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L'actu vue par Laurent DECLOITRE

L'actu vue par Laurent DECLOITRE

Les articles de Laurent Decloitre (journaliste et biographe) sur la Réunion et l'océan Indien parus dans Libération, Marianne, Paris Match, l'Express, Géo et la presse nationale.

Publié le par Laurent DECLOITRE
Des ordures brûlent sur une route, à Mamoudzou, Mayotte, mercredi. Photo Ali Al-Daher. AFP

Des ordures brûlent sur une route, à Mamoudzou, Mayotte, mercredi. Photo Ali Al-Daher. AFP

Les reconduites à la frontière des immigrés sans papiers ayant cessé durant le confinement, le préfet de Mayotte accuse ces derniers d’être à l’origine des récentes violences urbaines.

Libération du 4 septembre, de notre correspondant à La Réunion Laurent DECLOITRE

Est-ce la faute aux immigrés clandestins ? Pour le préfet de Mayotte, Jean-François Colombet, la réponse est oui. Depuis lundi, Mamoudzou, le chef-lieu du département d’outre-mer, et plusieurs villes ont été la proie de violentes échauffourées, qui ont fait treize blessés parmi les forces de l’ordre. Les entrées de la capitale ont été bloquées par des barrages de poubelles et pneus incendiés ; les manifestants ont caillassé les policiers et même attaqué des automobilistes ; au rond-point de Doujani, la banlieue sud, les passagers ont riposté et en sont venus aux mains avec leurs assaillants. A l’origine de ces heurts, la colère des collégiens et lycéens, privés de bus scolaire, suite à la grève des employés de la principale société de transports.

«Délinquance d'appropriation»
Ces émeutes interviennent après trois nuits de violences urbaines mi-août, à Majicavo et Kawéni, cette fois dans la grande banlieue nord de Mamoudzou. Pour le préfet, pas de place au doute : la faute en revient aux Comoriens, qui composent près de la moitié de la population et dont la plus grande partie vit en situation irrégulière. Le représentant de l’Etat s’est lâché lundi sur le plateau de Mayotte la Première : «Depuis le 16 mars [début du confinement lié à l’épidémie de Covid], nous ne pouvons plus reconduire les étrangers en situation irrégulière dans leur pays. Ce sont 13 000 personnes qui se livrent à des luttes territoriales, qui donnent lieu à une délinquance d’appropriation.» Et Jean-François Colombet d’asséner : «Il y a un lien direct entre l’arrêt de l’éloignement et la flambée de violence

En 2019, la France avait expulsé 27 000 immigrés clandestins aux Comores, un archipel dont l’île d’Anjouan n’est qu’à une soixantaine de kilomètres de l’eldorado français. Depuis le 3 août toutefois, des obligations de quitter le territoire sont à nouveau notifiées par la préfecture de Mamoudzou, la lutte contre l’immigration clandestine ayant repris, sur mer comme sur terre. Avant d’être expulsés, les clandestins sont acheminés au centre de rétention administrative dans des conditions parfois limites, comme le dénonce une conseillère juridique intervenant pour le compte d’une association : «Sans aucune vérification minimale, se sont retrouvés placés en rétention des mineurs non accompagnés, des parents d’enfants français, des jeunes majeurs arrivés à Mayotte avant l’âge de 13 ans, des conjoints de Français…» Et tant pis si le juge des référés du tribunal administratif a retenu la violation de l’intérêt supérieur de l’enfant et de son droit à la vie privée et familiale ; le préfet estime que «cela ne suffit pas» et espère que le Marie Galante, le navire chargé de rapatrier les sans-papiers, pourra à nouveau assurer des rotations quotidiennes. Les Comores ont en effet annoncé qu’elles rouvraient leurs frontières à compter de lundi 7 septembre.

«Amalgames et approximations dangereux»
Dominique Ségard, la présidente du groupe local de la Cimade, une association défendant les droits des migrants, est scandalisée. «Le plus haut représentant de l’Etat assimile les personnes étrangères et en situation administrative irrégulière à des délinquants. Sur un territoire blessé et fragilisé par une crise sanitaire et une situation sociale catastrophique, ces amalgames et ces approximations sont dangereux», déplore la bénévole. Pour la Cimade, «les 13 000 personnes que le préfet n’a pas pu expulser sont principalement des gens ordinaires, des pères et mères de famille, des personnes âgées, malades parfois ou des étudiants». En raison du confinement et de l’état d’urgence sanitaire (maintenu jusqu’au 30 octobre à Mayotte), plusieurs immigrés souhaitant faire prolonger leur titre de séjour ou déposer une première demande n’ont pu accéder aux guichets de la préfecture, se retrouvant de facto en situation irrégulière.

Dans la population, les réactions sont comme toujours partagées. Cloîtrée dans sa maison de Cavani, Chayma (1) ne décolère pas. La mère de famille a dû garder ses deux bambins chez elle : «A chaque rentrée scolaire, c’est pareil. Les jeunes clandestins font du désordre, c’est dangereux.» Mariama, mère de six enfants, en a elle aussi assez de cette insécurité récurrente, à tel point qu’elle et son mari, agent de sécurité, envisagent de déménager en métropole l’an prochain. Mais l’habitante de Kawéni, autre quartier populaire de Mamoudzou, se refuse d’accuser les clandestins : «Les barrages, ce sont des jeunes, Mahorais, Comoriens, tous mélangés !»

Ce lien entre délinquance et immigration, le délégué départemental du syndicat Alternative santé, membre de la CFDT, le rejette aussi. «L’an dernier, les chiffres de la délinquance ont explosé, alors même qu’il y a eu un record de reconduites à la frontière.»

Le policier, qui patrouillait ce vendredi matin dans les quartiers chauds de Mamoudzou, relève au contraire un effet collatéral de la lutte contre l’immigration clandestine : «Les préfets nous demandent de faire du chiffre. Mais quand on expulse des parents, les enfants peuvent décider de rester, on ne peut les contraindre. Si bien qu’on se retrouve avec des mineurs isolés, désœuvrés.»

Faute de mieux, le préfet appelle aujourd’hui les maires à l’aide, leur demandant d’installer davantage de vidéosurveillance et d’augmenter les effectifs de la police municipale. De son côté, le monde économique a créé un collectif spécialement dédié aux questions d’insécurité, et a accepté, sous la pression de l’Etat, l’extension de la convention nationale aux entreprises de transport scolaire à Mayotte. Une première qui devrait permettre un retour au calme au moins temporaire ce week-end.

(1) Le prénom a été changé pour préserver l’anonymat

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