Aucun caractère terroriste et encore moins une agression : la prétendue victime a avoué avoir tout inventé, dans un contexte national tendu après trois attentats islamistes en quelques semaines.
De notre correspondant Laurent DECLOITRE
Libération du 26 novembre 2020
«Un homme de grande taille, avec une barbe, habillé de noir.» Voilà comment Michel E., un maître-chien de 60 ans, avait décrit son agresseur, qui lui aurait donné des coups de couteau le 18 novembre à La Réunion en criant «Allah Akbar». Contacté par téléphone alors qu’il examinait des photos d’éventuels suspects au commissariat, l’homme avait assuré à Libération que l’attaque avait eu lieu en plein centre-ville du Port, sur la côte ouest de l’île. Le fait divers avait déclenché une vaste opération de police, le caractère supposément terroriste étant pris au sérieux par la justice, après les attentats survenus en métropole au fil du mois d’octobre. L'affabulateur a avoué mercredi avoir tout inventé. Placé en garde à vue, il encourt six mois de prison pour dénonciation d’un crime imaginaire.
Derrière ce retournement, une arme blanche retrouvée sur place a fini par parler et les résultats ont confondu le mythomane : seul l’ADN de la prétendue victime a été retrouvé sur le couteau, les vêtements et sous ses ongles. Par ailleurs, les enquêteurs étaient surpris que personne n’ait été témoin de la scène, survenue près d’un snack et d’une station-service, en milieu de journée dans une artère fréquentée. Les caméras de surveillance du quartier n’avaient pas donné plus de résultat. Et la personnalité du plaignant avait commencé à susciter des doutes chez les enquêteurs. L’homme est connu des médias locaux pour avoir fait plusieurs fois l’objet d’articles élogieux sur des exploits, dont on ne connaît pas la véracité. Le Journal de l’île révèle que la police a d’ailleurs découvert que le maître-chien de Trois-Bassins n’avait jamais fait partie des commandos de l’armée et n’avait jamais été blessé par balles en Afrique, comme il le prétendait.
Dans des courriers de lecteurs, Michel E. a souvent été remercié par des personnes qu’il aurait secourues : un automobiliste dont la voiture avait pris feu ; le propriétaire d’un chien qu’il aurait sauvé de la mort en se battant contre des pêcheurs qui voulaient s’en servir comme appât à requin… Dans ces conditions, l’affabulateur, qui a réellement participé à la formation de chiens de sauvetage des pompiers de La Réunion, a-t-il sauvé des «milliers de personnes» dans des opérations de secours lors de tremblements de terre un peu partout dans le monde ? L’homme sait en tout cas se montrer persuasif. En 2015, il a été nommé au grade de chevalier de la Légion d’honneur. Il a également reçu la médaille de la ville de Saint-Marcellin-en-Forez (Loire) d’où il est originaire, ou encore de l’Etoile européenne du dévouement civil et militaire par le maire de Trois-Bassins. Lorsque Libération l’avait interrogé au lendemain de l’attaque sur les doutes que pouvait susciter son témoignage, Michel E. avait fustigé la presse. Il évoquait «la honte du métier» tout en affirmant au contraire son admiration «pour les reporters de guerre».
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