Le 2 juin 2003
L'Education nationale gronde à la Réunion
En action depuis deux mois, les grévistes s'opposent surtout à la décentralisation.
Par DECLOITRE Laurent
Saint-Denis de La Réunion, correspondance
Même le piton de la Fournaise n'a pas apprécié les déclarations de Luc Ferry, jeudi devant le congrès de la Peep, sur la «situation presque insurrectionnelle» qui régnerait à l'île de la Réunion, nécessitant l'appel éventuel aux «forces de l'ordre» : le volcan s'est brutalement réveillé vendredi, au lendemain du commentaire du ministre.
L'éruption n'a duré que trois heures, un soubresaut sans commune mesure avec le mouvement de colère qui paralyse ce département d'outre-mer de l'océan Indien. Pour les grévistes de l'Education nationale, cela fait longtemps que «volkan la pété». Deux mois qu'ils protestent contre la décentralisation et la réforme des retraites ; que la majorité des 200 000 élèves n'a plus cours ; que des manifestations monstres déroulent leur cortège aux quatre coins de l'île.
Choqué. Une situation explosive, exceptionnelle, mais pas insurrectionnelle : pas de barricade dans les rues, pas d'affrontement physique. Aussi les propos de Luc Ferry ont-ils choqué les Réunionnais, dont la mémoire est toujours marquée par une «réelle insurrection», celle de 1991. Les émeutes du Chaudron, un quartier populaire de Saint-Denis, avaient fait huit morts. «Le ministre a perdu son sang-froid en tenant ces propos inadmissibles et disproportionnés», s'indigne Claire Le Lay, professeure et porte-parole de la coordination départementale, très active aux côtés de l'intersyndicale de l'Education (Unsa, FSU, CGTR, Sgen, CFDT, FO). «Brandir ainsi la matraque, cela relève du néo colonialisme. Le gouvernement veut nous remettre les chaînes aux pieds, ou quoi», explose Céline Ellama, une instit en poste dans l'Est. «Li vé in insureksion ? Li va en gagn in !», provoquent en créole des grévistes, qui ont commencé samedi à entasser, devant les portails du rectorat, des pneus, vieux réfrigérateurs, etc. L'intersyndicale, de son côté, appelle à des «actions plus dures» et à des «attaques sur tous les secteurs de l'île». Demain, journée de «généralisation de la grève», l'ensemble des confédé rations espère rassembler fonctionnaires et salariés du privé. A la Réunion peut-être plus qu'en métropole, la décentralisation fait figure d'épouvantail : elle est synonyme d'un «largage de Paris» et d'un pouvoir accru donné aux élus locaux, avec ce que cela comporte comme risques de «clientélisme».
Voeu pieux. L'académie est complètement paralysée et l'optimisme du recteur, Christian Duverger, qui assure que «le bac se déroulera dans le calendrier prévu» ressemble de plus en plus à un voeu pieux. Lui-même doit jouer à cache-cache avec les grévistes et cherche jour après jour des locaux où tenir discrètement des réunions, craignant d'être séquestré. De fait, les examens sont sérieusement menacés. Piquets de grève empêchant les élèves d'accéder aux salles, enseignants grévistes refusant d'être examinateurs, candidats n'ayant pas reçu leurs convocations... Les épreuves de dix BTS ont été reportées, ainsi que les travaux pratiques du bac pro ou encore les partiels de la faculté de sciences.
Face à cette situation tendue, les parents sont de plus en plus inquiets. Un sondage paru dans la presse locale indiquait il y a deux semaines que plus de 60 % d'entre eux soutenaient le mouvement. Mais aujourd'hui, la fédération de la Peep s'est désolidarisée. «Il faut que les cours reprennent et que les examens aient lieu, cela devient explosif», tempête Patrick Picardo, le président régional de l'association de parents d'élèves. Des parents ont même tenté de prendre en main des collèges et d'assurer accueil et surveillance des élèves. Sans succès. Sur les ondes de Freedom, la première radio de l'île, les enseignants sont souvent pris à partie et accusés de défendre leurs privilèges ils bénéficient à la Réunion d'une surrémunération de 53 % et d'une retraite indexée à 35 %. Les parents d'élèves de la FCPE, en revanche, continuent à manifester dans les rues en compagnie des grévistes, accusant Raffarin de «pourrir la situation» et de «prendre en otage les enfants».
«Micro-actions». Toujours est-il qu'à 10 000 km de Paris, les Réunionnais ont plus que jamais les yeux fixés sur la métropole, dans l'espoir d'un dénouement au niveau national. En attendant, la tension monte de jour en jour. Les grévistes décident de «micro-actions» dans les AG, qui se tiennent tous les matins dans les établissements. «Cela va partir dans tous les sens, on ne peut pas empêcher les gens d'être exaspérés», s'alarme un conseiller d'orientation. Des gendarmes mobiles sont arrivés en renfort ce week-end.
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