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L'actu vue par Laurent DECLOITRE

L'actu vue par Laurent DECLOITRE

Les articles de Laurent Decloitre (journaliste et biographe) sur la Réunion et l'océan Indien parus dans Libération, Marianne, Paris Match, l'Express, Géo et la presse nationale.

Publié le par Laurent DECLOITRE
Publié dans : #Articles parus dans Libération
Près de 2000 Malgaches et vazahas (blancs) ont rendu un dernier hommage à Magalie et Romain. (photo LD)

Près de 2000 Malgaches et vazahas (blancs) ont rendu un dernier hommage à Magalie et Romain. (photo LD)

Par Laurent Decloitre, Envoyé spécial à Madagascar — 28 août 2016

Les corps des deux Français tués le 20 août à Madagascar doivent être rapatriés aujourd’hui en France. Des prélèvements ADN effectués samedi par des gendarmes de La Réunion permettront peut-être d’en savoir davantage sur ce crime encore inexpliqué. Huit Malgaches et un Français sont toujours en garde à vue.

Des bouquets d’ibiscus et d’orchidées dans les mains, les femmes marchent en chantant sur l’unique route de Sainte-Marie, une petite île au nord-est de Madagascar. Elles serrent contre leur poitrine, drapée d’un lamba coloré, les portraits de Magalie Chaigneau et Romain Bollon, deux jeunes Français assassinés cinq jours plus tôt, dans la nuit du samedi 20 août. Les corps, meurtris de coups, ont été retrouvés sur une plage, face à une boite de nuit. Le cortège est impressionnant, plus de 2000 personnes pour une île de 27 000 habitants. La foule traverse les villages de cahutes construites en planches et palmes d’arbre du voyageur, évitant de piétiner les petits tas de patates douces et noix de coco vendues à même le bitume. Le maire, le député et le préfet du coin ouvrent la marche, suivis de l’équipe de Cetamada, l’association de protection des baleines à bosse où Magalie et Romain exerçaient depuis fin juin. Sur un énorme badamier, qui plonge ses branches dans le lagon, tout près de la scène du crime, les Malgaches punaisent dans la cohue les photos des deux victimes, déposent des fleurs, allument des bougies. Karina, 36 ans, sourire édenté, est venue apporter son soutien, car « Cetamada protège nos baleines sacrées » ; Pay, un piroguier aux mains durcies par le sel, gêné de « mal parler le français », s’est déplacé pour exprimer lui aussi son indignation.

« Je craignais de ne voir que des vazahas (des blancs), je suis touchée », glisse Sonia, une touriste qui fait le tour de Madagascar en charrette à zébus ; c’est son troisième séjour dans ce qui était jusque-là un paradis de tranquillité. Un hôtelier, français comme la quasi-totalité des opérateurs touristiques de cette île francophone, assure que « les Saintes-Mariens sont sous le choc et ont honte ». Honte car les gendarmes ont placé en garde à vue huit des leurs, dont une employée de Cetamada. Tous étaient samedi à la Case à Nono, « la discothèque qui vous fait vibrer » comme le proclame un panneau... Norbert, le patron, avait invité Big MJ, un jeune chanteur qui déchaîne les foules avec son hip-hop aux accents de salegy, le rythme national. Le gérant, « en deuil », a depuis fermé ; il assure que « tout se passait bien ce soir-là, même si l’ambiance était très chaude ».

"Le fils rêvé"

Attablé à une gargote face à trois bières, un ressortissant français, qui « bricole » à Sainte-Marie, rigole devant l’euphémisme. « Ici, c’est l’Afrique : ça danse, ça boit, ça drague, attention ! », prévient le quinquagénaire en couple avec une jeune Malgache. « Les habitants sont plutôt calmes et aiment bien les étrangers. Mais s’il y a des problèmes, ils peuvent sortir le boriziny (machette) », dramatise un autre ressortissant, installé ici depuis les années 90. Plusieurs témoins évoquent en tout cas des bousculades durant la soirée ; deux vigiles seraient intervenus pour séparer des danseurs excités. Romain s’est-il trouvé mêlé à une altercation ?

