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L'actu vue par Laurent DECLOITRE

L'actu vue par Laurent DECLOITRE

Les articles de Laurent Decloitre (journaliste et biographe) sur la Réunion et l'océan Indien parus dans Libération, Marianne, Paris Match, l'Express, Géo et la presse nationale.

Publié le par Laurent DECLOITRE
Publié dans : #Articles parus dans Libération
Youssouf, aux côtés de sa mère, n'ose plus sortir de chez lui. (photo LD)

Youssouf, aux côtés de sa mère, n'ose plus sortir de chez lui. (photo LD)

Par Laurent Decloitre, Envoyé spécial à Mayotte — 20 octobre 2019

Alors que le Président entame mardi une visite sur l’île, les objectifs élevés d’expulsions fixés par l’Etat peuvent aboutir à des reconduites contestables. Sur place, des destructions de bidonvilles font aussi polémique.

«Un état de non-droit.» Dominique Ségard, présidente de l’antenne locale de la Cimade, une association qui soutient les migrants, est catastrophée. Pour parvenir à l’objectif gouvernemental de 25 000 expulsions d’immigrés clandestins en 2019, la préfecture de Mayotte mettrait les bouchées doubles, une précipitation qui aboutirait à des reconduites à la frontière illégales, selon l’association.

Dans le 101e département français, 48 % des 250 000 habitants sont des étrangers (d’après le recensement de 2017), dont près de la moitié en situation irrégulière. Les boat-people arrivent pour la quasi-totalité des Comores, qu’un bras de mer de 70 km sépare de Mayotte. C’est le cas de Bichara (1). Aujourd’hui majeure, la Comorienne a effectué en 2006 la traversée, de nuit, à bord d’un kwassa-kwassa, une barque à moteur surchargée de passagers. Arrivée sur l’eldorado français avant ses 13 ans, Bichara ne peut légalement être reconduite à la frontière. Pourtant, «en juin, la veille de son épreuve orale de bac pro, elle a été arrêtée et expulsée», s’indigne Dominique Ségard. Depuis Anjouan, l’île comorienne la plus proche de Mayotte, la jeune femme a alors emprunté 300 euros pour payer à nouveau un passeur, revenir et tenter d’obtenir son bac. Elle l’a manqué mais son dossier de régularisation serait en bonne voie.

L’enseignante à la retraite a reçu la veille, dans son bureau de Dembeni, sur la côte Est, une mère expulsée sans raison, explique-t-elle : «Un parent d’enfant français ne peut être renvoyé. Pourtant Aïcha (1) l’a été, alors qu’elle avait le passeport de son bébé sur elle au moment de l’arrestation !» Aïcha a pu revenir après une ordonnance du juge des référés. «Toutes ces erreurs, c’est parce que les services de l’Etat, débordés, vont trop vite», estime Annie Faure. La préfecture n’a pas répondu à nos sollicitations, invoquant la visite d’Emmanuel Macron, qui atterrit ce mardi à Mayotte. Mais les services reconnaîtraient eux-mêmes des dysfonctionnements, «des trous dans la raquette, pour reprendre leur expression», selon la présidente de la Cimade.

L’Etat, en fait, assume et revendique sa politique répressive à grand renfort de séquences symboliques. Depuis l’aéroport de Petite-Terre, Macron va rejoindre Grande-Terre à bord d’un «intercepteur» de la police aux frontières, la brigade nautique disposant désormais de huit de ces zodiacs, contre cinq, vétustes, en 2018. Fin septembre, un énième kwassa-kwassa a été intercepté au large de Mtsamboro, au nord-ouest de Mayotte (les huit passagers ont été conduits au centre de rétention administrative, le passeur placé en garde à vue) ; mais en juillet, c’est un enfant mort noyé que des gendarmes impuissants ont découvert non loin d’un kwassa-kwassa échoué sur la plage de Moya, à Petite-Terre.

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A Mamoudzou (Mayotte), après la victoire de Macron le 7 mai 2017. Photo Lény Stora. docpix

A Mtsamboro, le chef de l’Etat va rencontrer mardi les habitants qui se disent exaspérés par l’immigration clandestine, la plage étant l’un des points d’entrée des migrants. En mars, Marine Le Pen s’y était déjà rendue pour dénoncer l’inaction du gouvernement. Sur place, le Président doit passer en revue les unités de l’opération Shikandra, du nom d’un poisson baliste, agressif lorsqu’il s’agit de défendre son territoire… Ce plan d’envergure, lancé en août, donne déjà des résultats, assure Paris : entre janvier et août, la préfecture a procédé à 18 000 reconduites, soit une augmentation de 150 % par rapport à l’an dernier. Il faut dire qu’en 2018, les Comores avaient interdit aux navires affrétés pour ramener les immigrés clandestins d’accoster. Au 1er octobre, l’Elysée affirmait avoir atteint le chiffre de 22 000 reconduites.

Sur terre, l’Etat fait également feu de tout bois. Le préfet peut désormais procéder à des destructions sans ordonnance du juge. Il y a quelques jours, deux nouveaux «habitats informels» ont été rasés à Dembeni. Rien de comparable avec l’opération Batrolo, en décembre, dans l’immense bidonville de Kawéni, où vivent des milliers de personnes. Ce jour-là, les bulldozers avaient détruit les cases en tôle, mais aussi les fontaines et les latrines publiques. Le tribunal administratif a jugé que l’action avait constitué pour les 100 adultes et 180 enfants délogés «une atteinte grave et illégale aux libertés fondamentales et à la dignité de la personne humaine».

Après les cases, les champs… Depuis 2018, l’Etat a procédé à la destruction de 30 hectares de cultures illégales ; chaque semaine ou presque, des plantations de bananiers ou de manioc sont arrachées. Tous les soirs, des dizaines d’hommes descendent des forêts un peu partout dans l’île, machette à la main. Pour la plupart des Comoriens qui cultivent quelques légumes et fruits pour survivre, ou qui sont employés par des Mahorais. Plus largement, au 1er avril, 650 000 euros d’amendes administratives ont été prononcés pour emploi d’étrangers sans titre, rappelle le gouvernement.

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Le quartier de Bonovo, dans la banlieue misérable de Mamoudzou. (photo LD)

Dans le bidonville de Bonovo, à Mtsapéré, Youssouf (1) a lui aussi longtemps travaillé au noir. Jusque l’an dernier, le Comorien, arrivé en 1994 à Mayotte, vendait des chaussures et des châles au bazar, ou transportait des briques et du sable. Muni d’un récépissé de la préfecture qui attestait de sa demande de titre de séjour, l’homme se sentait «utile». «Mais mes papiers ne sont plus valables depuis un an, alors je n’ose plus sortir», confie-t-il, assis sur l’unique lit de son «appartement» : une pièce sombre aux murs de parpaings nus, qu’il partage avec sa mère et son cousin, louée 50 euros par mois à un marchand de sommeil mahorais. «Je ne prie plus à la mosquée, regrette-t-il. J’ai trop peur de me faire pafer [arrêter par la police aux frontières].» La semaine dernière, Youssouf, le corps couturé de cicatrices, est néanmoins sorti pour se rendre à l’hôpital de Mamoudzou et passer une radio de la tête. «Moi, je veux une vie tranquille, travailler et pouvoir me soigner, ce qui n’est pas possible aux Comores. Pourquoi le président de la République ne m’aide pas ?»

Fermeté et humanité, avait résumé Macron pour évoquer sa politique migratoire. Demain, face à la pression du Collectif de citoyens, qui a prévu de s’habiller en blanc à son arrivée, le chef de l’Etat n’abordera que le premier pan de son action.

 

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