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L'actu vue par Laurent DECLOITRE

L'actu vue par Laurent DECLOITRE

Les articles de Laurent Decloitre (journaliste et biographe) sur la Réunion et l'océan Indien parus dans Libération, Marianne, Paris Match, l'Express, Géo et la presse nationale.

Publié le par Laurent DECLOITRE
Publié dans : #Articles parus dans d'autres médias
Observation des baleines à La Réunion : respect de la charte

Observation des baleines à La Réunion : respect de la charte

Méréva charge les nageurs

Paris Match |

Alors que la saison des baleines à bosse se termine dans l’océan  Indien, le « whale watching » a tant de succès que ces animaux commencent à s’agacer de la présence des observateurs.

« J'ai à peine osé regarder, je craignais un carnage ! » Emma, 32 ans, se souviendra de son excursion. La jeune femme avait loué un petit bateau avec des amis pour observer les majestueux cétacés qui s’ébattent à quelques encablures des plages de La Réunion. « Nous sommes restés à bord, mais, devant nous, d’autres personnes se sont mises à l’eau pour s’approcher d’une mère et de son baleineau », raconte-t-elle. Une pratique autorisée, à condition de respecter certaines règles de sécurité. « La baleine a donné un énorme coup de queue et a failli les assommer ! » Le drame a été évité de peu, les nageurs sont remontés sains et saufs dans leur embarcation. Laurent Mouysset, responsable de l’association Globice (Groupe local d’observation et d’identification des cétacés), rapporte un autre fait, plus grave encore : « Le moniteur d’un club de plongée a été soulevé hors de l’eau et des touristes ont été sérieusement secoués ! » Là encore, aucun blessé.

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La situation est si préoccupante que l’équipe de Quiétude, des médiateurs qui rappellent les bonnes pratiques d’observation, a publié un appel à la prudence. Ce jour-là, Mayeul Dalleau, docteur en biologie marine, et ses collègues ont ainsi décidé de suivre à la trace « l’individu » mis en cause, reconnaissable à une virgule noire sur sa nageoire blanche. Objectif : prévenir les nombreux curieux que Mereva, c’est son surnom, peut être dangereuse. La preuve : la femelle, « pas très grosse, environ 13 mètres de longueur », s’est de nouveau agacée de la présence, trop proche, d’un nageur. « Elle a cisaillé la surface de l’eau avec ses nageoires pectorales, s’est retournée sur le dos et a soulevé, comme une cuillère, sa nageoire caudale, témoigne le biologiste. Et elle a emporté, en la traînant sur plusieurs mètres, la bouée du moniteur ! » Heureusement, ce dernier ne l’avait pas attachée à lui et il a pu lâcher prise…

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D’autres cétacés s’en seraient pris ces derniers jours à des nageurs trop intrépides. « Ces contacts violents sont relativement inhabituels », analyse Mayeul Dalleau. C’est même la première fois depuis 2008, lorsque les baleines à bosse ont commencé à croiser au large de La Réunion. Pourquoi cette année-là ? Mystère. On sait en revanche que les Megaptera novaeangliae migrent depuis l’Antarctique entre juin et septembre. L’hiver austral, elles quittent les eaux gelées du pôle Sud, où elles se sont gavées de krill, pour remonter vers les eaux plus chaudes de l’océan Indien et y mettre bas. Un voyage de plus de 5 000 kilomètres qui les mène à La Réunion, où elles sont des centaines à se donner en spectacle. Une petite moitié d’entre elles effectue une halte de dix-sept jours en moyenne (selon les données recueillies par Globice), les autres ne font que passer. Certaines se dirigent vers Maurice et Rodrigues, la plupart préfèrent migrer vers Mayotte et les Comores ou, pour la plus grande majorité, vers Sainte-Marie, une île à l’est de Madagascar. Une migration que le Conseil régional de La Réunion souhaite voir inscrite au patrimoine mondial de l’humanité ; un dossier a été déposé auprès de l’Unesco.

Observation des baleines à bosse à La Réunion.
Les baleineaux sont souvent plus joueurs encore que leur mère.


« Cette année, nous avons observé beaucoup de baleines, se réjouit, depuis Sainte-Marie, Henry Bellon, président de l’association Cétamada. Hier, alors que j’étais attablé à un restaurant, je les ai entendues frapper la surface de leurs nageoires, souffler et ronfler. Magique ! » Une dizaine d’opérateurs de l’île malgache embarquent des touristes : les baleines sont repérées grâce au geyser qu’elles expulsent de leur évent. Avant qu’elles sondent, leur dos noir et luisant se courbe, leur queue en éventail se dresse dans les airs. Avec un peu de chance, on peut les voir sauter hors de l’eau, s’écraser dans un énorme splatch, puis elles tournent alors sur elles-mêmes et recommencent. Grâce à un hydrophone, on peut même écouter leur chant. Une série de plaintes, de gémissements, évoquant le violon ou la contrebasse. En revanche, la loi malgache interdit de se mettre à l’eau pour nager au plus près d’elles.

