple vert. Ou ocre, rouge, rouille, gris… puisque la vallée des couleurs de Chamouny, au Sud-Est de l’île, promet vingt-trois teintes issues de l’éruption du volcan de Bassin blanc, il y a quelques millions d’années. Le dioxyde de manganèse ou encore le superoxyde de potassium ont strié quelques mamelons de leurs composants étonnants. Balade tranquille en quad, tyrolienne de 500m de long, « et bientôt d’un kilomètre, la plus longue de l’océan Indien »... Pour le plaisir et le confort des familles, la nature a été domptée, comme partout à Maurice.
Écolodges
Les randonnées sont rares, le relief à peine brisé par des restes de montagne culminant à 800m, le camping encore inexistant. Peu de place pour le routard sac-à-dos. Depuis peu, Maurice propose certes des hébergements nature, mais au charme onéreux… À l’Est de Maurice, Otentic a monté des tentes « safari », avec plancher posé sur pilotis, palettes en guise de sommier, cagettes servant d’étagères… TreeLodge a construit, à 4 m de hauteur, des cabanes dans les arbres d’une ancienne propriété sucrière ; au pied, une douche et la piscine…
Lakaz Chamarel, au cœur des gorges de la Rivière Noire, au Sud-Ouest de l’île, se positionne sur le même créneau, « l’adresse phare du tourisme vert mauricien ». Dans douze hectares de forêt, au milieu des lataniers, bananiers et autres flamboyants, vingt chalets, avec douche balinaise extérieure et piscine carrelée de quartzite et basalte, offrent un havre de paix à des couples… sans enfant de préférence. Les déchets sont triés, l’eau chauffée au soleil, les déplacements pédestres privilégiés. Le jasmin et l’ylang-ylang parfument les lieux, « gay-friendly » sans le dire, sourit Warren Foo-Tam-Fong, le directeur, passé par Courchevel, Saint-Barth et les Antilles.
Du haut du piton Canot, la vue sur l’île aux Bénitiers et les franges de la barrière de corail est époustouflante ; mais un tajine de cochon marron et sa ratatouille au girofle et à la cannelle nous retiennent encore dans l’envers de la carte postale mauricienne.
Laurent DECLOITRE
Une ancienne colonie française
Maurice resta sous la dépendance de la France de 1715 à 1810, avant d’être rattachée à l’Empire britannique. L’île, 2000 km2, est devenue indépendante en 1968 et compte aujourd’hui 1,3 million d’habitants.
Entrée : 13€ (18€ avec guide)
Le domaine voisin de l’Étoile offre, lui, la possibilité de balades à cheval ou à VTT
Entrée : 8€ (100€ pour une heure de quad, 50€ les tyroliennes)
La route du thé
Le parcours propose la visite du domaine colonial des Aubineaux, l’usine à thé de Bois Chéri, la distillerie et plantation de vanille de Saint-Aubin.
Entrée : 13€ par site, forfait de 30€ pour l’ensemble.
Superbe musée au Nord de l’île, près du jardin Pamplemousse, dans une ancienne usine qui a conservé sa cheminée de pierre datant de 1895 et une immense barge en bois qui transbordait les précieux cristaux au large.
Entrée : 9€
Le site de Rivière-des-Anguilles, au Sud, abrite une fabuleuse collection de 23 000 papillons et insectes, capturés par un entomologiste amateur, au visage cabossé et aux souvenirs singuliers. Le spectacle des 500 tortues géantes d’Aldabra est tout autant impressionnant que reposant ; le plus vieux de ces reptiles a 95 ans et pèse 275 kilos. Les 2000 crocodiles du Nil, importés de Madagascar, présentent moins d’intérêt, immobiles, sauf les mercredis et samedis à 11h30, lorsqu’ils sont nourris.
Entrée : 8€
Hébergement Nature
De 190 à 450€ pour deux personnes en demi-pension.
175€ la nuit en tente ou chalet.
Hébergement Plage
Concept original d’appartements familiaux avec cuisine, disposés autour d’une piscine, à quelques pas de la plage de Trous aux Biches, au Nord-Ouest de Maurice.
135€ l’appartement pour quatre personnes.
Face à la plage de Flic-en-Flac, à l’Ouest de Maurice.
100€ pour deux personnes en demi-pension.
À deux pas de la plage de Peyrebère, au Nord de Maurice.
60€ l’appartement pour quatre personnes.
Demander à visiter la suite présidentielle, un déploiement de luxe ostentatoire et kitch : 500€ pour trois couples.
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