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L'actu vue par Laurent DECLOITRE

L'actu vue par Laurent DECLOITRE

Les articles de Laurent Decloitre (journaliste et biographe) sur la Réunion et l'océan Indien parus dans Libération, Marianne, Paris Match, l'Express, Géo et la presse nationale.

Publié le par Laurent DECLOITRE
Publié dans : #Articles parus dans l'Express

Le pari fou de la Réunion "île verte"

Avec le programme Gerri, l’Etat veut rendre la Réunion énergétiquement autonome, la transformer en laboratoire mondial de développement durable. L’objectif est d’y parvenir en 2030. Mais les débuts portent au pessimisme.

Par Laurent DECLOITRE, l'Express n° 3112 du 23 février 2011

 

solaire.eolien.jpgGreen Energy Revolution Reunion Island. Gerri. Un joli nom. Un pari fou. Faire de la Réunion « un territoire d’excellence, le premier au monde » où les déplacements motorisés s’effectueront sans super ni diesel. Mais aussi, une île énergétiquement autonome, qui n’importera plus de charbon ni d’hydrocarbures. Qui produira son électricité avec le soleil, le vent, l’océan, les déchets, le volcan…

Ce rêve, le leader du parti communiste réunionnais, Paul Vergès, fut le premier à l’avoir caressé, en prônant l’autonomie électrique pour 2025. Jusqu’à en faire une obsession dans les dernières années de son mandat à la tête du conseil régional (1998-2010). Ailleurs, en Polynésie française, Jean Ballandras, alors administrateur des îles du Vent, avait lui aussi imaginé une « île verte » à Mooréa. En vain…
ballandras.jpgNommé secrétaire général pour les affaires régionales à la préfecture de la Réunion en 2005, ce haut fonctionnaire, caustique et ennemi de la langue de bois, embraie sur le projet de la Région. Et tente de mettre la machine étatique au service d’une « révolution ». Avec un objectif ambitieux : « En 2030, la Réunion doit être autosuffisante en électricité mais aussi pour l’ensemble de son énergie, transports compris. »
Un langage très « développement durable », à la mode en métropole : début 2007, Nicolas Sarkozy et Jean-Louis Borloo instaurent le Grenelle de l’environnement. L’objectif réunionnais semble trouver un écho favorable à Paris. « Gerri, c’était royal pour les discours, du doré sur tranche, une usine à inauguration »… Effectivement, en juillet 2009, François Fillon vient officialiser l’existence du programme, structuré en groupement d’intérêt public (GIP). « Le gouvernement entend doter ce projet d’un dispositif spécifique », annonce le Premier ministre, qui promet même de lancer « une dizaine de mesures expérimentales ». Six mois plus tard, Nicolas Sarkozy, lors de sa visite dans l’île, s’enflamme : « En matière d’énergies renouvelables, la Réunion va montrer le chemin et devenir une référence en France et dans le monde ». Le président de la République souhaite que « tout aille désormais très vite », assure qu’il n’est pas venu « faire des promesses » mais « annoncer des décisions. »

Eclipse de soleil

Drôles de décisions… Fin 2010, le gouvernement plonge dans le « fénoir » la filière photovoltaïque, qui permet de produire de l’électricité à partir des rayons du soleil. Désormais, les particuliers qui s’équipent en panneaux solaires ne peuvent déduire de leurs impôts que 4 000€, contre le double auparavant ! Dans la foulée, EDF achète l’électricité produite, non plus 40 centimes le kilowatt (KW) mais 32,5 ct. Un prix bien moins intéressant. Dans ces conditions, Rémy Courdier, enseignant-chercheur en informatique, a renoncé à installer des panneaux photovoltaïques sur le toit de son domicile, à la Bretagne (Saint-Denis). « Je devais investir 18 000 euros, avait-il calculé. A l’époque, avec le crédit d’impôt et les tarifs de revente, je pouvais amortir mon matériel en huit ans. Maintenant, cela ne vaut plus le coup. »
sarkozy.jpgMême douche froide du côté des professionnels du solaire : le gouvernement a supprimé l’aide dont ils bénéficiaient dans les Dom. Victimes du coup de rabot sur les « niches fiscales », ils ne peuvent plus défiscaliser une partie de leurs investissements (environ 30%). La raison ? Le gouvernement évoque une « bulle spéculative » et le « coût pour la collectivité ».
Pire : Matignon décide d’un « moratoire » de trois mois (il s’achève en avril), durant lequel EDF n’est plus tenu d’acheter l’électricité solaire aux sociétés qui produisent plus de 3 KWh. Selon l’Etat, il y aurait trop d’installations photovoltaïques aujourd’hui…

EDF à contre-courant

Car l’énergie solaire, gratuite et renouvelable à l’infini, est « intermittente ». Pas de rayons la nuit ou en cas de mauvais temps. Sur les 8 760 heures que compte une année, les panneaux photovoltaïques ne produisent de l’électricité que durant 1 400 heures au mieux. EDF ne peut donc compter sur le solaire, ni même sur l’éolien, des énergies « non garanties ». Sinon, « on risque des délestages, voire le black-out », prévient Patrick Bressot, le directeur régional. Bref, la coupure de courant. Pour cette raison, les énergies intermittentes ne peuvent pas dépasser 30% de la production d’électricité.
bressotOù en est-on aujourd’hui ? La marge de manœuvre semble confortable puisqu’à la Réunion, le photovoltaïque n’a jamais représenté plus de 17,6% de la production ! «  Sauf qu’à la mi-2011, avec les projets en cours, on devrait atteindre le seuil fatidique des 30%, assure Patrick Bressot. Cela se traduira par des variations de puissance énormes et dangereuses sur le réseau, qui deviendra très instable ». D’où la menace d’EDF de déconnecter temporairement les centrales solaires du réseau et de ne plus acheter l’électricité qu’elles produisent. Les projets photovoltaïques perdraient alors toute rentabilité.
Certains d’entre eux, portés par Gerri, se retrouvent d’ailleurs déjà « dans le couloir de la mort », pour reprendre l’expression de Jean Ballandras : la route des Tamarins ne sera pas couverte de panneaux solaires et le dossier « Bardzour », au centre pénitentiaire du Port, risque de connaître le même sort. De quoi désespérer Steve Arcelin, le directeur général d’Austral Energy, responsable du projet : « Si notre installation est déconnectée 900 heures par an, aucune banque n’acceptera de le financer. »

