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L'actu vue par Laurent DECLOITRE

L'actu vue par Laurent DECLOITRE

Les articles de Laurent Decloitre (journaliste et biographe) sur la Réunion et l'océan Indien parus dans Libération, Marianne, Paris Match, l'Express, Géo et la presse nationale.

Publié le par Laurent DECLOITRE
Publié dans : #Articles parus dans Libération
Le 12 juin 2003

Risques d'embûches pour les bûcheurs du bac

Par BERTRAND Olivier, DECLOITRE Laurent, GROS Marie-Joëlle

Jacques Chirac en appelle à la responsabilité des enseignants. Luc Ferry craint des «petits pépins», et le directeur de l'enseignement scolaire se dit «confiant». C'est peut-être vite dit. Combien des 626 899 candidats à l'épreuve du baccalauréat de philo, qui doit débuter ce matin à 8 heures, vont pouvoir composer sans embûche ? Des perturbations sont encore à prévoir dans les transports. Gare aux embouteillages et aux retards, même si, assure le ministère de l'Education, une certaine «souplesse» sera tolérée. Et puis, il y a les actions des grévistes. Pas tous satisfaits par les concessions du gouvernement sur la décentralisation. Certes, les syndicats sont opposés au blocage des examens. Mais chez Luc Ferry, on n'exclut pas que des «commandos» sèment le trouble ici ou là. Un vocable qui fait bondir les grévistes : «Après preneurs d'otage, ça fait beaucoup.»

De fortes tensions sont en effet encore perceptibles dans plusieurs villes. A Toulouse, où Jacques Chirac est attendu dans la journée pour l'ouverture du congrès de la Mutualité française, une assemblée interprofessionnelle a voté hier le blocage du bac, et appelle à la grève générale. A Bastia, 800 grévistes ont demandé hier matin au préfet de Corse le «report du bac». Refus : «Il n'y a aucune raison de reporter l'épreuve», a répondu le préfet, assurant que toutes les dispositions avaient été prises pour son «bon déroulement.»

Exaspération. Mais c'est sans doute sur l'île de la Réunion que ce «bon déroulement» est le plus compromis. Les enseignants sont en grève depuis neuf semaines, et la base se dit «exaspérée». 7 500 candidats au bac général et technologique sont attendus pour l'épreuve de philo, qui va commencer deux heures plus tôt qu'en métropole. La coordination départementale de l'Education, qui a appelé à la reconduction de la grève, demande aux enseignants de ne pas surveiller les épreuves. Des sit-in sont prévus devant les lycées, alors que des élus locaux (UMP) ont demandé aux parents d'accompagner les élèves. Comment va se passer la rencontre ? Dans un lycée qui jouxte le rectorat, où les manifestants se sont donné rendez-vous, l'atmosphère promet d'être chaude. Ici, les Atos (personnels techniques et administratifs) sont très mobilisés. Le responsable de l'Unatos (FSU) n'excluait pas, hier, que ses troupes cadenassent pendant la nuit les entrées des lycées. Ou cassent les clés dans les serrures. Dans chaque site, les grévistes vont tenir un «bureau des doléances» recueillant toutes les irrégularités commises lors des examens (deux élèves par table faute de surveillants en nombre suffisant, sujets transmis par fax depuis le rectorat, etc.) A la demande du rectorat, deux escadrons de gendarmes mobiles sont arrivés en renfort sur l'île.

Avec croissants. En métropole, la plupart des assemblées générales ont exclu le blocage physique des épreuves de philo, lui préférant une multitude d'autres actions. Certaines sont tenues secrètes, comme à Paris. D'autres s'annoncent délibérément «douces» comme à Rochefort (Charente-Maritime) où les candidats au bac seront accueillis par les grévistes avec tracts et croissants.

Personne ne souhaite de débordements. A commencer par les enseignants, convaincus de jouer gros. «Le gouvernement ne fait que de la gestion d'opinion publique. Il se frotterait les mains si nous boycottions le bac.» Les professeurs de philosophie sont sous pression. Leur attitude donnera le ton. Un quart des correcteurs de l'académie de Lyon étaient réunis hier pour décider d'une attitude commune. «Si nous allons vendredi chercher nos copies pour les corriger, le message sera terrible pour les collègues. Cela sonnera la fin du mouvement», anticipait hier un enseignant.

Quelques-uns proposent de surnoter. «Entre 9 et 15» pour l'un. «De 15 à 20» pour l'autre. Mais l'idée divise. «Ce serait une erreur, ça dévaloriserait le bac. Or, les élèves ne sont pas nos adversaires», dit un prof. «Déjà que les profs de philo ont la réputation de noter n'importe comment»... D'autres envisagent des «actions spectaculaires». Mais ils proposent uniquement de fabriquer des panneaux, des tracts. Ou de se rassembler samedi, place Bellecour, un bâillon sur la bouche. «Si je reçois une mise en demeure, j'écrirai au tableau que je reste gréviste», dit une prof. On raille : «Bientôt, la grève se résumera à un écriteau porté autour du cou.» Et si personne n'allait chercher les copies ? «Ne pas corriger du tout serait vertigineux», dit l'un. Et se terminerait devant le tribunal administratif.

Le sort des copies. Autre scénario : envoyer une lettre collective pour se déclarer gréviste, puis attendre une mise en demeure du rectorat. «C'est de la "commedia dell'arte", ricane un professeur de Bugey (Ain). Retenez-moi, Monsieur le recteur, ou je refuse de corriger !» Ici comme ailleurs, des quantités de correcteurs envisagent d'aller chercher les copies. Rentrés chez eux, ils vivront un tête-à-tête singulier avec les copies. Alors seulement ils décideront du sort des notes. Vers fin juin. De quoi donner un supplément de temps à la négociation.


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