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L'actu vue par Laurent DECLOITRE

L'actu vue par Laurent DECLOITRE

Les articles de Laurent Decloitre (journaliste et biographe) sur la Réunion et l'océan Indien parus dans Libération, Marianne, Paris Match, l'Express, Géo et la presse nationale.

Publié le par Laurent DECLOITRE
Publié dans : #Articles parus dans Libération

Dans un article publié le 5 mars 2009, le Journal de l'Ile de La Réunion se fait l'écho des apiculteurs, inquiétés par une "mouche bleue" vue près de leurs ruches. Cette Cibdela, originaire d'Indonésie, a été introduite en 2005. Les larves de ce qui est en fait une guèpe se nourrissent uniquement et seulement de la vigne marronne, une sorte de ronce, véritable peste végétale qui menace les espèces endémiques de l'île. L'introduction de l'insecte est d'ailleurs une réussite et les spécialistes assurent que la Cibdela ne fera pas concurrence aux abeilles "péi". L'occasion en tout état de cause de relire l'article paru dans Libé...en 2004 sur cette expérimentation.

                                   photo JIR
L'arme biologique contre les pestes végétales


L'île de la Réunion est envahie par des plantes introduites par l'homme, qui menacent un écosystème unique au monde. Des insectes vont être lâchés dans la nature pour en venir à bout.

De notre correspondant, Laurent Decloitre
31 août 2004


Munis de "sabres" -le nom donné aux coupe-coupe à La Réunion- des ouvriers de l'ONF luttent d'arrache-pied contre des ronces géantes, qui étouffent les fougères arborescentes et "bois de couleurs" de la forêt primaire de Bébour.
La "vigne marronne" est l'une des cent pestes végétales qui menacent la biodiversité de l'île tropicale. De l'orchidée au "bois puant", des espèces endémiques (uniques au monde) risquent de disparaître, parce que trop fragiles face à des plantes agressives, introduites par l'homme.
Certaines l'ont été par accident, dans les cargaisons des navires ; la plupart volontairement, pour des raisons économiques, fin 18ème, début 19ème. Le "goyavier" pour ses fruits rouges acidulés, le "choka" pour ses fibres transformées en corde. "Sans cela, rappelle Alain Brondeau, chef de l'unité spécialisée dans l'aménagement et la gestion durable de l'ONF, on n'aurait rien à manger aujourd'hui sur l'île : ni fruits, ni légumes". Les autres espèces ont été amenées sur Bourbon pour des raisons ornementales. "C'était la mode des jardins d'acclimatation. On voulait transformer la Réunion en nouvel Eden".
Péché original : les "tabac bœuf", "longose", "bringellier" et autres "liane papillon" ont été arrachées d'Amérique centrale, d'Inde, d'Asie du Sud-Est sans leurs ravageurs. En provenance de continents où régnait une forte compétition entre les espèces, où les insectes et les maladies régulaient leur développement, ces plantes exotiques n'ont trouvé aucun obstacle à leur expansion démesurée à la Réunion.

Lutte mécanique inefficace
Depuis une quinzaine d'année, l'ONF en a pris conscience et mène une lutte désespérée contre l'envahisseur. Toute l'année, les 640 ouvriers de l'office coupent, arrachent, traitent, brûlent fuchsia, "galabert", "doudoul"... Mais cette lutte mécanique ou chimique coûte très cher pour des résultats médiocres. Un bilan publié en septembre dernier a jugé qu'un tiers des méthodes de lutte de l'ONF sont "peu efficaces", voire "favorisent la propagation de l'espèce traitée" !
Les espoirs se portent aujourd'hui sur la lutte biologique. Un programme financé par la Région et l'Europe, plus compliqué -et risqué- qu'il n'y paraît. "L'idée est d'aller chercher dans les pays d'origine les ravageurs des pestes végétales", explique Christophe Lavergne, chef de projet au Conservatoire botanique national de Mascarin. Puis de ramener sur l'île ces prédateurs pour les lâcher dans la nature.
Le correspondant du groupe international Cabi Biosciences s'est rendu à cet effet au Sri Lanka, d'où est originaire le troène de Ceylan, une des pestes les plus redoutables de la Réunion. Parapluie japonais, aspirateur à bouche : autant d'outils pour prélever un maximum d'insectes et les étudier ensuite dans le complexe de recherches de Silwood Park, près de Londres. Tests génétiques, biologiques, de spécificité... La chenille d'un papillon, l'Epiplima Albida, est ressortie vainqueur de la compétition : elle ne mange que du troène et ne risquerait donc pas de s'attaquer à d'autres espèces à la Réunion.
A voir... Ces premiers résultats doivent absolument être vérifiés localement. Une prochaine étape du programme, d'ores et déjà franchie par le Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique), qui s'est lui penché sur le Rubus Alceifolius, la terrible "vigne marronne".
Thomas Le Bourgeois, malherbologue, a effectué trois missions sur l'île de Sumatra (Indonésie), d'où est originaire la peste. L' équipe de ce spécialiste des "mauvaises herbes" en a ramené la Cibdela Janthium.

Une guèpe bleue en renfort
D'une belle couleur bleu-noir métallisé, l'insecte donne naissance à des larves, ressemblant à des chenilles, qui raffolent des feuilles du Rubus. La Cibdela, de la famille des guêpes et des abeilles, a été acheminée à la Réunion il y a quatre mois à l'état de cocon. "Mais elle n'a pas de dard et ne pique pas", précise Thomas Le Bourgeois, craignant d'affoler les Réunionnais.
L'insecte est aujourd'hui élevé au pôle de protection des plantes de Saint-Pierre, au sud de La Réunion. Dans un blockhaus. Pour y entrer muni d'un badge, il faut traverser trois sas aux pressions positive puis négative, se déshabiller et enfiler une combinaison. La température, l'humidité et l'atmosphère sont contrôlées, les liquides qui sortent de ce phytotron sont traités au chlore, les solides à l'autoclave (120 degrés pendant vingt minutes). Il ne faut surtout pas que l'insecte s'échappe dans la nature, avant que l'on soit certain de son comportement. Si jamais la Cibdela se prenait d'appétit pour une espèce endémique, ou économique comme la canne à sucre, ce serait une catastrophe.
Par le passé, des "apprentis-sorciers" ont expérimenté la lutte biologique sans prendre toutes ces précautions : pour se débarrasser d'une peste animale, l'achatine, un énorme escargot en forme de coquillage, un escargot carnivore a été introduit. Il a délaissé la cible visée pour dévorer un petit escargot endémique !
Dans un an environ, après d'ultimes tests, un comité de pilotage décidera ou non de lâcher la Cibdela contre la vigne marronne. Puis ce sera le tour de l'Epiplima Albida contre le troène. Les espèces exotiques envahissantes ne disparaîtront pas pour autant du paysage réunionnais, mais leur développement sera contrôlé. Un répit pour l'ONF, qui cherche surtout aujourd'hui à éviter que de nouvelles pestes végétales n'apparaissent.
"Grâce à la coopération régionale, on découvre que des plantes d'apparence inoffensive peuvent devenir dangereuses au bout de plusieurs années", souligne Alain Brondeau. L'ONF vient d'apprendre que l'"icaquier" est une véritable plaie aux Seychelles. Or l'office avait planté lui-même l'arbuste dans la forêt de Bois-Blanc, au sud de l'île. L'erreur a été réparée, le pied arraché. Pour la première fois, une peste potentielle a été soignée à temps.

L'article a été publié à l'époque sous la signature de mon pseudo, Fabrice Mouton.
 

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