Les Réunionnais privés de leur volcan ?
17 octobre 2010
Photos L.D. Vidéo en bas de l'article.
Les fontaines de lave, d'une dizaine de mètres de hauteur, n'ont rien à voir avec les geysers impressionnants de l'éruption de 1998. Mais l'éruption, jeudi, du Piton de la Fournaise vaut néanmoins le détour. Toujours aussi magique d'assister au réveil de la terre. Le grondement qui sourd des cratères en formation, semblable à celui des vagues qui s'écrasent contre une falaise ; les lambeaux de chair crachés dans les airs qui retombent sur les flancs des cônes et deviennent noirs en quelques secondes ; la coulée de lave qui creuse un lit entre les grattons encore fumants et brûlants, charriant des blocs rouges et incandescents... Grandiose, comme toujours.
Pourtant, les Réunionnais n'ont pas droit au spectacle en 3D. Confinés au Piton de Bert, à 1h30 de marche du Pas de Bellecombe, à plusieurs milliers de mètres. Certes, la vue plongeante sur les coulées est magnifique...mais il faut presque des jumelles. Pas d'autre choix, le préfet a fermé l'accès à l'Enclos Fouqué au moment de l'éruption. Trois jours après, il est impossible d'emprunter les escaliers qui descendent dans la caldeira où rugit le feu ; le portail est toujours cadenassé.
Or l'éruption est stabilisée ; surtout, un sentier ouvert par l'ONF il y a quelques années, balisé de points blancs peints sur les dalles de basalte, mène droit à l'éruption. Plus précisément au vieux et majestueux cratère du Chateaufort, au pied duquel jaillit aujourd'hui la lave à plus de 1000 degrés.
Le sentier part à droite du cratère Formica Léo, en bas des escaliers. De là, l'ONF indique l'aller-retour en 5h30. Une marche sans difficulté majeure, à condition toutefois d'être équipé de chaussures de montagne qui protègent les chevilles. Sinon, les grattons coupants vous écorcheront à coup sûr. Une coulée de lave a bien coupé le sentier, mais sur une centaine de mètres seulement. L'ONF aurait vite fait de repeindre les repères. Bien entendu, nous sommes en haute montagne, à plus de 2000m d'altitude : il faut avoir une bonne condition physique, être équipé de vêtements chauds et contre la pluie, et avoir emporté eau et vivres.
Sur place, il est possible de délimiter une aire d'observation, qui serait oh combien moins dangereuse que la plate-forme aménagée au sommet du Dolomieu, le cratère principal de la Fournaise...
C'est en tout cas l'avis de Philippe, membre du Centre de documentation et de diffusion sur le volcanisme, qui a passé la nuit sur place. "Un petit balisage supplémentaire suffirait ; physiquement, ça passe très bien", estime le passionné. D'ailleurs, une demi-douzaine de touristes de métropole ont bravé l'interdit. Ils ont escaladé le portail, de nuit, pour observer au plus près l'éruption. "On s'est renseigné, on risque une amende de quelques dizaines d'euros seulement. Le jeu en vaut la chandelle", sourit Renaud, le Parisien. "On est des bons marcheurs, on fait attention. On ne regrette pas : ce n'est pas dangereux et le spectacle est génial", renchérissent ses deux compères, Nicolas de Perpignan et Benjamin, de l'Oise.
Nous croisons encore Nicolas, venu de Lyon, qui se plaint d'être "obligé de jouer au délinquant". "Seuls les riches peuvent venir admirer l'éruption", regrette-t-il en pointant du doigt le ballet incessant des hélicopères qui survolent, à altitude prudente, le chaudron en feu.
Sur le parking de la Plaine des Sables, où s'agglomèrent des centaines de véhicules, les curieux sont partagés entre le fatalisme et la colère. Robert, un militaire réunionnais à la retraite, estime que le point de vue du Piton de Bert "ne vaut pas le coup". "Mais je respecte la loi, je ne descendrai pas dans l'Enclos pour autant", prévient-il. Pas grave, son camarade, un ami de métropole, n'est pas déçu : "De nuit, on voit bien les coulées. Ma femme m'a demandé à trois reprises de la pincer, elle croyait rêver"... Henri, de Saint-Benoît, dans l'est de l'île, tatouage peace and love sur l'avant-bras, déplore, lui, l'attitude des pouvoirs publics : "D'ici, c'est sans plus. Dans le temps lontan, on avait le droit de s'approcher très près des coulées. Je ne vois pas ce qui justifie ces précautions aujourd'hui". La réponse remonte à 2003 : un jeune homme est mort, lors d'une éruption, alors qu'il marchait sur un tunnel de lave qui s'est effondré. Son père a porté plainte. Depuis, les pouvoirs publics ont ouvert le parapluie pour éviter les retombées de lave. Comme le résume Edwige, des Avirons : "Maintenant, ils ne se cassent plus la tête, ils ferment"...
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