Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
L'actu vue par Laurent DECLOITRE

L'actu vue par Laurent DECLOITRE

Les articles de Laurent Decloitre (journaliste et biographe) sur la Réunion et l'océan Indien parus dans Libération, Marianne, Paris Match, l'Express, Géo et la presse nationale.

Publié le par Laurent DECLOITRE
Publié dans : #Articles parus dans Libération
Baleine à bosse au large de l'île de La Réunion (Globice)

Baleine à bosse au large de l'île de La Réunion (Globice)

Les îles de l'océan Indien bossent pour les baleines

Libération du 24-25 octobre 2015, de notre correspondant Laurent DECLOITRE

La Réunion et Madagascar veulent inscrire au patrimoine mondial de l’Unesco la migration des baleines à bosse : en juillet-août, des milliers de cétacés, venus de l’Antarctique, s’accouplent ou mettent bas dans les eaux chaudes de l’océan Indien.

D’innombrables bois flottés aux formes tarabiscotées encombrent la plage déserte et sans fin de l’île Sainte-Marie, qui surnage au Nord-Est de Madagascar. Parfois, des baleines à bosse s’échouent sur la frange sablonneuse où se réfugiaient autrefois les pirates de l’océan Indien. Les Sainte-Mariens se dépêchent alors de quitter leur champ de manioc et leur case sur pilotis, faite de bois ravenal, pour venir dépecer les cétacés. Ils en mangent la chair et récupèrent la graisse. Dans la précipitation, il n’est pas rare que les coupe-coupe dérapent et blessent qui à la jambe, qui au bras… Oclin, un jeune guide, en rigole, avant de redevenir sérieux, jugé sur son quad : « Il faut partager l’offrande divine. Un pêcheur est mort en tombant d’un arbre car il avait tout gardé pour lui ». Les femmes font preuve du même respect, chantant « Hé, ancêtre, hé, dieu créateur venu jusqu’ici, portez-nous chance » lorsqu’elles voient une baleine à bosse sauter hors de l’eau.

FESTIVAL MALGACHE

Preuve que les mentalités évoluent parmi les 27 000 habitants de Sainte-Marie, l’an dernier, un chef de village a empêché des piroguiers d’achever une baleine prise dans un filet. Les pêcheurs ont dû sacrifier non pas l’animal, mais leur instrument de travail. Car le whale watching est devenu l’une des principales activités touristiques de cette île déshéritée où sévit le paludisme. Dans l’unique rue de la « capitale », Ambodifotatra, où trône le squelette impressionnant d’une Megaptera, est d’ailleurs organisé, début juillet, le festival des baleines. Des centaines de villageois descendus de la forêt, costumés, tirent en chantant des chars où sont juchées des baleines de papier mâché. Le soir, dans une ambiance fiévreuse, ils jouent au taikely, lançant dans un même mouvement les dés et des billets sales et froissés d’ariary, la monnaie nationale.

PLAINTE ET ORGASME

De juin à septembre, des milliers de baleines à bosse venues de l’Antarctique parcourent 5000 km pour s’accoupler ou mettre bas dans ces eaux chaudes et peu profondes du Sud-Ouest de l’océan Indien. Dans l’étroit chenal qui sépare Sainte-Marie de Madagascar, elles offrent la vision de sauts lourds et graciles à la fois, de queues en éventail pointées vers le ciel, de nageoires pectorales frappant les flots… L’association Cetamada, qui observe, comptabilise et protège les cétacés malgaches, a formé des éco-volontaires pour accompagner les touristes sur les bateaux des hôtels. C’est parti ! Un geyser de vapeur, qui semble accrocher le ciel bas et nuageux, révèle la présence de deux baleines. Notre petite embarcation suit à distance les dos noirs et luisants qui se courbent avant de sonder. Anja, titulaire d’un master de biologie animale, plonge un hydrophone dans les eaux. Le fameux chant des baleines, une suite de gémissements, entre plainte et orgasme, évoque la contrebasse. Bluffant. Faute de sauts, comme c’était le cas la veille, Jean-Claude, un touriste belge, juge le tableau « un peu répétitif ». Henry Bellon, le passionné président de Cetamada, rétorque qu’on n’est « pas au cirque » et jure qu’on voit des baleines à chaque sortie.