Christophe a noyé ses soucis dans l’œil de la baleine, où il a vu « un puits de connaissance et de vérité »

A Mayotte, les curieux ont, pour l'instant, plus de chance. Sur le banc de l’Iris, un récif au large de l’île française, ou dans l’enceinte de l’immense lagon, les nageurs s’en donnent à cœur joie. Pourtant, la pratique est déconseillée, car « dans 80 % des cas, dénonce Jeanne Wagner, l’animal s’enfuit, dérangé et perturbé ». La scientifique, en charge de l’écosystème au sein du parc naturel marin, ne cache pas qu’elle souhaiterait voir interdites les mises à l’eau. Cette année, les opérateurs mahorais devront d'ailleurs adopter un nouveau label international pour améliorer l’éthique de la pratique, le High Quality Whale Watching. Conséquence : plus personne n’aura le droit de se baigner avec les baleines.
La Réunion fait donc figure d’exception. Illustration avec une rencontre extraordinaire. Quelques minutes après avoir quitté le port de Saint-Gilles, sur la côte ouest, nous apercevons une baleine isolée. Le capitaine stoppe le bateau à 100 mètres : nous sommes cinq, parmi les douze passagers, à nous glisser sans bruit dans l’eau, équipés d’une combinaison, de palmes, avec masque et tuba. Nous nous arrêtons à une quinzaine de mètres du cétacé. La baleine évolue avec grâce et lenteur, agitant doucement ses deux longues et étroites nageoires pectorales, dévoilant son ventre blanc et strié. Elle s’approche et nous distinguons ses tubercules, des protubérances semblables à des coquillages qui recouvrent sa peau. Puis la baleine sonde, verticale, et gagne les profondeurs. Mais ce n’est que partie remise, elle remonte dans notre direction, tourne autour du groupe : un quart d’heure de communion extraordinaire, où nous sommes émerveillés par cette force brute et si paisible à la fois. En remontant à bord, Carolanne, 27 ans, qui craignait la présence de requins, parle de « l’un des plus grands moments de [sa] vie ». Christophe, de 30 ans son aîné, a, lui, noyé ses soucis dans l’œil de la baleine, où il a vu « un puits de connaissance et de vérité ». La rencontre avec ces animaux pouvant peser jusqu’à 40 tonnes rend lyrique… Voire mystique, comme pour Alain, qui a chanté le mantra « Om » sous son masque.

La multiplication des incidents conduit certains observateurs à préconiser des mesures plus restrictives

Aucune sensation de menace, cette fois. « Mais lorsque les gens font n’importe quoi, les baleines peuvent s’énerver », prévient Manu Antongiorgi, patron de Duocean, agence spécialisée dans l’observation des baleines et des dauphins. Selon lui, certains nageurs ne restent pas en groupe, plongent en apnée sous les baleines, s’approchent jusqu’à toucher les baleineaux, se glissent entre la mère et le petit. Ils ne respectent pas la charte d’approche et d’observation responsables des mammifères marins – élaborée en 2009 par les professionnels du tourisme – et encore moins le label Observation certifiée responsable des cétacés à La Réunion. « On comprend que les baleines puissent avoir des comportements agonistiques », estime le passionné, évoquant les gestes de défense en cas de harcèlement de mâles ou d’attaque des orques. Et de craindre d’une part la survenue d’un accident, d’autre part la disparition de cette poule aux œufs d’or pour le secteur touristique. Ce fut le cas en 2015 et 2016 : les cétacés avaient déserté l’océan Indien ! Des scientifiques ont évoqué une raréfaction du krill dans les mers australes, d’autres El Niño qui aurait modifié les températures, la salinité, les courants… En vérité, personne n’a su expliquer leur absence pendant deux ans.

Observation des baleines à bosse remise en cause à l'île de La Réunion.
Volontairement ou non, certains nageurs se retrouvent trop près des baleines.


Maintenant que les baleines pullulent, la multiplication des incidents conduit certains observateurs à préconiser des mesures plus restrictives. Une demande de financement a été déposée auprès de l’Agence française pour la biodiversité afin de réunir, l’an prochain, l’ensemble des acteurs de l’outre-mer et de proposer de nouvelles règles. Aujourd’hui, seul un arrêté de 2011 sanctionne « la perturbation intentionnelle » des cétacés. Nicolas Hulot, ex-ministre de la Transition écologique, qui porte un pendentif en forme de queue de baleine, travaillait justement avant son départ à un décret limitant la mise à l’eau. Branle-bas de combat des Réunionnais, qui lui ont écrit pour préconiser une approche « locale et concertée ». Certes, la charte d’observation prévoit de ne pas déranger les cétacés et de conserver « une attitude passive et contemplative ». Mais les baleines à bosse sont des animaux curieux et joueurs. Souvent, ce sont elles qui s’approchent des humains. Pas l’inverse.
Laurent DECLOITRE

 

Le gouvernement avait souhaité interdire la mise à l'eau à moins de 100m des baleines...

Le gouvernement avait souhaité interdire la mise à l'eau à moins de 100m des baleines...

Mais la mise à l'eau, depuis des petites embarcations, est toujours autorisée à La Réunion.

Mais la mise à l'eau, depuis des petites embarcations, est toujours autorisée à La Réunion.

Les baleines se laissent approcher tout près des côtes réunionnaises.

Les baleines se laissent approcher tout près des côtes réunionnaises.

Certaines baleines, dont Méréva, s'agacent de la présence trop intrusive des nageurs.

Certaines baleines, dont Méréva, s'agacent de la présence trop intrusive des nageurs.

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