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L'actu vue par Laurent DECLOITRE

L'actu vue par Laurent DECLOITRE

Les articles de Laurent Decloitre (journaliste et biographe) sur la Réunion et l'océan Indien parus dans Libération, Marianne, Paris Match, l'Express, Géo et la presse nationale.

Publié le par Laurent DECLOITRE
Publié dans : #Articles parus dans Libération
La maison de Moina Magoma, à Kwélé, a encore été vandalisée. (D.Lemor)

La maison de Moina Magoma, à Kwélé, a encore été vandalisée. (D.Lemor)

Destruction d’un bidonville suspendue par la justice, accueil des expulsés refusé par les Comores, violences toujours aussi nombreuses… L’opération sécuritaire d’envergure lancée par le ministre de l’Intérieur a bien mal débuté, alors que la tension monte de jour en jour sur l’île.

Libération du 25 avril 2023
De notre envoyé spécial, Laurent DECLOITRE

Il faut emprunter un passage boueux, encombré de rochers et de tuyaux, souillé d’ordures, entre deux murs de tôles, pour parvenir à la «maison» de Soufou, une Comorienne titulaire d’une carte de séjour valable deux ans. Dans la masure, seul un lino gondolé protège de la terre battue. Les murs des quatre pièces, en contreplaqué, ne montent pas jusqu’au toit, le jour et la pluie percent par d’innombrables trous. C’est en raison de cette insalubrité que le préfet de Mayotte avait ordonné la destruction de la case. L’opération devait avoir lieu mardi matin, et concernait 70 autres familles vivant à «Talus 2», un des bidonvilles de Koungou, sur la côte est du département d’outre-mer. Mais «Dieu merci», soupire Soufou, musulmane comme la quasi-totalité de la population, les pelleteuses, encadrées par d’importantes forces de l’ordre, ont rebroussé chemin.

Lundi soir, le tribunal judiciaire de Mamoudzou a en effet jugé que la démolition de ces taudis était «irrégulière» et mettait «en péril la sécurité des habitants». Une vingtaine de familles, soutenues par un collectif d’avocats, avaient déjà obtenu un sursis auprès du tribunal administratif, arguant qu’on ne leur avait pas proposé de relogement adapté : les pelleteuses auraient donc dû les épargner et détruire les autres. Impossible, en réalité, dans cet enchevêtrement incroyable de tôles et de planches. Les habitants poussent un ouf de soulagement. «J’étais comme paralysée du cœur, je n’arrivais plus à dormir ni à manger», confie Soufiani, mère de cinq enfants. Certaine que sa cahute allait être détruite, la pauvre femme avait arraché elle-même, la veille, les tôles des murs pour les récupérer. La Mahoraise, mariée à un Comorien, fait contre mauvaise fortune bon cœur : «Ce n’est pas grave, je vais les remettre.» Soufou, aussi, se réjouit de pouvoir rester chez elle, malgré ses conditions de vie précaires. «On nous a proposé un relogement, loin d’ici, pour trois mois seulement. Et après, on fait quoi ? On est à la rue ? On est expulsé ?» Arrivée clandestinement des Comores en 1999, distantes de seulement 70 kilomètres, à bord d’un kwassa-kwassa – barque à moteur pilotée par des passeurs – la mère de sept enfants survit en vendant des bananes, du manioc et des noix de coco sur le marché. Rayinour, sa voisine, n’a quant à elle aucun papier – la préfecture vient de lui notifier son refus de lui accorder une carte de séjour. La jeune femme de 21 ans risquait dont d’être expulsée si sa case avait été détruite. Elle aussi est entrée sur le territoire français pour y trouver une vie meilleure ; elle a d’ailleurs obtenu un bac pro et espère devenir aide-soignante. Comme tous les habitants du bidonville, Rayinour est soulagée de pouvoir rester sur place.

«Gérer sans panique pour le moment»

Cet attachement peut paraître surprenant, vu l’insalubrité des lieux. Mais les clandestins savent qu’ils seront reconduits à la frontière, tandis que les Français ou Comoriens en règle ne croient pas aux promesses de relogement. Le Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), se fait l’écho de cette inquiétude : «Faute de solutions pérennes de relogement, les familles n’ont pas d’autre choix que d’aller déboiser un autre bout de forêt pour s’y installer !» Le préfet de Mayotte, Thierry Suquet, a indiqué mardi que l’Etat allait faire appel de la décision du tribunal.

Pour Gérald Darmanin, homme-orchestre de cette vaste opération nommée Wuambushu, qui comptait détruire plus d’un millier de bangas (maisons en tôle des bidonvilles) en l’espace de deux mois, le coup est dur. Si le ministre de l’Intérieur et des Outre-Mer est aux manettes, c’est parce que l’objectif est aussi sécuritaire : de nombreux Comoriens clandestins habitent dans les bidonvilles, accusés par l’Etat et de nombreux Mahorais d’entretenir l’insécurité effroyable qui gangrène l’île. Plus de 500 gendarmes et policiers ont été envoyés en renfort la semaine dernière pour multiplier les contrôles d’identité sur la voie publique et interpeller les sans-papiers. L’an dernier, Mayotte a reconduit à la frontière comorienne plus de 25 000 étrangers. Mais Wuambushu s’est heurtée au refus, lundi, des Comores d’accueillir les expulsés. Moroni considère en effet Mayotte comme la quatrième île de son territoire et en revendique la souveraineté. Le Maria Galanta, qui transportait une soixantaine de passagers, dont un tiers d’immigrés reconduits à la frontière, n’a pas pu accoster à Anjouan, la plus proche des îles comoriennes. Le navire a dû faire demi-tour et les sans-papiers ont été réacheminés dans le centre de rétention administrative (CRA) de Petite-Terre, à Mayotte. Ils ont été hués par quelques dizaines de bwénis (femmes), qui craignent leur libération prochaine. Le préfet a beau assurer que l’Etat a «de quoi gérer sans panique pour le moment», le CRA et un local de rétention provisoire n’ont qu’une capacité de 200 places. En 2018, le même épisode avait conduit in fine à relâcher les clandestins interpellés… Face à ces contretemps, Gérald Darmanin, qui avait promis une opération «spectaculaire», tente de faire bonne figure. Sur Twitter, le ministre a reconnu «une action difficile mais extrêmement résolue». Le préfet de Mayotte a également assuré que les actions allaient se poursuivre.

«Ils connaissent la forêt, sont très mobiles»

En attendant, Mayotte vit au rythme des batailles rangées entre les forces de l’ordre et des bandes de jeunes. Mboi, en train de fumer un joint de bangué (cannabis local), dans la forêt de Tsoundzou, à quelques kilomètres du chef-lieu, a beau prôner la paix, il les approuve : «Ils défendent leurs parents qui risquent d’être expulsés !» Ils, ce sont des adolescents, voire des enfants de 12-13 ans, qui s’habillent avec des combinaisons blanches, moitié tissu, moitié papier, dont se servent les peintres pour se protéger des pulvérisations de peinture. «C’est pour ne pas être reconnus à leurs vêtements», explique Mboi. Nous en croisons, traversant une rivière pieds nus, affublés qui d’un casque, qui de lunettes de ski, qui d’un couvre-chef fait de feuilles et de branches. Alors que nous tentons de leur parler, l’un d’eux brandit un long couteau effilé et s’approche en nous menaçant… (Lire la suite sur Libération.)

Opération de contrôle à Koungou par les gendarmes français, lundi 24 avril. (Morgan Fache/AFP)

Opération de contrôle à Koungou par les gendarmes français, lundi 24 avril. (Morgan Fache/AFP)

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