Le Français de 25 ans, originaire de Marseille, titulaire d’une première année en master Sciences de la mer, envisageait de se lancer dans la recherche en océanographie. Après son BTS, le baroudeur avait pris une année de césure pour travailler en tant qu’animateur, dessiner -son hobby-, voyager, notamment aux Galapagos. Arrivé fin juin à Cetamada comme éco-volontaire, Romain avait payé 220 euros une formation d’une semaine afin d’encadrer les safaris baleines pour les quelque 10 000 touristes qui se rendent chaque année sur l’île. Logé, nourri, blanchi au Libertalia, un hôtel situé près d’une lagune, il était bénévole comme la vingtaine de ses camarades français et malgaches. Didier Cabocel, le tenancier, désemparé de dîner désormais seul à table, évoque « un bon gars, sérieux, le meilleur copain, le frère attentionné, le fils que tout père rêverait d’avoir ». Et d’ajouter, nostalgique : « Romain picolait, fumait, il aimait la vie quoi ! »

Josia*, encore émue d’avoir partagé avec le Français cette soirée fatale, relativise : « Romain était très gentil, il ne cherchait jamais la bagarre. Il avait un peu bu mais il n’était pas saoul quand il m’a dit au revoir vers 1h30 du matin ». Que s’est-il passé alors ?

Pas de témoin ?

Dès 18h, en cette période de l’année, il fait nuit noire à Sainte-Marie, où il n’y a ni lampadaire et quasiment pas de circulation. En revanche, les jeudis et samedis, jours d’ouverture de la Case à Nono, des vendeurs de brochettes de poulets s’agglutinent sur le bas côté jusqu’à 3h du matin, tout comme les chauffeurs de tuk-tuk, ces tricycles jaunes motorisés qui servent de taxi. En outre, cette nuit, la lune éclairait la plage où les amoureux aiment se retrouver. Et personne n’aurait rien vu ? Norbert, le patron de la boite, a son explication : « Les Malgaches ont peur des autorités… » Il appelle les éventuels témoins à écrire ce qu’ils savent dans une lettre anonyme glissée sous sa porte… Un chef d’entreprise, qui partage son temps entre l’île et La Réunion, affirme que « les Saintes-Mariens n’aiment pas qu’on les confonde avec les autres Malgaches. Si le coupable est originaire de la grande terre, ils feront tout pour qu’on le trouve ».

C’est Ginette, depuis sa paillote où est servi du poisson grillé, qui a averti le chef du village après la découverte des corps dimanche matin. Magalie, 22 ans, était partiellement dénudée, mais les enquêteurs ont réfuté la thèse du viol. Le portefeuille et le mobile de Romain n’ont pas été dérobés, ce qui écarte également le mobile crapuleux. « Je prie pour que le méchant soit rattrapé », tremble Ginette sous son chapeau de paille, « triste pour les mamans des vazahas ».

Nage avec les baleines

Magalie, originaire de Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine), « respirait la joie de vivre » selon ses amies. Motivée, elle s’était absentée fin juillet pour assister au mariage de sa sœur avant de revenir sur Sainte-Marie. « Elle était pleine de fougue et pétait le feu », confie, encore ému aux larmes, Henry Bellon, président de Cetamada. L’ancien scaphandrier pilotait le bateau scientifique de l’association où Magalie, qui venait d’être acceptée dans un master de Biologie à l’université Paris XIII, collectait des données. Comme l’explique Margarita, une éco-volontaire malgache, l’équipe scientifique récupérait les squames (des morceaux de peau) après chaque saut de baleine, décrivait les nageoires caudales et le comportement des cétacés, enregistrait les chants avec un hydrophone, posait des balises… « Magalie contribuait à l’esprit d’équipe, à la cohésion de groupe. Avec Romain, ils étaient formidables », conclut, en guise d’hommage, Henry Bellon.

Trois jours après le meurtre, les éco-volontaires ont effectué une dernière sortie en mer, jeté des fleurs au large et nagé avec les baleines, qui viennent, comme chaque année, mettre bas après un périple de 5000 km depuis le pôle sud. Un beau symbole. Depuis, tous les bénévoles, « anéantis », ont écourté leur séjour, sans attendre la fin de l’enquête.

Jean-Jacques Ravello, le consul honoraire de France, penche, lui, pour une sortie de boite qui a mal tourné, un fait divers « comme il en arrive malheureusement partout ». Le pionnier avait ouvert la voie aux safaris baleine, après avoir heurté en 1984, et failli mourir noyé, un cétacé avec son bateau… Il évacue un quelconque acte anti-vazaha, qui aurait des répercussions néfastes sur le tourisme. « Depuis 35 ans que j’habite à Sainte-Marie, je n’ai aucun souvenir de crime », assure-t-il. En juin 2010, un couple de Sud-Africains avait pourtant été torturé au couteau puis brûlé par un gardien sur l’île aux Nattes, à l’extrémité sud de Sainte-Marie. Le drame n’avait pas suscité grand écho en France. Cette fois, les médias se sont déplacés : M6, Paris Match, l’AFP, au grand désarroi des Malgaches. Le ministre du Tourisme s’est rendu sur place dès le lendemain du meurtre et la directrice de l’office de tourisme local a demandé à ses collègues et aux tour-opérateurs de ne pas liker et partager les posts sur les réseaux sociaux… Jusqu’en 2008, Madagascar accueillait près de 400 000 étrangers par an ; la crise économique, l’instabilité politique et une insécurité grandissante ont fait fuir les visiteurs, seulement 250 000 aujourd’hui.

