La Réunion invente la plantation solaire
Des panneaux photovoltaïques chapeautant des terres agricoles, c’est l’innovation d’Akuo Energy, une PME française. Reportage au milieu de la citronnelle et des géraniums de l’île.
Terra-Eco d'avril 2011. Texte : Laurent DECLOITRE
Entre les rubans de panneaux photovoltaïques qui épousent les courbes de ce terrain vallonné de Pierrefonds, au sud de la Réunion, Marie-Rose Séverin cueille d’énormes brassées de citronnelle. L’agricultrice rayonne : les 25 000 touffes d’herbe aux effluves acidulées ont profité du soleil tropical ; tout comme les 35 000 plants de géranium Bourbon, au parfum poivré. La récolte est acheminée quelques kilomètres plus haut, dans une coopérative ; là, dans un alambic qui sent bon la tradition, citronnelle et géranium sont distillés et transformés en huile essentielle. Les flacons seront vendus aux touristes ou exportés en métropole.
« On va sauver notre patrimoine », se réjouit Marie-Rose, dont les longs cheveux blonds flottent au gré des alizés. La « cuite de géranium » a en effet presque disparu de l’île. La faute au prix du foncier : les terres sont rares à la Réunion, à cause des montagnes et des massifs volcaniques. La canne à sucre, subventionnée par l’Europe, plus rentable que les plantes odoriférantes, vampirise les surfaces disponibles.
L’agricultrice a pu se lancer dans cette niche grâce à l’appui, « inespéré », d’Akuo, une PME française qui produit de l’électricité éolienne et photovoltaïque dans une dizaine de pays. Marie-Rose occupe à titre gracieux les quatre hectares du terrain de Pierrefonds, sur lequel la société a installé 21 000 panneaux solaires. S’il n’avait pas fallu laisser de la place aux plantations, 30 000 panneaux auraient pu être posés et produire 3 mégawatts d’électricité au lieu des 2,1 actuels.
Pourquoi ce « sacrifice » ? Le lobby agricole de la Réunion l’a imposé, comme l’assume sans détour Jean-Bernard Gonthier, vice-président de la chambre d’agriculture : « On est contre le photovoltaïque au sol, qui nous prend les bonnes terres ». Luc Colomba, directeur délégué de la Direction départementale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt, dénonce lui aussi « les fermes solaires qui tartinent notre île de panneaux sans s’occuper de ce qu’il y a dessous ».
Eric Scotto, le président d’Akuo, un self-made-man de 43 ans qui s’est reconverti dans les énergies renouvelables après avoir fait fortune dans l’informatique, a donc dû innover. Il a imaginé le concept d’agrinergie. « C’est une cohabitation gagnant-gagnant. Grâce à nos investissements, l’agriculteur dispose d’un outil de travail performant ; d’un autre côté, on nous autorise à utiliser des terrains pour développer notre activité », détaille le précurseur, dont la ferme solaire a été inaugurée l’an dernier par Nicolas Sarkozy.
Depuis, Akuo a poussé plus loin le concept, en mettant en service, en janvier, la première exploitation sous serres solaires de la Réunion, d’une puissance d’un mégawatt, sur la commune rurale du Tampon. Les panneaux photovoltaïques, surélevés, laissent libre la surface entière au sol, où fleurissent 350 000 lys et 45 000 anthuriums. La toiture, qui alterne cellules solaires et tôles ondulées translucides, assure une protection contre les cyclones, la chaleur et les fortes pluies. « Grâce aux serres, j’aurai une production étale sur l’année, sans mauvaise surprise », se réjouit Jean-Louis Payet, un solide gaillard à la voix posée. L’horticulteur a mis 15 000 m2 à disposition d’Akuo, qui, en contrepartie, a investi 6,7 millions d’euros dans la pose de la structure métallique.
Il serait beaucoup plus rentable d’installer un maximum de panneaux sur la plus petite surface possible, à même le sol. Pourtant, malgré un surcoût de « 50% », Akuo s’y retrouve. « Notre retour sur investissement est de 12 ans, détaille Eric Scotto. On espère des profits sur les six à huit dernières années ». La société va d’ailleurs exploiter trois nouvelles fermes solaires sous serres à la Réunion, qui produiront 4,8 mégawatts et permettront à des agriculteurs de cultiver des légumes et pitayas bio. Mais ce business modèle a été établi en 2007, quand le prix de vente du kilowatt/heure à EDF s’élevait à 60 centimes. Depuis, le gouvernement a revu à la baisse à plusieurs reprises ce tarif bonifié. Un manque à gagner qui menace un autre projet d’Akuo, plus original encore : la couverture d’une prison de l’île par 31 000 panneaux photovoltaïques, dont la pose et la maintenance devaient être en partie assurés par une trentaine de détenus.
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