De notre correspondant, Laurent DECLOITRE (photos LD)
Libération du 10 mai
Hier, la plage des Brisants, à Saint-Paul, à l’ouest de La Réunion, respirait les vacances. Des joueurs de beach-tennis, des enfants à l’eau jusqu’à la taille, des couples en train de bronzer… Benjamin, protégé du soleil dans un lycra blanc, s’apprêtait même à glisser dans les vagues sur son body-board bleu. Lorsque nous apprenons à sa mère que la veille, mercredi, un touriste de 36 ans, originaire de Morteau (Doubs), a été tué par un requin et que la baignade est interdite, Sophie écarquille de grands yeux. « Je n’étais pas au courant, c’est incroyable, les pouvoirs publics sont un peu légers sur ce coup ! », dénonce la Réunionnaise.
Sur le parking de cette plage bordée de cocotiers, au sable blanc rugueux, le vacancier peut admirer une fresque murale où un squale attaque une nageuse... Mais sur les panneaux officiels de la réserve naturelle marine et de la commune, qui affichent une série d’interdictions, nulle mention du risque requin. La flamme rouge, marquée d’un squale ? Le drapeau flotte au vent sur la plage voisine des Roches-Noires, invisible depuis les brisants.
Hier après-midi, dans une ambiance très tendue, une centaine de jeunes surfeurs sont venus rendre hommage à la victime, Stéphane Berhamel. Père d’un enfant de dix-huit mois, le Franc-Comtois passait sa lune de miel à La Réunion ; il est mort sous les yeux de son épouse. Le débutant surfait à environ une centaine de mètres de la plage lorsqu’un requin l’a attaqué, lui sectionnant le poignet droit et arrachant une partie de la cuisse. « J’ai entendu des cris et j’ai vu une énorme mare de sang », raconte Steve, le cuisinier d’une paillote, en train de préparer un tartare de thon rouge.
Cette nouvelle attaque mortelle, la quatrième depuis juin 2011, a ravivé la polémique qui oppose les surfeurs aux pouvoirs publics et aux écologistes. Thierry Robert, député-maire de Saint-Leu, autre commune balnéaire, a relancé l’idée de chasser les requins tigre et bouledogue, deux espèces non protégées, responsables d’une quinzaine d’agressions ces dix dernières années.
Mais le préfet Jean-Luc Marx ne prévoit pas d’autres « prélèvements » que ceux déjà réalisés par l’Institut de recherche en développement (IRD). Dans le cadre du projet Charc (Connaissance de l’habitat et de l’écologie des requins côtiers à La Réunion), 39 bouledogues et 40 tigres ont été capturés, marqués…et relâchés. Grâce à des stations d’écoute, l’IRD peut suivre leurs mouvements. « On ne sait pas encore s’ils sont sédentaires, mais ils font partie de notre écosystème, c’est certain, reconnaît Marc Soria, le coordinateur du projet.
Pour Jean-François Nativel, le virulent secrétaire de l’association Océan Prévention Réunion, « poudre aux yeux » que ces mesures : « Ce qui devait arriver est arrivé, à cause de l’incompétence des autorités. Elles jouent avec le temps, nos enfants jouent avec leur vie ! » L’homme prône la mise à l’eau de drum lines, des lignes de pêche flottantes, appâtées, qui captureraient les squales avant qu’ils ne s’approchent trop près des plages. En attendant, Jean-François Nativel a perdu tout plaisir « de surfer avec une épée de Damoclès au-dessus de sa planche ».
Des clubs continuent pourtant de pratiquer, lors de sessions « sécurisées » par des vigies. Ces hommes, armés de fusil-harpon, surveillent, en apnée, les fonds sous-marins pendant que les jeunes glissent au-dessus de leur tête. « Le dispositif a montré son efficacité, assure Loris Gasbarre, président de l’association Prévention Réunion Requin. Les squales, très craintifs, s’enfuient s’ils nous voient ». Cependant, le préfet, « pour des raisons de sécurité et de responsabilité », refuse de renouveler le financement des quelque 45 contrats aidés dont disposent les clubs, et qui arrivent bientôt à échéance.
Ludovic Villedieu ne sait plus quoi penser. Au sein du Radical Club Surf, il employait six de ces vigies. « J’ai un sentiment de culpabilité, lâche le surfeur. Avec ces sessions sécurisées, on a remis à l’eau des gamins qui avaient arrêté le surf et le body-board… » Mercredi, sur la plage des Brisants, l’encadrant avait annulé la sortie, à cause d’une eau trop trouble. Après son départ, les jeunes ont désobéi. Et se sont jetés à l’eau, rejoints par Stéphane Beharmel, qui, lui, s’est trop éloigné du bord malgré son inexpérience…
Laurent DECLOITRE
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