NAGER AVEC UN BALEINEAU

Même si c’est moins vrai sur l’île voisine de la Réunion, 700 km au Sud-Est, là aussi, des centaines de baleines à bosse sont de passage, en juillet-août. « Un tiers d’entre elles reste sur place pour mettre bas », évalue de ses yeux rieurs Laurent Mouysset, de l’association Globice, l’alter ego réunionnais de Cetamada. La preuve ? A peine avons-nous quitté le petit port de plaisance de Saint-Gilles, à l’ouest du département français, que la surface, houleuse ce matin, est percée par le saut d’un baleineau ! Le cétacé s'amuse sous l’œil protecteur de sa mère, qui peut peser jusqu’à vingt-cinq tonnes pour une taille de quinze mètres. Equipés d’un masque, d’un tuba et de palmes, nous nous glissons hors du Zodiac et nageons prudemment vers les deux baleines à bosse. En ce début de septembre, c’est encore l’hiver, l’eau claire affiche 23 degrés… A vingt mètres des monstres, nous redevenons, minuscules et humbles. La mère danse un ballet tranquille autour de son bébé, agitant doucement ses longues et minces nageoires pectorales blanches. Curieux, le bibendum des mers, d’un gris clair, s’approche presque à toucher les étranges mammifères que nous sommes. Magique, limite effrayant. Des sillons labourent le ventre des deux Megaptera, des protubérances ornent leur tête et mâchoire. Enfin, l’adulte pousse le baleineau pour l’écarter et l’entraîne, ondulant dans les profondeurs.

ET LES REQUINS ?

La charte d'approche et d'observation, établie par les professionnels et la préfecture de la Réunion, n'interdit pas la baignade avec les cétacés, contrairement aux autorités malgaches ; mais elle la déconseille et prévient que les baleines sont « des animaux sauvages et dangereux ». De quoi agacer Alain, un postier passionné qui multiplie les sorties durant la saison. « Elles dégagent une bienveillance sans aucune agressivité », jure celui qui forme des cercles avec ses amis nageurs en entonnant, dans le masque, le « ohm » méditatif… « pour entrer en connexion avec les gentils monstres ». Les requins ? Jamais une attaque ne s'est produite au large, qui plus est en présence de cétacés ou de dauphins…

PATRIMOINE MONDIAL

C'est dans ce contexte que le président du conseil régional, Didier Robert, a signé en mai un accord-cadre avec Cetamada, pour instruire un dossier de classement du « chemin des baleines » au patrimoine mondial de l'Unesco. L'objectif est de soutenir la commission baleinière internationale, qui a déjà sanctuarisé cette zone de l'océan Indien, et de développer l'écotourisme. Manque de chance, le projet coïncide avec une raréfaction de baleines cette année au large des deux îles... El Nino et le réchauffement des courants maritimes seraient responsables de cette passagère (?) déconvenue.

Laurent DECLOITRE
INFOS PRATIQUES

S'engager auprès des associations de protection des baleines
A la Réunion : Globice et Abyss
A Madagascar : Cetamada
Se rendre à la Réunion : Corsair, Air Austral, Air France, XL Airways
Se rendre à Madagascar : Air Mad, Air France, ou, depuis la Réunion, Air Austral
Observer les baleines
A la Réunion : Le Grand Bleu : de 30 à 90 €
A Madagascar : Le Bora Dive : 40€
Nager avec les baleines (Réunion) :
Avec un club de plongée : O sea bleu : 60€
En louant un bateau : environ 25€ par personne (permis exigé)
Reportage réalisé avec le concours d'Ile de la Réunion Tourisme

Début juillet à Sainte-Marie (Madagascar) lors du festival des baleines.

Début juillet à Sainte-Marie (Madagascar) lors du festival des baleines.

Début juillet, sur l'île malgache de Sainte-Marie, lors du festival des baleines.

Début juillet, sur l'île malgache de Sainte-Marie, lors du festival des baleines.

À La Réunion, il est possible de nager avec les baleines. (photo Alain Reynier).

À La Réunion, il est possible de nager avec les baleines. (photo Alain Reynier).

Commenter cet article

Hébergé par Overblog