Dominique Voynet, directrice de l’agence régionale de santé de Mayotte, a demandé des renforts pour faire face à la flambée de l’épidémie sur l’archipel, marquée par l’apparition de variants du coronavirus.
Laurent Decloitre, Libération du 6 février 2021
A compter de vendredi, Mayotte est à nouveau confinée pour au moins trois semaines. Approuvez-vous la mesure du préfet ?
J’étais demandeuse, mais la mort dans l’âme. Nous avons tout fait pour l’éviter, car le confinement a des effets dévastateurs chez les plus précaires. Quand vous avez la climatisation, un jardin, une voiture pour faire les courses, c’est vivable. Mais si vous n’avez pas l’eau courante, comme c’est le cas pour un tiers des Mahorais, quand vous vivez à trois générations sous un toit en tôle, où il fait près de 40 degrés, quand vous survivez en glanant des ressources au jour le jour, ou en vendant des tomates au bord de la route, le confinement est très éprouvant.
Pourtant, nous avons dû nous rallier à cette mesure extrême, car le virus est allé plus vite que nos efforts de freinage. Le couvre-feu sur l’ensemble de l’île et le confinement sur trois communes, instaurés la semaine dernière, n’ont pas suffi.
Pourquoi n’a-t-il pas permis de contenir l’épidémie ?
Le virus nous a échappé. Il y a trois semaines, je pensais qu’on allait pouvoir gérer. Mais en quelques jours, le taux d’incidence a explosé, il est aujourd’hui de 597 pour 100 000 habitants, contre 50 en janvier, avec un taux de positivité de 20,5% : c’est considérable, préoccupant, inquiétant. Lors de la première vague, entre mars et mai, nous avions comptabilisé un millier de cas. Cette fois, on atteint 1 669 cas en une semaine ! Cela tient notamment à l’émergence des variants sud-africain et britannique, qui se diffusent à très grande vitesse. Ils touchent toutes les catégories d’âge et ont donné l’impression, dans les premiers jours, de provoquer des formes plus graves. Mais de ce côté, cela semble se normaliser.
Est-ce que les capacités de l’unique hôpital de Mayotte vont suffire ?
Le centre hospitalier est en tension tous les jours de l’année en temps normal… Il a été dimensionné pour 200 000 personnes alors que le département en compte 100 000 voire 200 000 de plus, avec les immigrés clandestins. Pour faire face à la crise actuelle, nous avons demandé des renforts : une vingtaine d’infirmières et d’anesthésistes de la réserve sanitaire sont arrivés la semaine dernière et demain, samedi, le service de santé des armées va armer cinq nouveaux lits de réanimation. On montera donc à 32 lits dont 15 sont occupés aujourd’hui par des malades du Covid ; mais il y a aussi les accidents cérébraux, de la route, les infarctus et on est confronté à une flambée de cas en réanimation natale…
Alors, nous augmentons la cadence des évacuations sanitaires aériennes en direction de la Réunion : nous n’avions qu’un seul équipage qui effectuait une rotation quotidienne sept jours sur sept, nous en aurons deux désormais qui pourront réaliser deux rotations par jour. Mais sur le long terme, il nous faut un second hôpital. Emmanuel Macron s’y est engagé lors de sa visite en octobre. C’est une question vitale, mais l’urgence de l’épidémie complique évidemment l’instruction de ce dossier. De la même façon, la gestion au jour le jour nous empêche de mener à bien une nécessaire politique de prévention et d’éducation. Le travail de fond est sacrifié au profit de l’urgence sanitaire.
En attendant, la solution semble passer par la vaccination, qui a pris du retard à Mayotte…
Nous avons effectivement tardé à recevoir le congélateur pour conserver les vaccins. La Réunion, qui compte davantage de personnes âgées, a été équipée plus tôt. Mais aujourd’hui, la campagne de vaccination est lancée à Mayotte et on consomme l’entièreté de nos doses : 1 170 la semaine dernière, 1 170 cette semaine, autant la semaine prochaine. Nous avons décidé de vacciner les personnes à partir de 65 ans, et non pas de 75 ans comme en métropole, car notre population est jeune. Mais la logistique est compliquée à Mayotte où il fait très chaud : entre la décongélation, le transport, la vaccination dans les centres communaux d’action sociale des communes (peu climatisés), et les gens qui n’osent pas toujours venir – notamment les immigrés clandestins qui n’ont pas de papiers –, c’est un peu la galère. J’attends avec impatience les vaccins Moderna et AstraZeneca.
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