L'Express du 8 avril 2015, de notre correspondant Laurent DECLOITRE, photos Pierre MARCHAL
Confronté à une surcapacité hôtelière, l’Ile Maurice fait feu de tout bois pour attirer des touristes supplémentaires. Ciblée, la Réunion essaye d’organiser sa riposte.
Zoorit ne sait plus où donner des tentacules… L’agence de com au nom de pieuvre représente, à la Réunion, le Mauritius tourism promotion authority (MTPA), l’office de tourisme de l’île Maurice. En l’espace de quelques mois, Virginie Lerat, la directrice de clientèle, a organisé une demi-douzaine de voyages de presse sur « l’île sœur », afin de convaincre les journalistes réunionnais de dire du bien de la destination « cousine ». Le MTPA cherche à attirer ces Français vivant à 230 kilomètres de son territoire et au pouvoir d’achat important. « On a besoin des touristes réunionnais », plaide Karl Mootoosamy, le lyrique directeur du MTPA, qui évoque les étoiles plus brillantes du ciel mauricien pour convaincre, notamment les visiteurs chinois, de choisir les plages de l’île…
Besoin ? « Il y a quelques années encore, les Réunionnais étaient perçus comme une clientèle supplétive destinée à remplir les hôtels mauriciens », sourit René Barrieu, consultant en marketing et tourisme. Mais voilà : la crise a frappé, plus question de faire la fine bouche. « L’an dernier, le taux de remplissage de nos hôtels s’élevait à 62% contre 68% en 2008. Depuis 2009, notre secteur va très mal », analyse Jocelyn Kwok, le directeur de la puissante association des hôteliers et restaurateurs de Maurice (Ahrim). Elle vient d’obtenir du gouvernement de Port-Louis un moratoire de deux ans sur l’ouverture de nouveaux hôtels. François Hénault, le PDG du groupe Héritage, propriétaire de deux établissements cinq étoiles, entre autres, applaudit à cette mesure de sauvegarde : « L’hôtellerie mauricienne souffre de surcapacité. En basse saison, de mai à juillet, on en est réduit à offrir le parcours de golf avec le prix de la chambre », soupire le Franco-Mauricien. Venu pour la première fois de sa vie tenir une conférence de presse à la Réunion, il reconnaît que « face à ces difficultés, on essaie de tirer au maximum sur votre marché »…
Il était temps : 2012, 144 000 touristes réunionnais s’étaient rendus à Maurice, 143 000 en 2013 et 141 000 l’an dernier. Une lente érosion due à un certain retard au décollage de Maurice. « On a fauté, reconnaît Xavier-Luc Duval, l’influent ministre du Tourisme. On ne mettait pas en avant le côté mauricien de notre île. On restait sur le modèle des grands hôtels de luxe d’où les touristes ne sortent pas ».
Or les professionnels du secteur ne jurent désormais que par « l’expérience ». Comprendre ne plus bronzer idiot et découvrir l’âme du pays. Allan Marimoutou, vice-président de l’association des professionnels du tourisme de Maurice attendait cette évolution « depuis longtemps ». « Maurice, c’est aussi les achards (1) et la musique », rappelle-t-il.
Tourisme nuptial et médical
Le message a été entendu : l’île tente désormais de marier le vert au bleu, de promouvoir les activités pleine nature, les événements culturels et sportifs. Depuis quelques années, les trails et courses de montagne s’y multiplient, alors même que l’altitude maximale dépasse à peine les 800 mètres, contre plus de 3000 mètres au sommet du Piton des Neiges à la Réunion. Les compétitions sont loin d’attirer autant de coureurs que le mythique Grand Raid (plus de 5000 participants), mais cela n’empêche pas une communication tout azimut des Mauriciens sur le sujet. « Ils font preuve d’un incroyable opportunisme ; ils vont jusqu’à vanter leur volcan, dont on n’a plus trace et qui est éteint depuis des millions d’années », n’en revient pas, admiratif, un spécialiste du marketing.
Autre corde à son arc, Maurice se prend pour Cupidon. La destination est choisie depuis longtemps par les nouveaux mariés du monde entier en voyage de noces. Désormais, elle cherche à attirer les amoureux avant leur lune de miel, pour qu’ils se marient sous les kiosques romantiques du Maritim, du Hilton ou de l’Outrigger, dressés face au lagon. Objectif : les convaincre d’inviter leurs amis à la cérémonie, afin de remplir les hôtels.
