Capture-d-ecran-2014-04-30-a-17.49.44.png«Afin de lutter contre le vol et son impunité, nous partageons ci-dessous la photo d’une voleuse récidiviste. Merci pour tout retour d’info en message privé.» Cet incroyable avis de recherche est diffusé depuis ce mercredi matin sur la page Facebook d’Addict, une boutique de prêt-à-porter bien connue de Saint-Denis de la Réunion. Sous le titre en gros caractères «Alerte voleuse !», les 1705 fans de l’enseigne découvrent le portrait en gros plan d’une jeune femme élégante, en robe blanche, portant des boucles d’oreille, et un autre cliché la montrant de plain-pied en train de pousser son bébé dans un landau. Seul le visage de l’enfant a été caché par une bande noire…

Pas de récompense pour le «wanted», mais un appel à délation sur le réseau social qui suscite de nombreuses réactions, le post ayant été partagé sur d’autres pages. Wendy, une cliente d’Addict, se déclare «choquée». «Répondre au vol par la délation et la diffamation est tout aussi condamnable et beaucoup plus dangereux», estime-t-elle. «Syl Vie» partage la même indignation : «On pourrait reconnaître très facilement cette femme dans la rue et la lapider publiquement pendant qu’on y est ?»

Mais le post a aussi reçu 42 «J’aime» et quelques messages de soutien, comme celui de Mikaël, pour qui «un commerçant se défend pour préserver un business sans aucune aide». Annabelle comprend elle aussi le geste en tant que «chef d’entreprise démuni».

Plainte au commissariat

Carine Costa, la propriétaire de la boutique, située dans le centre-ville du chef-lieu, se justifie avec passion. Elle raconte comment sa vendeuse a surpris en flagrant délit la cliente en train de cacher «pour 400 euros» de vêtements sous la poussette de son bébé : «Interrogée, la dame a ri au nez de mon employée puis s’est énervée en démentant et est sortie.» La vendeuse, seule à ce moment, n’a pu la poursuivre.

Carine Costa, qui s’apprête à prendre la présidence d’une association de commerçants, a alors alerté ses collègues de la rue Jules-Auber. Et voilà que le lendemain, la maman soupçonnée du vol fait à nouveau du lèche-vitrines habillée de la robe disparue la veille. Une commerçante la prend en photo, ce qui incite Carine Costa à porter plainte au commissariat de Saint-Denis. «Mais les policiers m’ont fait comprendre qu’elle ne risquait pas grand-chose, car les vols de ce genre ne font jamais l’objet de condamnation effective !», raconte-t-elle.

La gérante, «désolée» d’en arriver à cette extrémité, décide alors de placarder les portraits sur les murs de sa boutique de vêtements, chaussures et accessoires pour adultes, mais aussi de diffuser l’avis de recherche sur internet. «Quelqu’un la reconnaîtra peut-être et me donnera son identité de façon à ce que la police l’arrête»

Chèques impayés en vitrine

Carine Costa sait qu’elle n’a pas le droit d’agir de la sorte, ce que confirme un avocat spécialiste de droit civil de Saint-Denis. «On peut prendre quelqu’un en photo dans un lieu public, rappelle Alain Antoine.Mais on n’a pas le droit de diffuser le cliché sur Internet, surtout avec cette mention de voleuse.» La commerçante pourrait répondre de diffamation, atteinte au droit à l’image, dénonciation calomnieuse…

Christopher Glick, directeur de l’association de gestion du centre-ville dionysien, connaît bien la commerçante, avec laquelle il a milité récemment pour une ouverture plus tardive des boutiques en soirée. Mais il confesse ne pas pouvoir «cautionner» un tel acte dont la généralisation entrainerait des «abus». En revanche, le président de l’Association des commerçants de l’océan se déclare complètement solidaire de sa collègue. « Je ferais pareil», lance Ilfhane Kazi, depuis sa boutique de vêtements pour bébés, Lola et moi. Il y a peu, le gérant collait sur sa vitrine les chèques impayés, avec le nom et l’adresse des particuliers. Désormais, il les couche sur un cahier qu’il fait tourner dans le quartier…

Laurent DECLOITRE LA RÉUNION, de notre correspondant