Quatre quinquas kiffent le Kibo
Libération du 6 mai 2016, par Laurent DECLOITRE
Si le mal des montagnes vous épargne, il suffit d’une bonne condition physique pour atteindre le sommet du Kilimanjaro, en Tanzanie. Un trek de six jours vous mène sur le plus haut point de l’Afrique, à 5895 mètres d’altitude. Une aventure humaine plus qu’un exploit sportif. Quoique…
Avachi sur mes deux bâtons de marche, je fixe, exténué, Uhuru Peak, à 5895 mètres d’altitude. Je ne suis qu’à trente minutes du sommet du Kilimanjaro, qui surplombe le continent africain. Après six heures de montée, de nuit, il me reste 200 mètres de faux plat, mais ils m’achèvent. Severin, le guide assistant, me force à avaler une boisson énergisante. Je reprends en ahanant ma lente progression, un demi-pied devant l’autre. Jean-Luc, exportateur d’artichauts bretons, et Yves, en charge de la distribution de l’eau à Marseille, me devancent de quelques centimètres, assaillis eux-aussi de « gros doutes ». Nous avons laissé plus bas Fabien, Toulousain spécialiste d’irrigation au goutte à goutte, victime d’une bronchite, en compagnie d’Isaack, notre guide anglophone. Les quatre quinquagénaires ont-ils présumé de leurs forces ?
COMBIEN ARRIVENT AU SOMMET ?
Chaque année, près de 25 000 randonneurs - à vue de nez, 35 ans en moyenne - tentent de gravir le Kibo, le plus haut des trois volcans de cet énorme chapeau de 80 kilomètres sur 50 coiffant la savane tanzanienne, près de la frontière avec le Kenya. Environ 60% des trekkeurs y parviennent et se prennent en photo face aux glaciers en équilibre sur les pentes brunes et rocailleuses, devant les panneaux de bois annonçant en lettres jaunes « the Africa’s highest point ». Une demi-douzaine de touristes ou porteurs décèderaient chaque année. Lors de l’ascension, nous croisons d’ailleurs un trekkeur rapatrié sur un brancard. L’inquiétude nous gagne, mais hors de question de nous l’avouer…
GARE AU MAL AIGU DES MONTAGNES
Les guides nous répètent de marcher « polé polé » (doucement en swahili) ce qui nous convient à merveille… Tant et si bien que la plupart des -jeunes- randonneurs dépassent en discutant les prudents quinquas que nous sommes. Nous devons boire trois litres par jour pour éloigner le spectre du mal aigu des montagnes, qui peut provoquer un œdème pulmonaire ou cérébral. La faute à la chute de la pression atmosphérique, comme je le constate avec dépit : gros mal de tête au col de Lava Tower, à 4600m. Je psychote en silence : vais-je devoir abandonner ? Heureusement, la voie Machame, que nous avons choisie, redescend à Barranco Camp (4000m) où l’on passe la nuit, ce qui permet de s’acclimater à l’altitude. Un antalgique, un somnifère et le lendemain, la machine est effectivement à nouveau en ordre de marche. Le comprimé de Diamox, que j’avais pris deux matins de suite, s’est donc révélé inutile. Mais il est recommandé d’avoir sur soi ce diurétique censé lutter contre le mal des montagnes.
20 KILOS PAR PORTEUR
Les sherpas, eux, ne se posent même pas la question… Ils sont au moins trois par touriste, à porter nos affaires, mais aussi tentes et victuailles. « C’est facile, on fait ça plusieurs fois par mois », sourit, à peine transpirant, le mince Juma, qui paraît écrasé par le sac de toile verte jeté sur ses frêles épaules. L’ONG Kilimanjaro Porters Assistance Project a fait adopter le principe d’un poids maximum de 20 kilos. Il y a quelques années encore, les sherpas dormaient dans des abris de fortune, comme ce tunnel de lave situé à 3800m d’altitude, à Shira Camp… Payés entre 5 et 6 dollars par jour, ils effectuent un travail pénible ; en contrepartie, ils gagnent en une semaine, grâce aux pourboires, davantage que le salaire moyen mensuel tanzanien (50 dollars). Les guides, eux, perçoivent 30 dollars par jour lorsqu’ils sont employés par des agences de voyage occidentales. « Et seulement de 15 à 20 dollars » avec les agences tanzaniennes, déplore Enock, un guide francophone et souriant. Enock est contraint de cultiver et vendre des légumes entre deux treks, sur une parcelle où viennent parfois brouter des zèbres ; Isaack, surnommé « black Chinese » en raison de ses surprenants yeux bridés, effectue lui de menus travaux d’électronique pour « payer l’école » de ses deux enfants.