Avant de convoler, il faut se faire belle ? Place aux liposuccions et autres augmentations mammaires ! Le tourisme médical est devenu une spécialité mauricienne : 15 000 patients étrangers ont bénéficié de tels services l’an dernier. Illustration au très feutré Centre de chirurgie esthétique de l’Océan indien, à deux pas de le plage de Trou aux Biches. La clinique, décorée de sculptures et de lithographies, ne désemplit pas. Ce matin, tous les blocs opératoires sont occupés pour une implantation de cheveux, une pose de couronnes en céramique ou encore une injection d’acide hyaluronique pour combler les rides du visage. « Même si l’on est 30% moins cher qu’à la Réunion, on ne fait pas du lowcost, prévient Gérard Guidi, le directeur réunionnais. Ce n’est pas la peine : la clientèle, qui vient du monde entier, a les moyens ». Les patients recherchent surtout la sécurité, le confort et la discrétion. Patrick de Biasi l’a bien compris. Depuis la Réunion, son agence Alizoa cherche à développer le « tourisme blanc » en proposant « un mix vacances-soins » à Maurice . Du classique avec l’hôtel à la plage, mais le transfert depuis la clinique s’effectue en voiture aux vitres teintées…
Progression à Maurice, régression à la Réunion
L’offensive semble porter ses fruits. Plus d’un million de touristes ont visité l’Ile Maurice l’an dernier, un record historique (voir tableau). La Réunion, elle, n’en a attiré que 416 000 en 2013, principalement des Français métropolitains (81%). Le décalage est énorme : 140 000 Réunionnais visitent Maurice chaque année, seulement 15 000 Mauriciens font le chemin inverse. Le pouvoir d’achat des « cousins » est-il trop faible pour s’offrir le voyage entre les deux îles, l’un des plus chers au monde rapporté au kilomètre (hors promotion, entre 250 et 300 euros pour une demi-heure de vol) ? Les Mauriciens sont tout de même plus de 160 000 à partir à l’étranger tous les ans… Non, la cause est ailleurs. « Beaucoup se plaignent de l’accueil à la douane. Ils ont parfois l’impression d’être considérés comme des étrangers cherchant du travail… », balance Xavier-Luc Duval, le ministre du Tourisme mauricien.
Par ailleurs, ceux qui en ont les moyens préfèrent Dubaï pour le shopping, Paris pour la culture française, l’Inde pour l’exotisme… Ile de la Réunion Tourisme (IRT), l’organisme chargé de promouvoir la destination réunionnaise, a pourtant diffusé une campagne de publicité en 2014 sur l’île Maurice. Les affiches – en anglais – montraient la Plaine des Sables et une rue commerçante de Saint-Denis… Peine perdue : la fréquentation touristique globale a progressé de 4,6% à Maurice entre 2014 et 2013 ; elle a au contraire chuté de 6,8% à la Réunion, entre 2013 et 2012, et devrait encore diminuer de 2% en 2014.
La crise « requins » est souvent évoquée pour expliquer ce désamour. Les métropolitains et les Mauriciens, protégés, eux, par une barrière de corail autour de leur île, croient qu’il n’est plus possible de se baigner à la Réunion. C’est faux puisque les 26 kilomètres de lagon sont parfaitement sûrs. Mais le mal est fait : la préfecture évalue à 33 millions d’euros les pertes subies par l’industrie touristique. Principale touchée, la pratique du surf a presque complètement disparu, alors que l’île était devenue un spot mondialement reconnu. Catherine Frécaut, présidente locale du Snav, qui regroupe les professionnels du voyage, essaye de voir le bon côté des choses : « Il y a du bon dans toute crise. Avant les requins, aucun pays au monde ne savait placer la Réunion sur une carte. Aujourd’hui, on n’a plus cet effort de mapping à faire »…
Capter les marchés émergents
Autre handicap de la Réunion : sa desserte aérienne. À l’aéroport Sir Seewoosagur Ramgoolam, au Sud de Maurice, atterrissent les compagnies aériennes de près d’une vingtaine de pays. Depuis l’an dernier, deux A380 (le plus gros avion au monde) d’Emirates arrivent tous les jours de Dubaï. La Réunion, elle, est seulement desservie par quatre compagnies françaises et deux de l’océan Indien (Air Mauritius et Air Madagascar). De quoi faire tempêter Stéphane Baras, le directeur du Lux de Saint-Gilles, l’un des deux cinq étoiles de la Réunion : « Pour remplir un hôtel, il faut des touristes qui prennent l’avion. Sans réelle volonté politique, les compagnies internationales n’atterriront pas chez nous ». Et d’asséner, en référence au chantier actuel de la route du littoral : « On dépense 1,6 milliard d’euros pour construire un chemin et rien pour ouvrir le ciel réunionnais ». Didier Robert, le président de la Région Réunion, a pourtant instauré des aides pour l’industrie touristique. Insuffisant, selon Michel Frédric, qui dirige le Blue Marine Attitude, au Nord de l’Ile Maurice. Le Français, ancien chef cuistot du Saint-Alexis, un quatre étoiles dressé sur la plage de Boucan-Canot, rappelle que le temps de retour sur investissement est « de moins de dix ans à Maurice, contre trente à la Réunion » !
Difficile dans des conditions de lutter… À la tête de l’IRT, Ariane Loupy ne s’en émeut pourtant pas. L’objectif officiel des 600 000 touristes ? « Pas le mien, ose la directrice, qui n’a pas sa langue dans la poche. On ne va pas vendre la Réunion à n’importe quel prix ; je préfère travailler à la diversification de nos marchés et à la désaisonnalisation ». En clair, faire venir des Chinois, des Indiens, des Sud-Africains, dont plus un n’a besoin de visa, et pas seulement des métropolitains. Et les recevoir en mai et juin, plutôt qu’en décembre ou janvier. De quoi rassurer la Cour des comptes, qui dénonçait l’an dernier « des objectifs irréalistes », l’offre d’hébergement étant de toute façon « incapable d’absorber un tel flux »… Pour autant, c’est en métropole que l’IRT s’apprête à lancer une nouvelle campagne de publicité, au budget d’un million d’euros. Relancer le marché émetteur historique est plus crucial que de convaincre les rares touristes mauriciens.
Laurent DECLOITRE
- Légumes râpés et épicés.
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