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L'actu vue par Laurent DECLOITRE

L'actu vue par Laurent DECLOITRE

Les articles de Laurent Decloitre (journaliste et biographe) sur la Réunion et l'océan Indien parus dans Libération, Marianne, Paris Match, l'Express, Géo et la presse nationale.

Publié le par Laurent DECLOITRE
Publié dans : #Articles parus dans Libération
Le 28 janvier 2004

A La Réunion, raz de marée de retraites anticipées

Un cumul d'avantages provoque une pénurie de fonctionnaires dans l'île.

Par DECLOITRE Laurent

La Réunion, correspondance.

Une véritable hémorragie. En quelques mois, 800 fonctionnaires, pères de trois enfants et ayant quinze ans d'ancienneté, ont demandé à prendre leur retraite anticipée à La Réunion. Et 530 ont déjà obtenu leurs «vacances à vie». Ces fringants quinquagénaires profitent d'une jurisprudence du Conseil d'Etat, qui a vu le jour après un arrêt de la cour de justice des communautés européennes obligeant la France à respecter l'égalité des sexes : les hommes, pères de trois enfants au moins, peuvent bénéficier, comme les femmes, d'une annuité supplémentaire par enfant.

Privilège. En France, seuls 750 000 fonctionnaires «géniteurs» pourraient ainsi réclamer de profiter immédiatement de leur pension. Mais ces ayants droit n'ont souvent pas le nombre suffisant d'annuités pour bénéficier d'une retraite à taux plein. A La Réunion, en revanche, un privilège «historique» (réservé à l'outre-mer) permet de concilier revenus et repos : pour trois ans d'activité, les fonctionnaires gagnent une annuité supplémentaire. Dès l'âge de 48 ans, un agent de la direction départementale de l'équipement, qui a commencé à travailler à sa majorité, bénéficie donc de 40 annuités. Les heureux retraités ont aussi droit à une majoration (spécifique à La Réunion) de leur pension de 35 % en raison du coût de la vie.

Au milieu des orchidées de son jardin du Tampon, à 1 000 mètres d'altitude, Joël Dennemont est bien placé pour le savoir. Depuis qu'il a pris sa retraite anticipée à 56 ans, l'ancien prof perçoit une pension de 3 000 euros par mois, alors que son salaire précédent n'était que de 2 500 euros. «J'étais à mi-temps suite à des problèmes de santé, raconte ce père de trois enfants. Franchement, je n'ai pas volé ma retraite.»

Malgré tous ces avantages, beaucoup des 800 Réunionnais sur le départ seraient sans doute encore au travail si le gouvernement n'avait pas mené sa réforme des retraites à marche forcée. Patrick Céus, 48 ans, père de quatre enfants, a quitté la Poste en décembre: «Je n'étais pas spécialement fatigué, mais l'attitude du gouvernement, qui a allongé la durée de travail des salariés tout en leur donnant moins, a été un coup de massue. J'ai décidé de sauver les meubles.» Christian Derand était, lui, usé, après trente-huit ans de service dans l'académie. Laborantin dans un lycée du sud de La Réunion, ce père de quatre enfants trouvait «le temps long» et supportait «de moins en moins le manque de respect des élèves». A 56 ans, il allait être transféré au conseil général, comme tous les Atos (administratifs, techniciens, ouvriers et agents de service) de l'Education nationale. Un transfert contre lequel les Atos de l'île ont fait grève d'avril à juin 2003.

Promotion. Les départs étant de plus en plus nombreux, les administrations de l'île font feu de tout bois pour essayer d'assurer la continuité du service public. A la Poste, 103 agents (sur 1 400) ont d'ores et déjà mis un terme à leur carrière grâce au dispositif. «Cela nous a posé des problèmes de remplacement», reconnaît Laurent Cami, le DRH. Il a fallu accélérer les mutations depuis la métropole, transformer des CDD en CDI, embaucher des emplois-jeunes, et même procéder à des reclassements en interne. Des agents de service et ouvriers d'entretien sont ainsi devenus facteurs ! Thérèse Nayagom a bénéficié de cette promotion inespérée : l'ancienne «monèt» (pour «main-d'oeuvre de nettoyage»), travaille désormais au tri du centre financier de Saint-Denis. A France Télécom, sur 560 fonctionnaires en poste à La Réunion, 70 pères sont partis. Une proportion énorme qui «a bouleversé toutes les prévisions» de l'aveu de Jean-Jacques Marchi, DRH adjoint. Dans l'académie, 130 enseignants et Atos ont quitté les cours, soit l'équivalent de deux collèges. Le recteur Christian Merlin relativise: «Sur 18 000 fonctionnaires, c'est un chiffre qui ne nous met pas en difficulté.» Au moins le départ des titulaires fera-t-il le bonheur des contractuels et vacataires.

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