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L'actu vue par Laurent DECLOITRE

L'actu vue par Laurent DECLOITRE

Les articles de Laurent Decloitre (journaliste et biographe) sur la Réunion et l'océan Indien parus dans Libération, Marianne, Paris Match, l'Express, Géo et la presse nationale.

Publié le par Laurent DECLOITRE
Publié dans : #Articles parus dans d'autres médias

Dossier paru dans le N°295 de l'Entreprise, décembre 2010
Laurent DECLOITRE
Photos : Pierre Marchal

MOBIUS RIVALISE AVEC LES GRANDS FOURNISSEURS D'ACCES A INTERNET

Izi prend ses aises

Yann de Prince, ancien barman, a révolutionné l’accès à internet à la Réunion, s’est battu corps et ongles contre France Télécom puis le conseil régional… Avec l’offre Izi, sa société Mobius est devenue un acteur incontournable sur le marché des entreprises et des particuliers.

C’est déjà la préhistoire, mais le fait d’arme est symptomatique du personnage : Yann de Prince fut, en 1995, le premier fournisseur d’accès à internet à la Réunion. « Un truc de fada, rigole-t-il. On n’avait pas de sous, il fallait bricoler ». Faute de capitaux, justement, l’entrepreneur ne peut développer Guetali ; lorsque les géants Wanadoo, puis SFR, se positionnent sur le marché réunionnais, en 1998, l’ancien barman vend sa start-up.
De quoi engranger une petite plus-value et se lancer dans une autre aventure. Avec à la clé, un nouveau « coup de souris ». En l’an 2000, il crée Mobius et devient le premier fournisseur d’accès ADSL de toute la France, avec quatre salariés seulement. Alors que les internautes de métropole doivent se connecter et se déconnecter sur leur modem à chaque utilisation d’internet (souvenez-vous du grésillement), le pdg, tout juste diplômé d’un bac scientifique, permet aux Réunionnais de disposer d’une connexion permanente. « Un Allemand m’avait montré la technique lors d’un salon ; j’étais intrigué, cela n’existait nulle part dans l’hexagone », se souvient Yann de Prince. L’ancien barman, devenu depuis le président du Medef Réunion, achète une vingtaine de ces drôles de « routeurs ». « J’ai proposé le service aux PME du département. En trois mois, j’avais atteint un bon développement. Mais cela n’a pas plu à France Télécom, à qui je louais les liaisons téléphoniques ». C’est le début d’une longue série de confrontations entre le petit Poucet d’internet et l’opérateur historique. « Ils ont coupé mes lignes, sous prétexte que je perturbais le réseau », raconte Yann de Prince, qui vit sur l’île depuis l’âge de ses dix ans, en 1980.
Accompagné d’un huissier, il porte plainte contre France Télécom auprès de l’Autorité de régulation des télécommunications, qui lui donne raison. Mobius peut reprendre son activité en 2001 : aujourd’hui, la société, basée au Port, détient près de 50% du marché de l’internet aux entreprises à la Réunion. Mais l’aventure ne fait que commencer.
Il obtient la baisse des tarifs
En 2002, la Réunion est enfin connectée au reste du monde via un câble sous-marin, Safe, qui serpente au fond de mers entre l’Europe et l’Asie. Un consortium international, auquel appartient France Telecom, a financé ce gigantesque projet. En passant du satellite au câble, Safe apporte le haut-débit. Mobius voit là l’opportunité d’offrir ses services au grand public, et ne plus se contenter du marché des entreprises. « Mais France Télécom vendait l’accès au câble très cher aux opérateurs du privé, qui étaient ses concurrents, tout en s’octroyant des avantages pour son propre compte », accuse Yann de Prince. Et de saisir une fois encore l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep). Victoire : le tarif du mégabit passe en 2004 à 1 550€ par mois, (150€ aujourd’hui…), contre 17 500 auparavant ! « J’ai été contacté par des opérateurs du monde entier qui voulaient eux aussi négocier des tarifs d’accès aux câbles », assure l’ancien président de l’association réunionnaise des professionnels des technologies de l’information et de la communication.

Il lance en 2006 la marque Izi, l’internet haut débit pour le grand public. Aujourd’hui, l’entreprise de 68 salariés revendique 18 000 clients et près de 11% du marché, qui est toujours largement dominé par France Télécom (plus de 50%). Izi est devancé par Only (ex Outre-Mer Télécom) et Médiaserv, du groupe Loret-Antilles. La concurrence sur les tarifs fait rage entre les challengers et dérape parfois… Tant et si bien que Yann de Prince saisit de nouveau l’Arcep, tout en mettant en cause le conseil régional !
La télé le mois prochain
Explication. EDF, au début des années 2000, décide de monter un réseau de fibre optique sur l’île, en se servant de ses lignes très haute tension. La fibre optique offrant des débits sans commune mesure avec le câble, les opérateurs privés sont intéressés. La Région, avec le soutien de la caisse des dépôts et des consignations, finance l’opération et crée le réseau Gazelle, en 2006. Pour l’exploiter, elle passe par une délégation de service public, Réunion Numérique, obtenue par le groupe Loret. Mais voilà que ce dernier lance peu de temps après Médiaserv et propose à son tour un accès à internet… « Ce qu’on craignait est arrivé, dénonce Yann de Prince. Le délégataire a mélangé l’intérêt public et ceux de sa filiale, avantageant Mediaserv au détriment de ses concurrents ». Le pdg de Mobius va plus loin encore : « Le délégataire a reçu de l’argent public pour développer le réseau mais l’a en fait remonté à sa société mère en difficulté ». Le groupe Loret a porté plainte pour diffamation, ce qui laisse Yann de Prince « serein ». De son côté, l’Arcep a donné, en partie, raison à Mobius : Réunion Numérique a dû baisser ses frais d’accès à l’ADSL.

Il n’en fallait pas moins à notre quadragénaire, qui ne dort que 4h par nuit, pour rebondir : Mobius a baissé ses tarifs, vie suivi par ses concurrents, et va proposer une offre triple-play en janvier prochain. « On aurait pu proposer la télévision par internet avant, mais les tarifs restaient trop élevés, explique Yann de Prince. En outre, la TNT a débarqué le 30 novembre à la Réunion, notre offre risquait de passer inaperçue ». La partie s’annonce serrée, avec l’arrivée de Neuf, du groupe SFR et son offre triple-play, quelques semaines avant Izi, qui ne dispose que de trois agences sur l’ensemble de l’île.
La société a investi 10 millions d’euros, pour obtenir les concessions sur le câble (les droits « irrévocables » d’utilisation), mettre en place un système de « dégroupage » qui lui évite de passer par l’intermédiaire de France Télécom, et acheter les box remises aux clients. Mobius a bénéficié des aides du fond stratégique à l’investissement, créé en 2009 par le gouvernement, et, pour la première fois de son histoire, est aujourd’hui rentable. Yann de Prince a même racheté les actions de sa société, dont il possède désormais 66% du capital. Il sera d’autant plus difficile de détrôner le prince du paysage numérique réunionnais…

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