Comme la consommation d’électricité a augmenté de 3% l’an dernier à la Réunion, il faut pourtant trouver de nouvelles sources de production… Tant pis pour le développement durable : EDF achève une nouvelle centrale thermique au diesel au Port et projette la construction de deux turbines à combustion, au fioul, dans le sud.

Les élus du conseil régional ont protesté contre les risques de pollution, le président de la collectivité, Didier Robert jugeant EDF « pas très correct ». Jean Ballandras, à la préfecture, y voit, lui, une opposition frontale de l’électricien au projet Gerri : « L’énergie renouvelable se révèle compliquée à gérer ce qui déstabilise EDF, habituée à tout contrôler. »

« Revenir sur terre »

centralethermique.jpgLa technologie pourrait résoudre la délicate équation énergétique. La solution consiste à stocker l’électricité solaire afin de pouvoir l’utiliser quand on en a besoin. Mais les techniques demeurent encore expérimentales et coûteuses. D’où la nécessité du soutien financier de l’Etat, promis par Gerri aux investisseurs privés. Las... Un appel d’offre a été lancé, auquel a répondu notamment la société Aerowatt. «  Nous avions beaucoup travaillé sur l’idée de construire deux bassins de rétention à Sainte-Suzanne », explique le responsable local, Serge Borchiellini. Grâce au vent et au soleil, l’eau aurait été pompée vers le bassin amont et turbinée vers le bassin aval afin de produire de l’électricité, qui aurait été en outre stockable. « Trop coûteux », a fini par trancher le gouvernement, qui a rejeté tous les dossiers. Du côté d’EDF, on dit regretter cette décision : « Nous n’avons de cesse d’expliquer au plus haut niveau de l’Etat que la solution photovoltaïque + stockage doit être expérimentée à la Réunion ». Mais voilà : des dix mesures expérimentales promises par François Fillon pour donner vie à Gerri, la Réunion n’en a pas vu une. « Zéro calebasse », se désole-t-on à la préfecture.

« Il faut revenir sur terre, on n’est pas dans une démarche de régionalisation des enveloppes », assène Philippe Beutin, directeur régional de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). En fait, la Réunion n’est pas traitée différemment des autres régions de métropole, dont certaines œuvrent elles aussi pour une forme d’autonomie énergétique, comme la Bretagne ou la Basse-Normandie. D’ailleurs, les Investissements d’avenir issus du Grand emprunt et du Plan de relance ont surtout profité à des projets concurrents de ceux de la Réunion, dans les énergies marines et les réseaux électriques intelligents !

L’Etat se débarrasse de Gerri

champcanne.jpgLe sort du GIP Gerri illustre très concrètement cette situation en trompe-l’œil. Le groupement d’intérêt public n’a toujours pas de président, ni de bureau ou de secrétariat, encore moins de budget. Une coquille vide ! Jean Ballandras, sur le départ, a du mal à cacher son amertume. Pour sauver Gerri, puisque l’Etat est aux abonnés absents, l’idée consiste aujourd’hui à confier le bébé à la Région. Confidence d’une des parties : « Le GIP avait été créé pour faire adhérer le conseil régional à l’affaire tout en empêchant Paul Vergès d’en prendre la barre. Didier Robert, UMP, ayant été élu, il parait plus acceptable de lui laisser les manettes ». Evidemment, le nouveau président de la Région ne s’est pas fait prier (voir l’interview p. X).
En attendant, pour le député-maire socialiste Jean-Claude Fruteau, « il ne reste pas grand chose du grand projet de l’Etat ; la logique financière l’a emporté. » Même ressentiment chez les écolos. « Gerri est truffé de bons projets mais reste un machin hors sol, inventé par des hommes en cravate, qui l’ont traduit en anglais et pas en créole. Aujourd’hui, force est de constater qu’il a disparu de la Réunion », assènent Thierry Denys et Vanessa Miranville, porte-parole d’Europe Ecologie- les Verts.

Ce programme, ambitieux et original, est-il vraiment mort-né ? Une source institutionnelle proche du dossier refuse de trancher mais tire à boulets rouges sur le gouvernement : « La Réunion avait un projet tellement canon qu’elle mettait le Grenelle de l’environnement minable en métropole. Fillon avait accepté le principe de mesures exceptionnelles, mais le ministère de l’Ecologie et Bercy ont bloqué ». Trop verte, trop chère, la Réunion !

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J
<br /> Bonjour,<br /> vous trouverez ci-joint un lien où j'évoquais l'anniversaire "discret" au point de ressembler à un enterrement, du projet GERRI. Votre article est très bien. Cordialement.<br /> http://journaldunecologiste.blogspot.com/2010/10/lanniversaire-discret-de-l-enfant-du.html<br /> <br /> <br />
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