FONTE DES NEIGES
Tous deux craignent que l’inexorable fonte des neiges fasse perdre de sa magie au Kilimanjaro. Le volcan est toujours « vaste comme le monde », comme l’écrivait Ernest Hemingway dans une nouvelle de 1936, mais il n’est plus « incroyablement blanc dans le soleil ». La célèbre calotte enneigée, d’une superficie de 12,1 km2 en 1912, ne couvre plus qu’une surface de 1,8 km2. Selon les climatologues, les glaciers du sommet pourraient fondre d’ici 2035. Lors de notre ascension, la température est pourtant descendue à -10 degrés ; mais je dois m’écarter du sentier pour enfin piétiner les neiges du Kilimanjaro… En cause, le réchauffement climatique et la chute des précipitations, elles-mêmes dues à la déforestation dont est victime la rain forest moussue des pentes du Kili. Le massif est inscrit au patrimoine mondial de l’humanité depuis 1987 et le parc national, où s’ébattent des bandes de singes, est protégé : il n’empêche, nous croisons de nombreux habitants venus des plaines s’approvisionner en bois pour cuire leurs aliments.
PAS UN EXPLOIT SPORTIF
Une fois la forêt tropicale franchie, la voie Machame traverse des paysages rocailleux quasi lunaires où poussent d’étranges sénéçons, une plante grasse qui émerge dans la brume de fin d’après-midi. La progression est régulière et finalement plaisante, même s’il faut, chaque jour, gravir au minimum 800m de dénivelé durant 6 à 8h. Les soirs, alors que nous nous effondrons dans les tentes après avoir veillé au moins jusqu’à... 20h30, les trekkeurs moins âgés continuent de rigoler en jouant aux cartes... En réalité, seule la dernière épreuve, de 17h, est vraiment hors norme : lever à minuit et demi et 1300m à gravir, avant d’atteindre peu après le lever du soleil notre but ultime. Nul besoin de corde ou de crampon pour grimper le mur sans fin, il faut en revanche un mental de bête de somme. Ça tombe bien… Épuisés, heureux, fiers, flirtant avec les 6000m, nous passons une demi-heure à sourire béatement au-dessus de la mer de nuages. Fabien, lui, est parvenu à monter, soutenu pas à pas par Isaack, jusqu’à Stella point, au bord du vaste cratère endormi, à 5700 m d’altitude. Nous tombons dans les bras l’un de l’autre, requinqués et prêts à dévaler encore 2100 mètres jusqu’au camp de base. Et pour une fois, nous dépassons quelques jeunots présomptueux…
Laurent DECLOITRE
Au moins 2500 euros de budget
Prévoir entre 800 et 1000 euros le vol depuis Paris, avec escale à Nairobi (Kenya) et 1600 à 2200 euros le trek. Attention : le prix d’entrée dans le parc du Kili n’est pas toujours compris dans les tarifs indiqués. Sans oublier 100 à 300 euros de pourboire à verser aux porteurs, aux cuisiniers, aux guides… Certaines agences fournissent un caisson hyperbare et des bouteilles d’oxygène en cas de mal aigu des montagnes, ce qui peut rassurer. La plupart soutiennent l’ONG Kilimanjaro porters assistance project qui veille aux conditions de travail des sherpas.
Les bons plans :
Randoruntrekking, une petite agence réunionnaise : 1600 euros l’ascension. www.randorun-trekking.com
Encore moins cher : passer en direct avec un guide local. Isaack Élias : arrowtrekking.africa@gmail.com ou Enock Fabiani Mangara : fabianenock@gmail.com
Quand partir, en combien de jours monter ?
Pour éviter les pluies, les meilleures périodes courent de janvier à mars et, plus froids, de juin à octobre.
Sur les sept voies possibles, les voies Marungu (la « route Coca-Cola ») et Machame (la « route whisky ») sont les plus usitées. L’ascension, selon votre choix, dure de 5 à 10 jours. Plus le trek est long, plus votre corps a des chances de s’adapter à l’altitude…et plus le budget est élevé. Par ailleurs, une certaine lassitude peut s’installer à mal dormir dans des tentes humides, sans se laver… Pour notre part, nous avons effectué l’ascension en six jours.
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