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L'actu vue par Laurent DECLOITRE

L'actu vue par Laurent DECLOITRE

Les articles de Laurent Decloitre (journaliste et biographe) sur la Réunion et l'océan Indien parus dans Libération, Marianne, Paris Match, l'Express, Géo et la presse nationale.

Publié le par Laurent DECLOITRE
Publié dans : #Articles parus dans l'Express

 

L'Express du 28 août 2013, de notre correspondant Laurent DECLOITRE

 

À La Réunion, on peut être banquier, sage-femme, journaliste et percevoir une sur-rémunération. Pour autant, la fonction publique présente parfois moins davantage que le secteur privé…

 

Ils se retrouvent dans les mêmes conférences de presse et couvrent la même actualité…  Mais les journalistes d’Antenne Réunion, une chaîne privée qui caracole en tête des mesures d’audience, sont payés au lance-pierre, alors que leurs concurrents de Réunion 1ère, le réseau public d’outre-mer, touchent des salaires bien plus élevés que la moyenne de la profession… « Un reporter commence à 1200-1300€ nets et a peu d’espoir de dépasser les 1500€, soupire un confrère de la station privée. Même les présentateurs du JT plafonnent dans les 2500€ mensuels. » Le journaliste reste anonyme, la direction d’Antenne Réunion ayant interdit à sa rédaction de s’exprimer…

Deux rues plus bas, Annabelle Boyer, titulaire de Réunion 1ère depuis un an et demi, n’éprouve aucune gêne à aborder le sujet. La reporter de 32 ans gagne 3000€ environ par mois ; ses collègues, avec davantage d’ancienneté, perçoivent des revenus de 4 à 5000€. Un pactole dû à une sur-rémunération de 73%. « Les gens nous interpellent souvent sur cette question, c’est lassant. Je ne vole pas mon salaire, vu notre volume de travail », lance la journaliste qui sort de huit jours de reportage sans interruption. Sans compter qu'elle alterne le terrain et la présentation des JT.

C’est justement pour en finir avec un rythme de travail « épuisant » qu’Anne-Marie Baillard, sage-femme dans l’ouest de l’île, a quitté la fonction publique hospitalière. « Durant onze ans, j’ai enchaîné des gardes de douze heures à l’hôpital, je n’en pouvais plus moralement et physiquement », raconte la praticienne passée dans le libéral. Aujourd’hui, la sage-femme se rend au domicile des patientes et ne travaille que quatre jours par semaine : « J’ai perdu en salaire, en congés payés, en couverture sociale, mais j’ai gagné en qualité de vie. » Elle touche entre 2500 et 3000€ par mois et prend le temps de voyager, chanter dans une chorale, jouer du trombone à coulisse…

Sa collègue et amie, Bénédicte Roncet, a fait le choix inverse. La sage-femme à l’hôpital Gabriel Martin de Saint-Paul peut travailler « de 7 à 19h sans prendre le temps de déjeuner » et se nourrit « au stress. » À 43 ans, la fonctionnaire aime « gérer de A à Z un accouchement » et éprouve « un manque au bout de trois jours de congés »… En contrepartie, elle perçoit une sur-rémunération de 53%, soit 4200€ nets par mois, plus 2500€ de prime annuelle. « Mais mon moteur, assure Bénédicte Roncet, c’est la passion, pas l’argent. »

L’argent, Murielle Chabriat et Sully Dérand en manipulent à longueur de journée. La première, ancienne mannequin, dirige l’agence de la Banque de La Réunion (BR), à Rivière-des-Pluies, au nord-est de l’île ; le second, qui a passé la plus grande partie de sa carrière à conduire des camions ou diriger des restaurants de La Poste, exerce la même fonction, de l’autre côté de la rue, à la Banque Postale.

Sully Dérand fait figure de dinosaure, au sein du groupe parapublic : à 61 ans, il est l’un des derniers à bénéficier, comme les fonctionnaires, d’une sur-rémunération de 53%. Il gagne 3400€ nets par mois, plus 500€ environ de primes annuelles. « Je suis privilégié par rapport à mes collègues qui remplissent les mêmes fonctions mais sont désormais recrutés sous contrat privé, reconnaît le postier.  Mais mon salaire n’est pas excessif, au vu de mon ancienneté et de mes responsabilités. »

En face, Murielle Chabriat juge que « la sur-rémunération creuse les inégalités entre les classes sociales », mais ne prône pas pour autant sa suppression. La directrice de l’agence de la BR, depuis quatre mois seulement, gagne « dans les 2500€ par mois » et devrait vite dépasser le seuil des 3000€, alors qu’elle débute sa carrière.

Gagnerait-on davantage dans le privé que dans le public, malgré la surrémunération existant dans ce secteur ? Preuve que le débat n’est pas si simple, il est frappant de constater que la sage-femme libérale travaille moins d’heures que sa collègue fonctionnaire. Quant aux journalistes de la télé privée, ils sont recrutés en CDI, alors que dans le réseau public de la Première, les reporters restent sous le statut précaire de pigiste (payés au reportage) des années avant d’(espérer) être embauchés…

Laurent DECLOITRE

Inégalités criantes dans les mairies 

Rolande Sandance et Roger Sevagamy travaillent à la mairie de Saint-Denis. La première, 56 ans, secrétaire dans un point d’accès au droit du chef-lieu, gagne 1150 euros nets par mois ; le second, 54 ans, agent d’entretien dans le groupe scolaire des Baies Roses, touche 1000 euros de plus ! Le fossé est énorme mais courant dans la fonction publique territoriale de La Réunion. Rolande est juste « intégrée » : elle perçoit le même salaire qu’une collègue de métropole ; Roger, lui, est « titularisé » et bénéficie donc de la surrémunération de 53%.

Dans l’ensemble des communes et collectivités du département, la CFDT Interco estime les titulaires à 10 000 sur 35 000 agents, contre 18 000 intégrés, « dont 13000 à 1100 euros », précise Alain Mani, le secrétaire général du syndicat. Sans oublier 7000 contrats aidés…

Cette situation ne va pas sans créer des tensions au sein des équipes : Roger Sevagamy a été victime d’un tract l’accusant d’avoir été titularisé parce qu’il aurait rendu des services au maire lors des dernières municipales… « De toute façon, je n’avais pas envie de faire la fête, je pensais à mes collègues qui attendent depuis trente ans leur titularisation », soupire le fonctionnaire.

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