Un Français soupçonné

Les enquêteurs explorent toutefois une autre piste : le drame passionnel. Ils ont placé en garde à vue un neuvième suspect, un Français. V. est moniteur de plongée au Bora Dive, propriété d’Henry Bellon. Le garçon de 20 ans a eu une aventure d’un soir avec Magalie et lui aurait adressé des SMS les jours précédant le crime. Surtout, des témoins certifient qu’il aurait aperçu Romain embrasser Magalie dans les toilettes de la boite de nuit et serait ressorti « en larmes ». Le suspect, qui bénéficie de la protection consulaire de la France, jure pourtant n’avoir pas mis les pieds à la Case à Nono. Comme la gendarmerie décrépie, située près d’un bras de mangrove, ne dispose pas de cellule, il dort dans le bureau où il est interrogé ; ses amis le ravitaillent, mais il n’a pu se laver durant cinq jours... Même s’il se dit « dans la merde », le moniteur de plongée garde le moral. Il doit être déféré avec les autres suspects au Parquet de Tamatave, sur la grande terre, où sa famille pourrait le rejoindre. Mais hier, le vent s’était levé et la traversée en ferry du chenal était impossible. Quant à l’avion, la justice malgache n’en a pas les moyens… Elle a d’ailleurs fait appel à la France pour l’aider à dénouer l’affaire, alors que le Parquet de Paris a été saisi par la famille de Magalie.

Les gendarmes français en renfort

Deux sous-officiers de l’identification criminelle de la gendarmerie sont arrivés vendredi de La Réunion. Leur kit technique dans un sac-à-dos rouge, ils ont examiné les corps et effectué des prélèvements, à la recherche de traces d’ADN. Cinq jours auparavant, pour conserver les cadavres, il avait fallu acheter en catastrophe un congélateur à Tamatave, le charger sur un ferry et le brancher au Lakana, l’hôtel dont est propriétaire Jean-Jacques Ravello. Telle est aussi la funèbre mission d’un consul honoraire… Les deux corps devaient être rapatriés, ce jour lundi, par avion sur Tananarive, la capitale malgache, avant de repartir pour la France. En attendant, les hôtels ont repris les safaris baleines, sans les éco-volontaires de Cetamada. Les touristes peuvent continuer à savourer le charme, indéniable, de cette île, autrefois refuge des pirates de l’océan Indien…

Laurent DECLOITRE

* Le prénom a été modifié

Norbert, à droite, a fermé provisoirement son établissement, où auraient eu lieu une altercation entre danseurs. (photo LD)

Norbert, à droite, a fermé provisoirement son établissement, où auraient eu lieu une altercation entre danseurs. (photo LD)

C'est Ginette qui a averti le chef du village après la découverte des corps, devant sa gargote. (photo LD)

C'est Ginette qui a averti le chef du village après la découverte des corps, devant sa gargote. (photo LD)

C'est dans cette gendarmerie décrépie que V., le Français supecté, est retenu depuis près d'une semaine avec huit Malgaches. (photo LD)

C'est dans cette gendarmerie décrépie que V., le Français supecté, est retenu depuis près d'une semaine avec huit Malgaches. (photo LD)

Sainte-Marie est une île francophone de 27 000 habitants, frappée par la pauvreté et le paludisme.

Sainte-Marie est une île francophone de 27 000 habitants, frappée par la pauvreté et le paludisme.

Contrairement à Tamatave ou Antananarive, Sainte-Marie était considérée jusque-là comme un havre de tranquillité. (photo LD)

Contrairement à Tamatave ou Antananarive, Sainte-Marie était considérée jusque-là comme un havre de tranquillité. (photo LD)

De nombreux Sainte-Marien pensent que le coupable est venu de la "grande terre"... (photo LD)

De nombreux Sainte-Marien pensent que le coupable est venu de la "grande terre"... (photo LD)

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